De Nasser à Moubarak De la conquête de l’indépendance à la soumission aux États-Unis

vendredi 5 mars 2010.
 

Lieu stratégique aux confins d’Israël et voie de passage vers l’océan Pacifique, l’Égypte, jadis dominée par les puissances coloniales européennes, 
est passée sous le contrôle de l’Oncle Sam après une brève période d’émancipation.

L’Égypte au confluent de la Méditerranée, du Moyen-Orient et d’un débouché sur l’océan Indien est de longue date un lieu particulièrement convoité. Jusqu’à leur déclin, les empires coloniaux français et britanniques ont jeté leur dévolu sur le pays. Avant que l’empire états-unien ne prenne le relais.

La guerre de Suez, la première d’une série de conflits qui ont jalonné l’histoire moderne du pays, implique encore la France, la Grande-Bretagne, alliées à Israël pour reprendre le plein contrôle du canal du même nom, qui constitue encore aujourd’hui l’une des routes commerciales les plus fréquentées de la planète. Il s’agissait de répondre à la nationalisation du passage vers la mer Rouge décrétée par un certain Gamal Abdel Nasser. Cet officier de l’armée égyptienne était arrivé au pouvoir en 1952 après avoir déposé l’ex-roi Farouk II et proclamé la République. Le royaume, qui vivait sous le protectorat de la Grande-Bretagne depuis la fin de la Première Guerre mondiale, s’émancipe du joug colonial. L’événement suscite un immense espoir au sein de l’opinion égyptienne et arabe. Nasser s’engage à briser les vieilles tutelles. Dont celles des firmes britanniques et, dans une moindre mesure, françaises qui règnent en maîtres sur de grands secteurs de l’économie.

La guerre est déclenchée en 1956 par Tel-Aviv avec l’appui de Paris et Londres. Elle sera un fiasco retentissant pour Israël et les grandes puissances européennes déclinantes. Nasser en retire un prestige considérable parmi les siens et dans l’ensemble du monde arabe, voire du tiers-monde. Et le dirigeant égyptien prend alors une dimension singulière au sein du mouvement des non-alignés.

Au milieu des années 1960, le régime nationaliste, se réclamant d’une doctrine sociale et panarabe, commence toutefois à se fissurer. La réponse apportée à des pressions extérieures, il est vrai considérables, conduit le pouvoir à se recroqueviller et à limiter les libertés publiques. Plusieurs organisations sont interdites, dont le Parti communiste égyptien. Et le pouvoir de Nasser sera totalement ébranlé un peu plus tard après le triomphe éclair d’Israël dans la guerre des Six-Jours (1967). Les États-Unis affirment alors de plus en plus nettement leur volonté de devenir la nouvelle puissance tutélaire sur l’ensemble de la région.

Après la mort de Nasser en 1970, Anouar El Sadate prend les commandes. Bien que dirigeant du même Parti national démocratique (PND) tout-puissant que le défunt président, il se démarque de la politique nassérienne et s’engage dans un rapprochement avec les États-Unis à tous les niveaux. Au nom de l’efficacité économique, on assiste à une première libéralisation de l’économie. Ce qui contribue à creuser les inégalités sociales. Au plan politique, après la guerre du Kippour (1973), perdue à nouveau par les pays arabes, Sadate va jouer la carte de l’entente avec l’ex-ennemi israélien. Jusqu’à l’accord de paix dit de Camp David, qu’il cosigne en décembre 1978 avec Jimmy Carter, président des États-Unis, et Menahem Begin, premier ministre israélien.

En octobre 1981, Sadate est assassiné par des extrémistes musulmans. Ce forfait ouvre l’accès du pouvoir à un autre militaire et homme fort du PND, un certain Hosni Moubarak. L’alliance avec les États-Unis et le rapprochement concomitant avec Israël vont s’accélérer encore. En guise de remerciements, le nouveau despote obtient la restitution du Sinaï à son pays en 1982.

Comme il accélère la soumission politique aux États-Unis et l’intégration à leurs priorités géostratégiques régionales, il précipite d’un même mouvement une mise en coupe réglée du pays pour qu’il se plie à toutes les normes de la mondialisation libérale. Sous l’égide du Fonds monétaire international, un plan particulièrement dévastateur est adopté en 1991. Il met en place une dérégulation des prix alimentaires, de nouvelles privatisations et des mesures d’austérité. Cela donne lieu à un nouvel approfondissement des clivages sociaux. Pour faire avaler ce terrible cocktail, le despote renforce son emprise, plaçant citoyens et salariés sous la surveillance d’un État policier omnipotent.

S’appuyant sur la montée des souffrances populaires, les Frères musulmans étendent leur influence en dépit de la répression. Et les intégristes commettent à intervalles réguliers des attentats contre des cibles touristiques.

Le régime exploite ce danger islamiste pour justifier la répression aux yeux de ses alliés occidentaux. Pour colmater la moindre brèche, il épaissit toujours davantage la chape de plomb et bâillonne consciencieusement la moindre activité de l’opposition démocratique. Jusqu’au soulèvement d’aujourd’hui.

Bruno Odent


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