Fronts populaires d’hier et de demain : une contrefaçon de l’unité véritable (tribune de Serge Goudard, adhérent PG Lyon)

dimanche 27 novembre 2011.
 

Retour sur une rencontre : trois patronnes dans un bistrot

Le jeudi 18 mars 2010, entre les deux tours des élections régionales, Martine Aubry, Cécile Duflot et Marie George Buffet, dirigeantes respectives du PS, d’Europe Ecologie et du PCF, tenaient table commune dans un bistrot parisien pour un point de presse. Si, pour Aubry, cette rencontre était « un vrai bonheur », elle signifiait clairement pour les journalistes un possible retour de la Gauche plurielle. L’histoire ne se répétant jamais à l’identique, Aubry précisait : « Je lui préfère le terme de gauche solidaire. ».

Dans l’immédiat, cette rencontre des « trois nanas à la tête des partis de gauche » (dixit Martine Aubry) validait au sommet les accords passés dans quasi toutes les régions au lendemain du premier tour : le Front de gauche dirigé par le PCF et Europe Ecologie passaient un accord pour le second tour annonciateur d’un accord pour gérer ensemble les exécutifs régionaux.

Au-delà, il s’agissait de marquer publiquement l’amorce d’un projet commun de gouvernement. Duflot précisait que les discussions portaient sur les projets « pour les régions et pour la reconquête d’une alternative politique ». Quelle base pour une telle alternative ? Selon Aubry, il y avait « accord sur l’essentiel : la rupture avec le libéralisme financier ». C’était pour le moins flou. Mais l’objectif était fixé, restait à le préciser, comme l’indiquait aussitôt Marie-George Buffet : « Dès le lendemain de l’élection, nous allons travailler à élaboration d’un projet de société social et écologique. ».

A cette étape, deux premières remarques s’imposent : la première est que cette rencontre se faisait sur la base d’un autre point d’accord, qui est de laisser Sarkozy en place jusqu’en 2012. Quitte à faire croire que ce personnage pourrait faire une autre politique au vu des résultats électoraux. Ainsi, pour Martine Aubry, « Le message doit être clair » au second tour des élections régionales du 22 mars : il s’agit que « que le président change de politique ».

Deuxième remarque sur cette rencontre : Europe écologie est qualifiée par Aubry de « parti de gauche » au même titre que le PCF et le PS. Il est vrai que le terme « de gauche » prête à des confusions, habillant aussi bien des gaullistes (« de gauche ») que des radicaux. Mais enfin…chacun sait qu’Europe Ecologie comprend des Verts (de gauche ?), des gens de Cap 21 (c’est-à-dire du Modem en Vert), etc.

« Pensons un nouveau Front populaire du XXI° siècle »

Le dimanche 21 mars, au soir du second tour, le PCF rendait publique une déclaration. Sa conclusion indiquait que le PCF, au sein du Front de gauche, « prendra les initiatives nécessaires pour l’élaboration d’un projet partagé de transformation de notre société au bénéfice de toutes et de tous.

Ce chemin suppose de poursuivre la confrontation des points de vue sur les objectifs, sur les méthodes et le courage nécessaire pour sortir des logiques dominantes.

C’est un chantier qui doit être ouvert à toute la gauche, à toutes ses composantes, mais aussi à toutes celles et tous ceux qui, dans leurs engagements syndicaux ou social, cherchent dans cet engagement les voies d’une action collective en faveur de l’intérêt général, d’un nouveau monde, d’une nouvelle Europe. Pensons ensemble les formes d’un nouveau front populaire du XXI° siècle ».

Pour le PCF, cette thématique de Front populaire du XXI° siècle semblait nouvelle. Elle avait été martelée par le Parti de gauche durant toute la campagne électorale du printemps 2009 pour les européennes. Mais Le PCF, qui la connaissait, préféra attendre les résultats de 2010 pour apprécier sa pertinence.

C’est au même moment que le PG abandonne ce thème. Pourtant, JL Mélenchon l’utilisait encore en meeting à Lyon le 9 mars : "Nous sommes le nouveau Front Populaire", affirmait Mélenchon à la tribune. Mais le 12 avril, dans une interview à Libération, Mélenchon explique à propos du Front populaire qu’il n’ a pas « d’hostilité de principe » à cette formule mais que « L’expression a un côté vieillot. Et ne dit pas qui le dirige. Je préfère parler de gouvernement de Front de Gauche ». Mais le PCF quant à lui préfère un front populaire du XXI° siècle….avec le PS et quelques autres.

Aux origines du Front populaire

Si l’expression évoque généralement la grève générale de 1936 et le gouvernement de cette époque, on oublie trop souvent les deux temps qui les ont précédés, et dont le rappel est décisif.

C’est d’abord, en relation avec la dégénérescence stalinienne de la troisième internationale, la mise en œuvre par l’ensemble des partis communistes d’une politique de division forcenée qui est entrée dans l’histoire sous le terme curieux de « troisième période ». Durant cette « troisième période », la social démocratie devint l’ennemi principal et les dirigeants allemands du KPD inféodés à Staline ne manquaient pas de rappeler dans leurs discours que « l’arbre nazi ne doit pas cacher la forêt social –démocrate ».

On connaît la suite, tragique : cette politique ouvrit, de manière déterminante, la voie à la progression du nazisme et à la prise du pouvoir par Hitler en 1933. Ce fut une catastrophe pour tout le mouvement ouvrier international.

Au sein du mouvement communiste international, seul Trotsky et ses compagnons combattirent cette politique en se référant constamment à la politique de « front unique » telle que les premiers congrès de la troisième internationale l’avaient formulée. Cette politique de « front unique » trouvait sa source dans la politique que les bolcheviques avaient mise en œuvre de février à octobre 1917. Ceux-ci, minoritaires dans les soviets en février, avaient conquis la majorité en prônant de manière incessante et concrète l’unité des partis ouvriers face aux capitalistes, la rupture de ces partis avec les représentants de la bourgeoisie au gouvernement. C’est cette politique que le Parti communiste allemand, cornaqué par les représentants de Staline, refusa de mettre en œuvre. La prise du pouvoir par Hitler en fut la conséquence.

Trotsky mesura aussitôt l’ampleur de cet événement, et en tira une conclusion : la troisième internationale, qui avait impulsée cette politique de division et permit l’accession de Hitler au pouvoir était politiquement morte pour le socialisme. Elle était désormais devenue tout autant « irredressable » que l’avait été, pour Lénine, la deuxième internationale après le vote des crédits de guerre en 1914.

Mais la tragédie allemande allait contribuer en réaction, en particulier en France, à nourrir une profonde aspiration à l’unité face à la menace fasciste qui se développait.

12 février 1934 : la défaite d’une politique de division

De 1933 à février 1934, le PCF poursuivit imperturbablement son combat contre les « social-traîtres », politique qui conduisait un nombre croissant de militants à l’abandonner, alors même que l’activité (politique et armée) des groupes fascistes ne faisait que croître.

L’offensive de ces forces fascistes atteint son apogée avec les manifestations armées du 6 février 1934 contre le gouvernement.

L’affrontement était annoncé.

Cela n’empêcha nullement le PCF d’envoyer le même jour à la même heure son association d’anciens combattants manifester elle aussi contre le gouvernement place de la Concorde, lieu où l’essentiel des forces réactionnaires s’étaient données rendez vous.

Les affrontements avec la police (mais pas entre fascistes et anciens combattants du PCF) furent très durs. Le gouvernement démissionna. L’émotion parmi les travailleurs et dans tout le pays fut immense. Trois jours après, le PCF seul appelait à manifester. Il y a 9 morts.

Puis, le 12 février, des manifestations contre la menace fasciste furent convoquées, mais dans la division : la CGT, la SFIO avec ses propres organisations satellites d’abord, et, d’un autre côté, le PCF et ses organisations satellites (syndicats, organisations de jeunes, de femmes, etc).

Mais les manifestants en décidèrent autrement. Au cri de « unité », les manifestants imposèrent la fusion des cortèges. La volonté de combattre dans l’unité avait balayé une politique de division. En pratique, le front unique s’était imposé. La direction du PCF en fut pendant plusieurs mois complètement désemparée, alors même que les fascistes refluaient. Unité…avec un parti bourgeois

La direction du PCF, en concertation étroite avec Staline, se résolut à changer de politique. Puisque aspiration à l’unité il y avait, le PCF combattrait désormais pour l’unité…mais pas seulement l’unité avec la SFIO. Réaliser l’unité avec ce parti socialiste et contre la bourgeoisie, c’était revenir à la politique de Front unique que Trotsky continuait à défendre avec force. Au nom du combat contre le fascisme, l’unité serait proposée aussi à des forces bourgeoises qualifiées de démocratiques…comme le parti Radical, vieux parti bourgeois de la troisième République et pilier de la politique de conquêtes coloniales. En clair, le PCF disait aux travailleurs : vous vouliez l’unité ? On vous offre « plus » encore : l’unité avec la SFIO et aussi le parti Radical….Le 9 octobre, Thorez lançait un appel pour la constitution d’un « front populaire du travail, de la liberté et de la paix ». Le 24 octobre, il proposait au parti Radical de rejoindre ce front. C’est ainsi qu’en jouant sur la confusion, le PCF impulsa une politique de « front populaire » qui était la stricte négation de la politique de front unique. Au lieu d’un front des seuls partis ouvriers contre les partis bourgeois, on mettrait en oeuvre un front avec des bourgeois contre d’autres bourgeois.

1936

Les élections législatives virent la victoire électorale de l’alliance ainsi constituée. Mais les travailleurs n’attendirent pas que se mette en place le nouveau gouvernement. Ils choisirent de prendre eux-mêmes les choses en main, preuve qu’ils n’avaient que peu confiance dans le gouvernement qui s’annonçait.

Ce fut, spontanément, un puissant mouvement de grève générale. C’est ce mouvement qui imposa au gouvernement des concessions majeures. Précisons : si le PCF ne participa pas à ce gouvernement, il lui apporta un soutien d’autant plus ferme que c’est lui-même qui avait « inventé » cette combinaison, une alliance entre partis ouvriers et un parti bourgeois.

Variétés des situations

Le front populaire ne se réduisit pas à la France. Chacun connaît l’exemple espagnol mais il y en eut bien d’autres, avec ou sans partis communistes. Trotsky expliquera ainsi : « Le Guomindang en Chine, le PRM au Mexique, l’A.P.R.A au Pérou, sont des organisations tout à fait analogues. C’est le Front populaire sous la forme d’un parti. » (Œuvres, 1938).

Notons que les fronts populaires ont en commun des situations où s’intensifie la lutte des classes, où l’aspiration à l’unité devient un élément majeur dans les rangs ouvriers. Ce ne sont pas de simples gouvernements de « collaborations de classes » auxquels participent des ministres de partis ouvriers, comme ce fut le cas, par exemple, avec le cabinet Waldeck Rousseau en 1899 auquel participa le socialiste Millerand. Ce sont des gouvernements composés (ou appuyés) par l’ensemble des partis ouvriers en alliance avec une ou des forces bourgeoises. La fonction politique de tels gouvernements est de canaliser le mouvement des masses populaires puis de les décourager, de les faire refluer, afin de permettre à la bourgeoisie de reprendre l’initiative politiquement et, dans certains cas, militairement.

Des situations analogues se retrouveront dans la seconde moitié du XX° siècle. Dans tous les cas, ces gouvernements de front populaire servent de transition vers le rétablissement de l’ordre bourgeois menacé. Ce sera notamment le cas au Chili, après l’élection de Allende à la présidence de la République en septembre 1970. Trois ans plus tard, le 11 septembre 1973, l’armée chilienne dirigée par où l’armée dirigée par Pinochet prend le pouvoir et organise une sauvage répression.

Mais quand la situation économique et politique ne l’impose pas et que des partis « ouvriers » ont des résultats électoraux qui leur permettent de participer au pouvoir, ce sont de toutes autres combinaisons qui s’installent, comme ce fut le cas sous la quatrième République : tandis que la SFIO co-dirigeait l’État en alliance avec des forces bourgeoises, le PCF se positionnait alors dans une opposition plus ou mois radicale mais sans menacer pour autant l’ordre social : la politique de division vient alors, au contraire, compléter la politique de participation au gouvernement.

Au lendemain de 1968

C’est à la suite de la grève générale de 1968 que la nécessité d’un retour aux anciennes combinaisons de front populaire se fit sentir. Le PS, sur cette perspective, se construisit à la place d’une SFIO moribonde. Le PCF approuva cette orientation : ce furent le Programme commun et l’Union de la gauche. En l’absence de l’ancien parti radical réduit alors à peu de choses, l’alliance fut contractée avec un lambeau de ce vieux parti réactionnaire. On lui donna un coup de badigeon en l’étiquetant « parti radical de gauche ».

Cette « union », avant même d’accéder au pouvoir, ne fut pas continue. Durant l’été 1977, le PCF en provoqua la dislocation, reprit les polémiques contre le PS au nom de l’insuffisance des nationalisations. Radicalisme au demeurant de façade puisque, quelque soit l’ampleur des nationalisation prévues, ces nationalisations n’étaient pas des expropriations : dans tous les cas, les actionnaires étaient remboursés. Mais Giscard y gagna trois ans de sursit. Finalement, en 1981, Giscard était chassé. Mitterrand était élu, et une majorité socialiste et communiste entrait à l’assemblée nationale.

1981 : un front populaire fin de siècle

La situation de 1981 était manifestement différente de celle de 1936. La période 1936 avait été marquée par l’intensité des affrontements de classes, la brutalité de la crise économique, les bouleversements révolutionnaires et contre révolutionnaires dans toute l’Europe et ailleurs.

En 1981, économiquement, la situation semblait généralement bien meilleure : on était encore dans le prolongement des trente glorieuses. Cela avait contribué, en France et dans les autres grandes puissances, à revigorer le réformisme et la propension des dirigeants ouvriers à être conciliants avec le capitalisme. Mais les puissances impérialistes avaient dû abandonner, en deux décennies, la quasi-totalité de leurs positions.

L’empire français avait subi une rude défaite en Algérie, les États-Unis avaient politiquement perdu au Vietnam tandis que l’empire portugais se fissurait. Dans les métropoles impérialistes, le prolétariat avait gagné en puissance, et les salariés étaient désormais très majoritaires. La vague de 1968 balaya l’Europe tout entière : les braises de la révolution rougeoyaient de nouveau. La grève générale ébranlait le régime gaulliste, puis De Gaulle était défait lors du référendum de 1969. C’est dans cette situation, différente de celle des années trente, mais menaçante pour l’ordre bourgeois, que le parti socialiste et le parti communiste jugeaient nécessaire, avec les radicaux, de nouer une alliance.

Cette alliance, qui accéda au pouvoir en 1981, était fondamentalement de même nature que celle nouée en 1936 : il fallait canaliser le mouvement des travailleurs et de la jeunesse, protéger l’État bourgeois et le système capitaliste.

Dans ces mêmes années soixante-dix et quatre-vingt, l’ordre capitaliste fut également ébranlé au Portugal, en Espagne et en Grèce. Les dictatures s’effondraient sous les coups de buttoir des masses populaires (1974 en Grèce et au Portugal…..). Dans le prolongement de ces bouleversements, sous des formes différentes selon les situations et le moment, furent mis en place des gouvernements de collaboration de classes dont certains furent d’authentiques gouvernements de fronts populaires. C’est le cas par exemple du gouvernement constitué en Grèce par le Pasok en 1981 (soutenu dans un premier temps de l’extérieur par le KKE).

Pour ce qui concerne la France, le gouvernement d’Union de la gauche mena une politique qui découragea rapidement les travailleurs qui avaient voté pour Mitterrand et pour les députés du PS et du PCF. Il y eut le tournant de la rigueur, la préservation du financement de l’école privée …et le respect scrupuleux des institutions de la V° République.

Le gouvernement d’Union de la gauche ne tint donc pas longtemps. Puis Il y eut différentes combinaisons gouvernementales de 1984 à 1995, sans le PCF, avec ou sans le PS, mais toujours avec Mitterrand comme président. Le cadre de la cinquième République, si important pour la bourgeoisie française, était préservé.

Finalement, avec l’élection de Chirac comme président en 1995, la bourgeoisie reprenait en main tous les leviers de l’État. Mais la lutte des classes ne cessa pas pour autant. Bien au contraire. A peine élu, Chirac se heurtait à la puissante grève de novembre-décembre 1995, et subissait un échec. Au même moment, le gouvernement (comme la bourgeoisie française) se divisait face aux exigences de l’Allemagne. Chirac capitulait et, à Dublin, acceptait les critères dictés par Berlin pour garantir la solidité de l’euro.

Cette capitulation exacerba la crise y compris au sein du parti de Chirac. Celui-ci tenta une manœuvre pour reprendre la main. Ce fut la dissolution de l’assemblée nationale, manœuvre imaginée par De Villepin mais qui, contrairement à ce que tout le monde prévoyait, se termina par un plouf spectaculaire. L’admirateur de Bonaparte avait conduit son maître à la plus ridicule défaite : une majorité (relative) de députés du PS et du PCF se retrouvait propulsée sur les bancs de l’assemblée nationale au printemps 1997.

1997, le gouvernement de la gauche plurielle : un front populaire aux édulcorants

Ceux qui furent tout autant surpris que Chirac et Villepin des résultats de la dissolution ratée, ce furent les dirigeants du PS et du PCF. Ils n’avaient pas imaginé trois mois auparavant qu’ils allaient devoir constituer si vite un gouvernement. Et, pendant que Chirac pensait ses blessures, Jospin reconstruisit en catastrophe une majorité analogue (bien que différente) à celle de 1981, avec notamment le renfort des Verts.

Cette nouvelle combinaison gouvernementale ne correspondait pas à la même situation qu’en 1981, ni en France ni à l’échelle internationale. La période des années quatre vingt dix était notamment marquée par la dislocation de l’URSS et la réintroduction du capitalisme à l’est de l’Europe, par un recul général des mobilisations ouvrières.

Mais la lutte des classes n’avait pas disparu et le mouvement spontané, comme on l’avait vu en 1995, pouvait d’autant plus facilement surgir que Chirac venait de subir en ce printemps 1997 une défaite imprévue. Le but de Jospin était donc de consolider une digue fragilisée. La première décision fut de respecter, une fois encore, la cinquième République, de ne pas exiger le départ immédiat de Chirac. Puis de constituer, avec la pleine participation du PCF, des Radicaux (de gauche) et des Verts un gouvernement d’alliance cohabitant avec Chirac. Dans cette mesure, on doit considérer que ce gouvernement était aussi un gouvernement de front populaire, mais un front populaire complètement édulcoré, qui n’avait ni les couleurs violentes de 1936 ni celles, encore vives, de 1981 .

On pourrait discuter longuement du bilan de ce gouvernement de gauche plurielle, et des mobilisations qu’il provoqua du fait de sa politique. Mais en 2002, à l’heure du bilan, les travailleurs firent sobre : ils tournèrent le dos à Jospin (et aux autres candidats issus des partis « ouvriers »). Au soir du premier tour, la défaite était sans précédent : seuls Chirac et Le Pen restèrent en lice pour le second tour, lequel fut marqué par une véritable hystérie « anti-fasciste » impulsée par ceux là même qui avaient organisé cette défaite. Rappelons simplement que ce fut François Hollande, avant même que Jospin ne parle, qui appela au soir du premier tour à voter pour le très réactionnaire Chirac contre l’ultra-réactionnaire Le Pen.

2002 : La fin des fronts populaires ?

Cette défaite sembla clore toute une période ouverte en 1981. L’heure était à la réaction ouverte. Et le PCF, oubliant qu’il avait pleinement participé à ce gouvernement, considéra qu’il n’y avait plus désormais d’alternative gouvernementale possible avec un Parti socialiste gravement affaibli. Les attaques se multiplièrent contre le « social-libéralisme », cet étrange concept qui laisserait croire que ce n’est pas depuis 1914 mais seulement depuis peu que les partis sociaux démocrates protègent le capitalisme. Et Besancenot refusa de donner une consigne de vote pour le second tour des élections législatives qui suivirent.

Mais une fois encore, la lutte des classes fut trop tôt enterrée : il y eut la puissante mobilisation du printemps 2003, puis la défaite du parti de Chirac aux élections régionales de 2004. Il y eut la mobilisation des lycéens au printemps 2005 et la mobilisation contre le traité européen, qui se termina par la victoire du « Non ». Il y eut la mobilisation contre le CPE en 2006, qui s’acheva par une raclée infligée à Chirac et Villepin avec l’abrogation du CPE.

Mais la direction du PCF maintint son cap : la ligne politique de Robert Hue avait fait son temps, et Marie George Buffet prit sa place. Certes, le PCF participa sans état d’âme aux exécutifs régionaux avec le PS après qu’aux élections régionales de 2004 les listes « de gauche » aient emporté 20 des 21 régions. Mais la direction du PCF tint bon sur l’essentiel : il n’y avait plus d’alliance gouvernementale possible avec le Parti socialiste.

Ainsi, en mars 2004, Marie-George Buffet expliquait sereinement : « L’alternative (…) est aux abonnés absents. Face à la déferlante de la droite, la gauche est atone. (…). Nous ne voulons pas d’une alternative à vie entre Blair et Thatcher dans notre pays ». Et Alain Krivine déclarait de manière péremptoire, alors même que le PS sortait vainqueur des élections régionales : le parti socialiste « a perdu définitivement son audience dans la classe ouvrière ». La suite allait montrer que ce n’était pas si simple.

Cette orientation fortement « anti-PS » du PCF (reprise de manière caricaturale par la LCR, LO et le PT-POI) paraît, de manière très affaiblie, comme un lointain écho de l’orientation du PCF du début des années trente, d’avant la mise en place d’une politique front populiste. Cette politique de division, refusant tout combat pour le front unique, se poursuivit jusqu’en 2007 puis se prolongea jusqu’à ces derniers mois.

Il est vrai que l’orientation du Parti socialiste, de plus en plus ouvertement défenseur du système capitaliste, donnait en abondance de l’eau à son moulin. En témoigne la candidature de Royal tout entière tournée vers Bayrou. Royal fut battue. En témoigne également la modification de la déclaration de principe du PS, en 2008, qui se réclame désormais (en y rajoutant l’écologie) de « l’économie sociale de marché », c’est-à-dire de l’économie capitaliste telle qu’elle fonctionne en Allemagne et à laquelle se réfère explicitement le traité de Lisbonne. Par ce texte fondamental, le parti socialiste renonce explicitement à la socialisation, même progressive, des moyens de production et d’échanges. Il renonce à combattre pour tout autre mode d’organisation sociale que le capitalisme. C’est l’alignement ouvert et explicite sur le blairisme et l’actuelle social-démocratie allemande.

La lutte des classes n’en continua pas moins : à l’université d’abord dans les mois qui suivirent l’élection de Sarkozy, puis fin 2008 et en 2009 à l’Université encore et dans de nombreux secteurs, avivée par les conséquences de la crise économique, et culminant d’une certaine manière avec les manifestations du 29 janvier et du 19 mars 2009. Mais cela fut alors soigneusement cadenassé par la politique des journées d’action et du dialogue social avec le gouvernement.

Un espace à gauche ?

C’est en relation étroite avec cette situation que furent constitués le NPA et le Parti de Gauche. Le lancement de ces deux organisations parut possible à ses initiateurs parce qu’à l’évidence s’ouvrait un espace politique à la gauche du Parti socialiste, espace que le PCF en pleine déliquescence était désormais incapable d’occuper. Et le lancement de ces deux organisations, avec leurs spécificités, répondait – au moins en partie - à l’aspiration d’un nombre croissant de salariés et de jeunes recherchant un nouveau parti pour affronter le capitalisme, dégager une issue politique et avancer vers le socialisme. C’est ce qui explique le succès initial, voire l’indéniable enthousiasme, qui accompagna la proclamation de chacune de ces deux organisations.

Un an après, la situation de ces deux organisations est devenue plus difficile du fait notamment d’une situation politique qui a nettement évolué, et qui conduit le parti communiste à se disposer autrement.

Un changement de situation : l’appréciation du PCF

Il convient d’être attentif à l’analyse de la situation politique faite par le PCF au lendemain de ces élections régionales. Que le lecteur en partage ou pas chacun des aspects, c’est de cette analyse faite par le PCF que découle l’orientation politique qu’il met en œuvre. Or, pour la direction du PCF, les résultats de ces élections marquent une modification majeure de la situation, jugée qualitativement différente de celle qui prévalait au lendemain des mobilisations du printemps 2009 et des élections européennes.

Dans son rapport, Pierre Laurent donne d’abord le cadre : « une crise sans précédent du système capitaliste » et, « depuis le début de l’année 2009, des mouvements sociaux continus, très importants et très divers ».

Puis il dégage la différence entre les résultats électoraux du printemps 2009 et ceux de 2010 : « lors des élections européennes, ce climat avait pourtant débouché sur une situation politique encore très contrastée … l’UMP avait réussi à obtenir, dans un contexte de défiance déjà massive à l’égard de la politique gouvernementale, un succès relatif » tandis que le Parti socialiste connaissait « une très sévère défaite ».

Cette fois-ci, « c’est un véritable rejet, massif et populaire, qui s’est installé dans le pays et qui vient de s’exprimer dans les urnes ou dans l’abstention », et « Nicolas Sarkozy est cette fois manifestement sonné par l’ampleur de la sanction. C’est un fait nouveau essentiel ».

Or, si « le niveau d’abstention traduit une défiance plus globale à l’égard de l’action politique et une insatisfaction persistante en matière d’alternative politique à gauche (…), il n’en reste pas moins que le troisième fait politique marquant est l’ampleur de la poussée à gauche ».

C’est notamment le cas « des listes conduites par le PS qui est au-delà de ses espérances puisque non seulement il est très largement en tête de la gauche mais il devient la première force politique du pays ». C’est donc une « situation totalement différente de l’élection européenne, cette fois dans le cadre d’une poussée très forte du PS ».

Dès lors, une question majeure se pose pour le PCF : « Dans quelle situation politique nous trouvons-nous au lendemain de ces élections régionales ? D’abord et avant tout dans un contexte d’amplification prévisible et dramatique de la crise capitaliste », ce qui signifie « une intensification de l’affrontement de classe » en particulier face aux réformes. « Ce climat peut conforter la combativité politique et sociale sans laquelle rien n’est possible face à la droite au pouvoir (…). En même temps (…) tout montre que le défi de la construction d’une alternative reste entier ».

C’est face à cette situation qu’il juge nouvelle que le PCF propose notamment « un Front de gauche d’une nouvelle dimension, un Front social et intellectuel d’actions et de projets, un Front populaire pour une alternative à gauche ».

A l’évidence, pour le PCF, il est temps de réfléchir rapidement à une possible et prochaine alliance de type front populaire. Faute de quoi, avec le développement de la crise, le mouvement spontané des masses pourrait devenir menaçant.

Un front populaire en perspective ?

Cela ne signifie en aucun cas que le PCF a définitivement changé de fusil d’épaule. La situation reste ouverte. S’il le peut, il maintiendra deux fers au feu. Il peut aussi s’engager dans une alliance avec le PS, Europe Ecologie et divers groupuscules bourgeois puis faire marche arrière comme il le fit entre 1977 et 1981. Rien n’est écrit d’avance. Tout dépendra des développements de la lutte des classes et de la crise gouvernementale, en relation avec l’évolution de la situation économique.

Mais, manifestement, la roue tourne. Un premier signal en avait été donné en septembre lorsque MG Buffet avait invité Martine Aubry à la fête de l’Humanité et lui avait proposé de participer à des ateliers de réflexion programmatique. Pour Jean Luc Mélenchon et le PG, cela avait été un moment difficile à passer. Puis il y avait eu la campagne électorale : le cadre du front de gauche semblait tenir.

Pourtant, sans opposition de la direction nationale, le PCF s’engageait dans quatre régions aux côtés du PS et de quelques représentants bourgeois sur des listes communes dès le premier tour.

Et, au lendemain du second tour, il était vain de nier l’évidence : presque partout, le PCF et ses élus décidaient de participer aux exécutifs régionaux avec le PS et les Ecologistes. C’était un choix annonciateur de retour à de vieilles alliances. Mais cela ne sauve pas pour autant le PCF. Au contraire, sa crise ne fait que s’accentuer, et c’est au lendemain de ces élections régionales qu’une nouvelle vague de départ de militants et élus du PCF a été annoncée.

Le PG quant à lui décidait de ne pas intégrer les exécutifs.

Front unique contre front populaire : forme et fond

Reste la question décisive du programme. La rencontre de mesdames Aubry, Duflot et Buffet avec les journalistes entre les deux tours, pour aussi emblématique qu’elle soit, ne donne pas un programme. Et tant qu’il n’y a pas de « programme commun », il peut difficilement y avoir gouvernement commun.

Or, on l’a vu, le programme du PS est désormais sans équivoque. Si besoin était, il suffit d’écouter ce qu’explique à la radio Pierre Moscovici : « Je suis un réformiste. Je suis un social-démocrate. Nous avons écrit dans notre déclaration de principes, il y a deux ans, que nous acceptions l’économie de marché. Nous fonctionnons évidemment dans ce cadre-là. Nous ne sommes pas de doux rêveurs et donc nous voulons passer un compromis plus dynamique avec l’économie de marché. Nous voulons la réguler. Nous voulons en corriger les excès. Nous voulons réduire les inégalités qu’elle engendre ».

Or Moscovici a été chargé, au sein du PS, de la synthèse des débats sur le nouveau modèle de développement « économique, social et écologique ». Quand ce même Moscovici explique que, en ce qui le concerne, il « n’aime pas trop » l’expression de « coup de barre à gauche » employée par des journalistes pour qualifier les dernières déclarations d’Aubry, on doit donc pouvoir le croire.

Il suffit d’ailleurs de lire les dernières déclarations de Martine Aubry concernant la société future dont elle rêve avec le PS : « Il faut passer d’une société individualiste à une société du "care", selon le mot anglais que l’on pourrait traduire par "soin mutuel" : la société prend soin de vous, mais vous devez aussi prendre soin des autres et de la société. ». C’est sans doute la première fois qu’une responsable du PS utilise cette notion anglo-saxonne du care dans le débat public. Mais les mots ont un sens : quels sont ceux dont la société prendrait soin et qui auraient, en échange, des « devoirs » de soin « pour les autres » ?

On connaît déjà une partie de la réponse : c’est le « devoir » de tutorat des étudiants à l’égard des plus jeunes, c’est le « devoir » des étudiants de Master à l’égard des élèves qui leur seront confiés (sans contrepartie salariale), c’est le « devoir » de tous les jeunes à travers le Service Civique (volontaire en attendant de devenir quasi obligatoire), c’est aussi le « devoir » des retraités (grassement payés comme chacun sait) de s’occuper des petits enfants et des conjoints impotents : autant de places en crèches de gagnées, autant de classe maternelles fermées, de postes d’enseignants supprimés, de maisons de retraites médicalisées et de lits d’hôpitaux économisés !

C’est donc un programme franchement réactionnaire que prépare le Parti socialiste. Sur le fond, Europe Ecologie n’aura pas de mal à suivre. Et le PCF ? Cela sera sans doute difficile à avaler pour nombre de militants. Mais le PCF participa imperturbablement, on l’a vu, à la mise en œuvre de la politique des précédents fronts populaires, avec notamment un ministre PCF qui organisa la privatisation d’air France.

S’il l’estime nécessaire, le PCF le fera de nouveau. Le fait qu’il ait, sans la moindre nuance, accepté le programme fort réactionnaire du PS et d’EE pour participer aux exécutifs régionaux ne peut laisser aucune illusion à ce sujet.

Parce que, quant au fond, il y a un lien étroit entre le fond et la forme des alliances de front populaire, celles que l’on a connu dans le passé et celle qui est esquissée aujourd’hui par la rencontre Aubry-Duflot-Buffet : une alliance qui respecte les institutions réactionnaires, qui intègre autant que faire se peut des organisations bourgeoises et qui met en avant un programme qui tourne le dos aux revendications ouvrières.

Cela a une conséquence : il n’est possible de construire « un nouveau parti » que si ce parti se dresse contre cette politique ; qu’il avance notamment, des revendications correspondant aux besoins des travailleurs (non aux besoin d’un capitalisme en crise) et qu’il formule une alternative gouvernementale en rejetant tout autant la division entre partis ouvriers que l’alliance (sous couvert d’unité ) avec des forces bourgeoises. En clair : une politique qui s’appelait en son temps et à juste titre une politique de front unique.

Serge Goudard. Le 23 avril 2010.

P. S. Nombre d’aspects ne peuvent être traités, ou n’ont pu être qu’esquissés, dans les limites de cet article. Si besoin, on reviendra sur certaines questions laissées dans l’ombre.

Mais on ne peut manquer de renvoyer d’ores et déjà le lecteur intéressé aux très nombreux travaux de Trotsky sur cette question qui, si l’on veut bien tenir compte des différences de situations, sont d’une utilité majeure pour apprécier l’actuelle situation.

Alliances à gauche : Essayer de construire une alternative politique au présent (réponse partielle à Serge Goudard par Jacques Serieys )


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message