La social-démocratie doit choisir entre protestation et appétit du pouvoir (par Dennis MacShane, député travailliste britannique)

samedi 8 août 2009.
 

Née de la lutte contre l’exploitation capitaliste au XIXe siècle, la social-démocratie dans ses différentes formes - le travaillisme au Royaume-Uni, le socialisme en France, le modèle social-démocrate en Allemagne et dans les pays scandinaves - a conquis le pouvoir d’Etat au XXe siècle.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? La gauche démocratique est défiée par des partis concurrents qui se réclament de ses valeurs et empiètent sur son électorat. Le national-populisme, bien ancré dans certains partis anti-européens de la droite xénophobe, attire désormais les votants des classes populaires. Les partis anticapitalistes de la gauche populiste briguent une partie du prolétariat et des travailleurs syndiqués de la fonction publique. Les partis écologiques anti-industrialistes ont aussi capté beaucoup de votes progressistes.

Dans le paysage politique dessiné par les européennes, la gauche sociale-démocrate représente au mieux un quart des votants, souvent à peine un cinquième. Le Labour, au pouvoir au Royaume-Uni, a réuni 15 % des voix. Le PS, dans l’opposition depuis 2002, n’a guère fait mieux. Mme Merkel et M. Berlusconi ont battu le SPD en Allemagne et le Parti démocrate en Italie. En Europe de l’Est, les sociaux-démocrates (communistes rebaptisés ou partis neufs), sont relégués dans le camp minoritaire.

Comment expliquer cette crise de la social-démocratie ? On y voit trois raisons. Primo, il est erroné de penser que le contexte de crise économique est bénéfique pour la gauche. Lorsque les citoyens ont peur - pour leur emploi, leurs salaires et l’avenir de leurs enfants -, ils votent de manière défensive et conservatrice. En réponse, la gauche doit offrir une analyse plus élaborée de la nouvelle économie. La dénonciation du néolibéralisme, des riches ou du capitalisme sonne bien à la tribune, mais n’offre pas un modèle alternatif de société. Sans disséquer et comprendre la nouvelle réalité, celle qui rythme la vie et les aspirations des citoyens au quotidien, la gauche continuera de répéter des slogans obsolètes et sans écho aujourd’hui.

Secundo, la social-démocratie parle global, mais agit national. Alors que le capital, la culture et les communications sont transnationaux, la structure des politiques publiques reste prisonnière de l’Etat-nation. La protection des intérêts nationaux - agriculture en France, industrie automobile en Allemagne, banques et City en Angleterre ou secret bancaire en Autriche - continue de prévaloir au détriment d’une politique paneuropéenne. Il est temps de rééquilibrer cette tendance, en fondant l’action nationale dans le discours internationaliste. En même temps, la gauche doit redéfinir sa théorie de la nation, et repenser l’UE comme une institution au service des citoyens.

Tertio, la social-démocratie doit choisir son camp : demeurer une force de protestation et de proposition, ou retrouver l’appétit du pouvoir. Trop de ses idées ont été récupérées et appliquées par la droite. L’étatisation de l’économie et la création de l’Etat-providence pendant les “trente glorieuses” sont des idées de gauche mises en oeuvre par de Gaulle en France, Adenauer en Allemagne, les démocrates-chrétiens en Italie et les conservateurs en Grande-Bretagne. Aujourd’hui, la gauche regorge d’idées mais elle se désintéresse de la tâche politique suprême, la conquête du pouvoir.

La victoire implique des compromis historiques avec le capitalisme, avec la nation et avec les électeurs. Pour l’instant, la gauche européenne se pose en contestataire idéologique pendant que la droite entretient et développe sa pratique du pouvoir. Le Parti socialiste européen peut dénoncer José Manuel Barroso, mais s’il n’est pas capable de proposer son propre candidat à la présidence de la Commission, il prêche dans le désert, ce n’est pas sérieux.

Il existe en Europe un nouveau prolétariat. Pourtant, ces opprimés (immigrants, femmes salariées, pauvres, travailleurs précaires, mères célibataires) ne trouvent pas leur place dans la social-démocratie moderne. Celle-ci a produit une élite composée de technocrates bourgeois formés dans les meilleures universités et les grandes écoles. Elle n’est pas le reflet de la société et de ses inégalités. Où est la gauche d’en bas ? De façon tout aussi symptomatique, les syndicats européens ne sont plus des acteurs majeurs du monde de l’entreprise et ne restent puissants que dans le secteur public. Or la gauche doit réanimer son rapport au syndicalisme. Il y a plus de petites et moyennes entreprises en Angleterre et en France qu’il n’y a de travailleurs syndiqués dans le privé. Une faiblesse majeure de la gauche est de n’avoir plus de relais dans le monde du travail.

La famille européenne sociale-démocrate est diverse. Il n’y a pas de modèle unique, pas de pensée unique. Les réponses politiques doivent s’inspirer de certains des éléments les plus réussis de ces modèles, tout en restant souples et variées. Il ne s’agit pas de transposer, par imitation simpliste, un programme enraciné dans le temps et dans l’espace. La flexicurité (grande flexibilité du marché du travail et forte protection des chômeurs) en est un exemple. Ce système marche au Danemark, où la paix sociale repose sur la conciliation, où les syndicats soutiennent les entreprises qui délocalisent, où les revendications salariales sont modérées et où les fonctionnaires ne font pas grève. En Allemagne, la Constitution interdit aussi le droit de grève à ses quelque 1,5 million de fonctionnaires. Mais envisager une restriction de ce droit à l’échelle européenne ? Impensable ! Pourtant, à moins de penser l’inconcevable, nous sommes condamnés à rester dans nos tranchées faites de désespoirs et de défaites.

Enfin, politique et personnalité vont de pair. La gauche n’a pas de leader convaincant. L’espoir viendra peut-être des nations nordiques, où une nouvelle génération de jeunes femmes est en train de modeler la social-démocratie du XXIe siècle. Elles viendront peut-être remplacer les anciens communistes et socialistes étatistes qui n’ont eu de cesse de rejeter les compromis historiques opérés par un Willy Brandt ou un Felipe Gonzalez. Pour faire naître des leaders audacieux et remobiliser les électeurs, les partis politiques doivent savoir se transformer. Tous, y compris le Labour, doivent s’ouvrir au changement. Mais il est tellement plus facile de répéter les incantations du passé.

Cette tribune, disponible en page d’accueil sur le site national du Parti socialiste, a été publiée par Le Monde dans son édition du 27 juin 2009


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