"Ma France" au miroir des régionales : des résultats en Midi Pyrénées aux enseignements du premier tour (par Christian Picquet)

jeudi 25 mars 2010.
 

Du dimanche 14 mars au soir jusqu’à ce mardi à 18 heures, j’aurai vécu un authentique marathon dans le but de parvenir à la fusion des trois listes de gauche en Midi-Pyrénées. Harassant, littéralement harassant, pour moi autant que pour mon fidèle compagnon Denis Daumas, qui aura jusqu’au bout tenu le rôle épuisant et souvent ingrat de directeur de ma campagne, je ne saurai trop l’en remercier… Une expérience nouvelle pour moi qui, dans la tradition qui est la mienne, n’avait jusqu’alors jamais eu à me confronter à des tractations aux enjeux aussi importants. Enfin, c’est fait… Le président sortant de la Région, Martin Malvy, y aura mis du sien, même si parfois les discussions furent compliquées pour composer la liste de la gauche fusionnée. Au final, la représentation de chacune des composantes aura été assurée, en proportion exacte du vote des électeurs et électrices de gauche. Nous aurons officialisé l’accord sous les flashs et les spots des caméras, ce mardi, à l’occasion d’une conférence de presse réunissant Martin Malvy, Gérard Onesta et moi-même.

Mon plaisir eût été complet si, la veille du premier tour, la disparition de Jean Tenenbaum-Ferrat n’était venue plonger nombre d’entre nous dans une authentique tristesse. Ferrat le rebelle, Ferrat le lutteur obstiné, Ferrat l’inflexible, Ferrat le héraut de la France des usines et des terroirs, Ferrat l’engagé de toujours aux côtés de ceux qui « ne manquent jamais l’occasion de se faire casser la gueule » dans leur confrontation avec les « pèlerines et les bâtons », Ferrat n’est plus. Ses chants d’espoir, ses créations poétiques empruntes de mélancolie et fréquemment empruntée à Aragon, son courage à défier jusqu’à son dernier souffle la loi des puissants, auront bercé tout mon parcours militant. L’émotion m’étreint toujours autant lorsque j’écoute Nuit et brouillard, Ma France, Ma môme, Camarades et les innombrables autres titres d’un répertoire que je connais presque par cœur. Salut à toi, l’artiste, le camarade, auquel je n’aurai plus l’occasion de soumettre le moindre appel pour la dignité et la justice, auquel tu ne manquais jamais de répondre présent.

Retour sur ma campagne en Midi-Pyrénées

J’en reviens à ma campagne. Dimanche, en Midi-Pyrénées, nous aurons tutoyé les 7%. Avec des pointes à presque 10% (dans l’Ariège) ou dépassant ce seuil (dans les Hautes-Pyrénées), sans parler des percées à 17% dans des bureaux du quartier toulousain du Mirail… Sans pouvoir considérer qu’il s’agit d’un triomphe, le résultat est notable en ce qu’il reproduit approximativement le nombre de voix recueilli aux européennes de juin 2009 (70 000). À cette différence près cependant que, cette année, le Parti socialiste aura pleinement profité de la volonté populaire de sanctionner Nicolas Sarkozy, avec le « bonus » dont il bénéficiait ici en la personne de Martin Malvy, dont le bilan à la tête de la Région est loin d’être négatif, quoique mes camarades du Front de gauche et moi-même n’en partagions pas tous les aspects, ce fut comme ailleurs l’une des raisons de notre entrée autonome dans la compétition. Et puis, Europe écologie aura aussi consolidé son propre espace (un peu moins de 14%), profitant du retard avec lequel s’affirme à gauche un début d’alternative de rupture crédible à l’ordre libéral-capitaliste.

Dans des conditions aussi particulières, nous n’avons rien à regretter, bien au contraire, à la conduite de notre belle campagne (j’y reviendrai dans une note prochaine) ou encore à notre score final, lequel nous place - par ordre décroissant - derrière les résultats à deux chiffres d’André Chassaigne (Auvergne), Alain Bocquet (Nord-Pas-de-Calais) ou Dominique Bucchini (Corse), immédiatement après ceux des listes du Limousin, du Languedoc-Roussillon ou du Centre. Ici comme dans les seize autres Régions où le Front de gauche était présent, un espoir s’est pérennisé, un potentiel s’est encore affirmé, une force a poursuivi sa progression. Séparées, aucune des composantes de notre union n’eût pu espérer reprendre ainsi pied dans le paysage politique de l’Hexagone et sur le champ d’une gauche où le débat est dorénavant ouvert sur la manière de répondre au message que les urnes viennent de délivrer. Aucune n’eût pu seule renouer une relation prometteuse avec ces équipes syndicales ou ces animateurs du mouvement associatif rencontrés en grand nombre ces derniers mois.

Le pays au seuil d’épreuves majeures

Ne tournons pas autour du pot. Les résultats du premier tour de ces régionales marquent un authentique tournant de situation. Non, évidemment, qu’ils ne puissent s’interpréter sous divers paramètres, comme tout scrutin en vérité. Il n’empêche qu’ils révèlent que nous entrons dans une conjoncture riche de potentialités mais aussi lourd d’incertitudes.

1. L’abstention, par exemple, consacre un divorce profond entre le peuple et ceux qui prétendent le représenter.

Elle touche simultanément les secteurs jusqu’alors les plus fidèles à la droite traditionnelle, le phénomène est particulièrement visible dans les départements ayant donné de fortes majorités à Sarkozy en 2007, et l’électorat populaire le plus brutalement touché par le chômage et la précarisation des conditions d’existence. D’évidence, la massivité avec laquelle 53,63% des citoyens ont boudé les isoloirs dimanche révèle une souffrance sociale et une désespérance politique abyssales. Nous, la gauche de transformation, ne sommes d’ailleurs pas épargnés, sinon nos scores eussent été bien plus élevés, si l’on se fie du moins aux innombrables rencontres de terrain ayant jalonné la campagne. Cela dit, le trait dominant de ce retrait des urnes apparaît incontestablement l’exaspération que génèrent les orientations mises en œuvre au sommet de l’État en se conjuguant au discrédit de la représentation politique traditionnelle comme des pratiques institutionnelles.

2. Dans ce cadre, il convient de mesurer l’ampleur du rejet dont l’UMP fait désormais l’objet dans les profondeurs du pays.

La droite réalise sa plus mauvaise performance depuis les origines de la V° République. Pire, elle recule de neuf points sur sa performance déjà catastrophique de 2004. Projeté sur des élections législatives, ce résultat ne lui octroierait qu’une cinquantaine de députés ! Quoi qu’en disent les porte-parole du clan au pouvoir, nous sommes ici en présence d’une sanction sans précédent des entreprises gouvernementales de destruction des grandes conquêtes populaires, de la transformation de l’emploi en variable d’ajustement des dividendes revendiqués par les actionnaires, de la casse des services publics, des inégalités croissantes, de l’hyper-présidentialisation d’un régime sourd comme jamais aux préoccupations de la population. Le regroupement autoritaire de toutes les familles du camp conservateur autour de l’UMP, censé assurer une prééminence au parti présidentiel dans une logique de bipolarisation, n’aura fait qu’amplifier ce mouvement en faisant disparaître tout autre choix à droite. Confirmation est ici donnée que la société française n’est pas plus résignée qu’hier au grand bond en arrière que veulent lui imposer ses dirigeants et que les luttes marquent le pas dans la seule mesure où elles manquent de perspective politique à laquelle elles pourraient s’adosser.

3. Lorsque la colère ne trouve à s’exprimer ni dans les urnes, ni dans des mobilisations convergentes susceptibles de changer le rapport de force, le risque est immense qu’elle se dévoie…

Sans en revenir à son étiage des années 1990, voilà donc que le Front national opère son retour sur la scène politique. Dans douze régions, celles que la crise et les politiques gouvernementales affectent le plus durement, il se retrouve en position de se maintenir dimanche prochain. C’est, une fois de plus, un électorat ouvrier ou, plus grave, en voie de déclassement, qui s’est manifestement saisi de ce bulletin pour faire entendre sa souffrance face aux délocalisations ou à la désindustrialisation de départements entiers. Nombre de celles et ceux qui s’étaient détournés de la flamme frontiste, pour se laisser charmer par cette autre démagogie populiste que sut à merveille déployer Sarkozy en 2007, sont d’autant plus aisément revenus au bercail que la sordide opération bessoniste sur l’identité nationale venait valider les thématiques xénophobes de l’extrême droite. Plus, le vote des beaux quartiers de la capitale en fait foi, une fraction de l’électorat de la droite traditionnelle se sera reporté sur le FN. Bien sûr, ce dernier n’a pas reconquis l’attractivité qu’il possédait lorsque Le Pen accédait au second tour de la présidentielle de 2002, mais on ne saurait plus exclure qu’il se reconstruise dès lors qu’il aura réglé ses problèmes de leadership. Une situation que l’on connaît chez nombre de nos voisins européens, à l’instar des Pays-Bas, de l’Autriche, du Danemark, de la Finlande ou de la Norvège.

4. Autant de facteurs qui devraient conduire les dirigeants du Parti socialiste à ne pas céder aux facilités de l’autosatisfaction, à l’issue d’une consultation qui semble restaurer leur crédit dans la perspective d’une alternance dans deux ans. D’abord, parce que son hégémonie n’est nullement restaurée, la poussée de la gauche s’opérant au bénéfice de toutes ses composantes, Europe écologie et le Front de gauche représentant maintenant un quart des suffrages exprimés à gauche. Ensuite, parce qu’il va lui falloir trancher le débat stratégique qui le tenaille. Sur fond de crise sociale aiguë, ce sont les classes populaires qui auront entre leurs mains l’issue des futures échéances électorales. Retrouver leur écoute supposerait de tourner définitivement le dos à la vulgate sociale-libérale comme aux tentations récurrentes de s’allier avec le centre. Certes, François Bayrou espère encore rebondir grâce à la personnalisation du scrutin présidentiel. Ce n’en est pas moins son impuissance à se doter d’un enracinement local, donc l’étroitesse de sa base sociale, qui vient de déboucher sur le nouvel échec du Modem. Continuer à ignorer les aspirations du monde du travail, comme à propos de la retraite à 60 ans, dans le vain espoir de trouver à droite un réservoir de suffrages conduit droit à des échecs calamiteux. D’aucuns, malheureusement, semblent ne pas vouloir en prendre acte. Il n’est, pour s’en convaincre, que de voir avec quelle brutalité, pour ne pas dire avec quelle volonté d’éradiquer le Front de gauche de leur Assemblée, certains présidents de Région ont négocié les fusions de listes, menant en deux endroits à une pure et simple rupture, au grand plaisir d’un parti présidentiel qui n’en espérait pas tant dans sa déroute… À dire vrai, la même remarque peut s’appliquer à Europe écologie, dont le succès confirmé ne pourra étouffer longtemps le choix auquel cette coalition hétérogène doit faire face : insérer le combat écologique dans une logique de rupture avec un capitalisme dont le fonctionnement sécrète en lui-même le productivisme, ou être le vecteur d’un nouveau « capitalisme vert » et d’une recomposition au centre de la vie publique de ce pays (dans les faits, le pari de Daniel Cohn-Bendit consiste précisément à occuper à la fois l’espace de l’écologie politique et celui sur lequel se déployant jusqu’alors le Modem). De ce côté aussi, le temps de la clarification approche…

5. Voilà pourquoi l’enracinement et le développement du Front de gauche sont si décisifs.

En retrouvant ses scores de l’an passé, et même en des dépassant légèrement (de 185 000 voix, pour être précis), dans les Régions où ses listes étaient présentes, il se révèle la nouvelle réalité incontournable du paysage politique français. Son existence même et la légitimité que lui octroie le rassemblement dont il porte les couleurs seront un encouragement aux rendez-vous sociaux qui s’annoncent à partir de la journée intersyndicale du 23 mars. Sa jonction, tout au long de l’an passé, avec divers secteurs du monde syndical et associatif dessine la possibilité d’une nouvelle collaboration entre mouvement social et forces politiques. La recomposition de la gauche n’en est toutefois qu’à ses premiers pas. L’enjeu, désormais, consiste à savoir affirmer son ambition de conquête d’une majorité autour d’une offre anticapitaliste à la fois intransigeante et responsable. À s’assurer d’une visibilité nationale qui lui a parfois fait défaut à l’occasion de la bataille des régionales. À intervenir de manière unie dans les confrontations sociales et politiques à venir. À se doter non seulement de plates-formes électorales ponctuelles, mais d’un début de projet de société. Tel serait l’objectif des Assises du Front de gauche dont la Gauche unitaire a suggéré l’organisation d’ici la fin de l’année.

6. Dernière touche de ce tableau, la déroute que vient de subir le Nouveau Parti anticapitaliste.

Ce n’est pas uniquement son refus obstiné de l’unité avec le Front de gauche qui se sera vu sanctionner ce 14 mars, c’est d’abord l’évanescence de son projet autant que la vacuité de sa démarche révolutionnariste. Si les résultats électoraux ne déterminent pas mécaniquement le devenir d’un courant ou le bien-fondé de ses choix, des reculs aussi massifs que ceux qu’Olivier Besancenot et ses amis viennent d’enregistrer à deux reprises signent une incontestable crise de perspective… Voire une crise d’identité… En l’occurrence, après avoir claironné qu’il était à lui tout seul porteur d’une alternative en gestation, le NPA s’en est retourné dans l’espace étriqué de l’extrême gauche, où la confrontation avec Lutte ouvrière devient l’unique challenge qu’il peut encore relever. Il peut en résulter une vague de découragement chez ces nombreux militants qui avaient cru trouver dans la nouvelle construction née voici tout juste un an une réponse à leur désir de renouvellement de la politique à gauche. Ils doivent savoir que c’est désormais le Front de gauche qui incarne le mieux leur espoir de reconquête... Et en tirer les conséquences…

Pour résumer…

Divorce entre le peuple et les élites, isolement du clan aux affaires : alors que la folie spéculative des marchés se réinvite spectaculairement en Europe, ce 14 mars révèle un pays d’autant plus au bord de l’explosion que M. Sarkozy ne manque aucune occasion d’expliquer qu’il ne consentira aucun tournant « social » de son action. Sanction d’une droite qui, du fait de la présidentialisation effrénée des institutions, ne dispose plus du moindre « fusible » (le Premier ministre n’est plus qu’un collaborateur sur siège éjectable du président, l’Assemblée nationale est vassalisée comme jamais, les Assemblées locales se verront demain privées de tout pouvoir véritable) : la crise de régime menace de nouveau, avec pour particularité qu’elle aura été provoquée par celui-là même qui en sera la victime dès lors qu’il se retrouvera en première ligne de toutes les épreuves d’ici 2012. Ouverture d’une phase de reclassements accélérés au sein de la gauche : l’issue de la crise politique et sociale qui couve se noue de ce côté-là

Que l’on ne s’y trompe pas, nous entrons dans un moment politique crucial. Les responsabilités de la gauche de combat n’en sont que plus considérables…

Christian Picquet le 18 mars


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