"On privatise tout" Poème de José Saramago, prix Nobel de littérature

jeudi 27 octobre 2016.
 

« On privatise tout, on privatise la mer et le ciel,

on privatise l’eau et l’air, on privatise la justice et la loi,

on privatise le nuage qui passe,

on privatise le rêve, surtout s’il est diurne

et qu’on le rêve les yeux ouverts.

Et finalement, pour couronner le tout et en finir avec tant de privatisations

on privatise les Etats, et on les livre une fois pour toutes

à la voracité des entreprises privées,

vainqueurs de l’appel d’offre international

Voilà où se trouve désormais le salut du monde...

Et, en passant, on privatise aussi

la pute qui est notre mère à tous »

José Saramago, dans les Cahiers de Lanzarote

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1) Quelques citations de José Saramago

"Humanité

Ils ont raison les sceptiques quand ils affirment que l’histoire de l’humanité est une succession infinie d’occasions perdues. Heureusement, grâce à la générosité inépuisable de l’imagination, nous allons maintenant boucher ce manque, remplissant des lacunes du mieux que nous pouvons, imposant des passages dans les impasses sans issue, inventant des clés pour ouvrir les portes orphelines de serrure"

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"Penser, Penser

Nous avons eu besoin du travail de pensée et je pense que, sans idées, nous n’irons nulle part.

Citation de José Saramago, actuellement en page d’accueil de son blog

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"L’échec du capitalisme financier, aujourd’hui si évident, devrait nous aider dans la défense de la dignité humaine par dessus tout."

José Saramago, La Vanguardia, Barcelone, le 10 décembre 2008

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Les traductions du portugais relèvent de mes faibles compétences

Jacques Serieys

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"Merci d’avoir été la voix des sans-voix, de s’être fait l’écho de ce peuple, de ces travailleurs qui font l’histoire et qui sont les oubliés de l’histoire."

Communiqué du Parti Communiste Portugais

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2) Du serrurier fils de paysans pauvres du Ribatejo au prix Nobel

Enfant d’une famille de paysans pauvres du Ribatejo, au sud de Lisbonne, serrurier de formation, rien ne prédestinait José Saramago à devenir le premier et unique, à ce jour, prix Nobel de Littérature lusophone. Et pourtant, lui qui ne connut la renommée que la soixantaine passée avec son troisième roman, publié en 1982, Le dieu manchot,sut être le digne continuateur des grandes figures de la littérature portugaise, de Eça de Queiroz à Fernando Pessoa.

Considéré comme un maître dans le maniement de la langue portugaise, adepte d’une prose au style inimitable, faite de longues phrases interminables mêlant discours direct et indirect, José Saramago n’a jamais sacrifié ses inquiétudes par rapport au sens du monde dans lequel il vivait à son imagination débordante. Au contraire, elles l’alimentaient. Dès sa première œuvre postérieure à la Révolution d’Avril, « Levantado do chão » (Redressé du sol), qui relate les luttes des petits paysans de l’Alentejo contre les latifundistes depuis la fin du XIXème siècle jusqu’à la Révolution d’Avril, ses préoccupations sociales et ses opinions politiques imprégnaient ses œuvres sans jamais, pourtant, les alourdir.

Athée et libre-penseur, il ne fut connu du grand public qu’à partir du scandale causé par son « Évangile selon Jésus-Christ », publié en 1991 et qui déclencha les foudres de l’Eglise catholique portugaise et surtout vaticane. L’Osservatore Romanoqualifiant alors sa « vision de profondément anti-religieuse ». Fatigué de cette hystérie cléricale, Saramago s’exilera alors sur son île de Lanzarote, où il continuera son œuvre littéraire ainsi que la rédaction de Cahiers de réflexion politico-philosophiques (les Cahiers de Lanzarote).

C’est dans le genre de la parabole que Saramago parvint à manier, avec le plus de brio, son imagination débordante et sa passion pour l’histoire et la politique. Critique truculente de l’Union Européenne dans le « Radeau de pierre », où Saramago imagine amusé une péninsule ibérique dérivant loin des ambitions hégémoniques de l’Europe et du Nord, et faisant cap sur le sud. Critique de l’expansion phagocytaire capitaliste et de l’argent-roi dans « La caverne ». Critique de la bureaucratie envahissante dans « Tous les noms ».

Saramago préférait interpeller plutôt que donner des leçons, appeler à la vigilance face aux processus de déshumanisation, et dont chacun peut se faire complice, victime d’un « Aveuglement » collectif. Appel à la « Lucidité » avant tout, y compris envers la sacro-sainte démocratie, minée par les forces de l’alternance tuant toute alternative, l’absence de perspectives qui pousse le peuple à la révolte et sert de prétextes à la réaction la plus brutale.

L’immense œuvre du Prix Nobel de Littérature ne peut se synthétiser en quelques formules, ni se résumer à ses engagements politiques. Néanmoins, qui ne comprend son engagement de toute une vie, sans renoncement, ne peut comprendre toute la profondeur de son œuvre.

Car José Saramago fut un militant communiste de 1969, date de son adhésion sous la dictature salazariste, à sa mort. Il n’a jamais renoncé, est toujours resté fidèle au Parti, et n’a jamais cédé aux sirènes modernisatrices et liquidatrices, car le fils de paysan du Ribatejo conserva envers le parti une gratitude éternelle. En 2009, il avait accepté de figurer sur la liste du Parti Communiste Portugais pour les européennes, à titre symbolique.

Il fut un homme de combats, toujours ouverts aux nouveaux élans émancipateurs. Défenseur inlassable du socialisme Cubain, observateur attentif et enthousiasmé des expériences latino-américaines, avocat de la cause palestinienne contre l’occupation israélienne (jusque dans ses romans et « L’Histoire du siège de Lisbonne » qui peut se lire aussi ainsi), il regardait avec amertume et perspicacité les démocraties libérales européennes creuser le fossé entre gouvernants et gouvernés, démocratie proclamée et démocratie de fait, entre peuples élus et peuples déchus. Cette rage au ventre, cet espoir dans le cœur a animé jusqu’à son dernier souffle son élan créateur.

Source : http://solidarite-internationale-pc...

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3) José Saramago, écrivain des frontières

José Saramago vient de nous quitter… Il s’est éteint, à l’âge de 87 ans, sur l’île espagnole de Lanzarote (Canaries), où il résidait depuis 1992. On le savait malade – il avait été hospitalisé à plusieurs reprises ces dernières années pour des problèmes respiratoires –, mais la nouvelle est une onde de choc pour qui aura encore vu l’écrivain, adulé de ses lecteurs, dédicacer cet hiver à Lisbonne, sans défaillir et serein, près de cinq cents exemplaires de son dernier ouvrage polémique, Caïn (1).

L’œuvre et la vie de José Sarmago auront été placées sous le signe de la polémique. Et de l’engagement. Il aimait empêcher de « penser en rond », excécrant l’injustice et l’abus de pouvoir. Il s’affichait communiste et libertaire, comme on affiche un idéal d’utopie et de transformation du monde. Sa voix était aussi celle des sans-voix. Une voix audible et reconnue de par le monde, dont l’écho était porteur de tempêtes, et qui laisse un silence immense.

José Saramago eut un destin hors du commun. Né en 1922 à Azinhaga, un petit village du Ribatejo situé à une centaine de kilomètres de Lisbonne, fils de paysans pauvres, il quitte l’école très tôt pour travailler, enchaînant divers métiers, de serrurier à traducteur. Autodidacte, passionné par les livres, il publiera son premier roman, Terra do pecado (Terre de péché), en 1947. Mais c’est en 1976 avec Levantado do Châo (non traduit en français, littéralement : « soulevé de [la] terre ») qu’il entre véritablement en littérature, et avec Memorial do covento (Le Dieu Manchot, publié en France en 1987) qu’il acquiert une véritable notoriété littéraire internationale.

Entre temps, la révolution des œillets (25 avril 1974) a fait son œuvre et José Saramago s’y engage corps et âme. Il lui consacra d’ailleurs une pièce de théâtre, A noite (La Nuit). Il bascule avec tout un peuple de la dictature à la démocratie. Il est et restera de tous les combats.

En 1992, son livre L’Évangile selon Jésus-Christ est censuré. Il est fortement attaqué par l’Eglise et accusé de « porter atteinte au patrimoine religieux des Portugais ». C’est à ce moment qu’il décide de s’installer en Espagne.

Lorsqu’il reçoit le prix Nobel de littérature en 1998 (attribué pour la première fois à un auteur de langue portugaise), c’est une reconnaissance immense et historique. Nombreux sont les Portugais à s‘identifier à cet écrivain dont l’itinéraire est emblématique.

Romancier et essayiste, Saramago était aussi un poète dont les préoccupations sociales et politiques croisaient les exigences esthétiques. Il s’est élevé contre toutes les injustices. Il a soutenu le combat des paysans sans terre brésiliens, lui qui en connaissait si bien l’histoire, tellement proche des paysans portugais métayers de son enfance. Il a élevé la voix pour les Palestiniens. Il s’est rendu à Ramallah, en mars 2002, dans le cadre de la délégation du Parlement des écrivains (2). Une expérience qui l’avait fortement marqué. Il avait alors commenté la situation des territoires occupés en des termes très abrupts qui lui valurent d’être accusé d’antisémitisme. Malgré cela, il ne transigea jamais et renouvela sans cesse sa dénonciation de l’occupation israélienne et sa solidarité avec les Palestiniens. Notamment dans Le Cahier (3), un recueil des textes écrits pour son blog de septembre 2008 à mars 2009, où il appelle à la levée du blocus de Gaza. Dans un des derniers billets mis en ligne sur le site (4), il y remerciait l’auteur suédois Henning Mankell pour sa participation à la flottille en faveur de Gaza…

Ce Cahier sera sa dernière réflexion philosophique et politique sur un monde « qu’il faut penser » et ne nous laisse pas d’autre choix que celui de la responsabilité et l’engagement. Des textes écrits souvent rapidement, mais en phase avec son époque et sa société, où il s’est inscrit comme un écrivain immense et comme un homme de combat et de partage.


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