N’opposons pas obligation de réserve et liberté d’expression (par le général Henri Paris)

dimanche 4 avril 2010.
 

Faut-il mettre en cause l’obligation de réserve ?

Le chef d’escadron Jean-Hugues Matelly, de la gendarmerie nationale, en service au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a été sanctionné en mars 2010 pour avoir été le coauteur d’un article paru le 30 décembre 2008, critiquant l’intégration de la gendarmerie nationale au sein du ministère de l’Intérieur, de l’Outre-Mer et des Collectivités territoriales. L’intégration a fait l’objet d’une loi votée le 3 août 2009. Ainsi, la gendarmerie abandonne toute attache avec la Défense. Cette intégration préjuge d’une fusion de la police nationale avec la gendarmerie, lui faisant perdre son statut militaire, statut d’ailleurs effectivement anachronique au sein de ministère de l’Intérieur. La sanction est lourde. Jean-Hugues Matelly est radié des cadres par décret présidentiel pour manquement au devoir de réserve. Il a déposé un référé auprès du Conseil d’État, qui l’a rejeté au motif d’un manque d’urgence. Donc, pas sur le fond.

En outre, la mutation à Haïti du commandant de groupement de gendarmerie de l’Ardèche est à rapprocher de cette lourde sanction. Il a, en effet, publié sur le site de l’association Gendarmes et citoyens une lettre qui n’est guère en faveur de l’intégration de la gendarmerie au sein de ministère de l’Intérieur et pas plus à l’égard des syndicats de policiers.

Cependant, point essentiel, le problème soulevé est celui du devoir de réserve. Qu’en est-il donc en l’occurrence, appliqué à Jean-Hugues Matelly  ? Est-il susceptible ou souhaitable de le réformer  ? À cet effet, la première démarche consiste à analyser, même brièvement, ce qu’est exactement le devoir de réserve. Ensuite, l’examen s’attache au manquement à ce devoir.

Le nouveau statut des militaires précise que le droit d’expression écrit et oral est libre, sans autorisation préalable, sous réserve du respect du devoir de réserve. Ce devoir de réserve consiste en une série de principes qui s’appliquent à tous les fonctionnaires, pas uniquement aux militaires. Il y a ainsi interdiction d’évoquer l’intégralité d’un problème intéressant l’État, pour peu qu’il y ait nuisance caractérisée à ses intérêts. Est proscrite la critique directe d’une décision gouvernementale. L’analyse du cas appelle une série de remarques. Jean-Hugues Matelly est chercheur au CNRS avec l’approbation sinon l’incitation de sa hiérarchie. Il est logique qu’il procède à des recherches dont relève l’article qu’il signe en tant que chercheur, sans faire état de sa qualité de gendarme. Les deux autres auteurs n’ont encouru aucune sanction. L’écrit est largement antérieur au vote de la loi  : l’auteur participe donc à un débat d’idées susceptible d’éclairer le sujet et non à une critique d’une décision non encore prise. L’appréciation quant au manquement est à prendre en fonction de la qualité et du niveau de responsabilité de l’accusé. Celui-ci ne trahit, en outre, aucun secret de défense et n’appelle pas à l’indiscipline.

Si l’on désire une recherche valable en matière de défense et de questions sociales et sociétales, il est nécessaire de ne pas entraver la liberté d’un chercheur.

Les responsables, tant au niveau ministériel qu’à ceux des hiérarchies militaire et policière, s’étaient félicités de la symbiose entre les institutions militaire et policière. Nous avons là un contre-exemple, pernicieux à l’égard de jeunes officiers.

La sanction est pour le moins disproportionnée vis-à-vis de la faute, s’il y en a une. Elle peut s’expliquer par la volonté de donner un coup d’arrêt à un « enfant terrible » qui a déjà clamé haut et fort sa défense de la liberté d’expression au point de faire appel à la Cour européenne des droits de l’homme. Il exaspère. C’est aussi un signal fort à des émules.

Le devoir de réserve demande à être réformé en précisant qu’il ne peut être opposé à la liberté d’expression.


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