Gestion des personnels de l’Education nationale : Une vielle pièce jouée par des acteurs désabusés ?

lundi 2 octobre 2006.
 

Pendant plus de trente ans, j’ai moi-même participé à cette représentation. Il m’en reste le sentiment d’une agitation stérile, chacun connaissant les limites de son rôle mais faisant comme si il ne les connaissait pas. Le plus sûr moyen pour que rien ne bouge dans un scénario inaccessible.

L’administration, les corps d’inspection, sont soumis au pouvoir politique détenu par un Ministre et ses conseillers, eux-mêmes étroitement dépendants du Gouvernement. Derrière les gesticulations et les beaux discours, la dimension budgétaire détermine tout le reste.

Bien sûr, des choix peuvent être faits, à la marge, dans cette contrainte budgétaire. Tel ministre mettra l’accent sur certaines disciplines, sur certains types de structures. Mais, au bout du compte, c’est l’importance des crédits votés qui conditionne le fonctionnement du système.

J’en ai pour preuve le poids de la carte scolaire. Chaque année, nous assistons à un jeu de rôles qui, au bout d’un moment peut être déprimant.

Prenons l’enseignement primaire qui se gère au niveau départemental.

Chaque année, l’Inspecteur d’Académie sait que ses attributions budgétaires l’obligeront à prendre certaines décisions en terme d’ouverture ou de fermeture de postes, contestables même par rapport aux critères d’encadrement en vigueur dans le département. Il garde, pour cela, « sous le coude » (c’est le terme consacré) quelques postes qui lui permettront de régler les conflits trop voyants, notamment dans la presse.

Pour justifier ses décisions, il argumente sur le terrain pédagogique. Ces argumentations n’ont de cohérence que par rapport aux grandes orientations définies par le Ministère. Une année, ce seront les petites écoles à cours multiples qui présenteront des dangers pédagogiques et qu’on pourra fermer. Une autre, ce sera la scolarisation des enfants de deux ans qui est déclarée nocive. Ce qui permettra de récupérer des postes en maternelle. Et ainsi de suite. Sans compter qu’une année sur l’autre on pourra renverser l’argumentation. Les petites écoles deviendront indispensables et riches de leur hétérogénéité... La pièce est tellement bien rôdée que tout le monde est désemparé quand on sort, par miracle, du scénario. Dans les années 80, un gouvernement était sorti du système. On s’était retrouvé à la rentrée avec plus d’enseignants que de postes à pourvoir. Cette situation aurait pu permettre de revoir les taux d’encadrement à la baisse. Ou de mettre en place une vieille revendication demandant plus de maîtres que de classes pour envisager une réorganisation de l’enseignement.

Au lieu de cela, dès l’année suivante, nous retrouvions notre bonne vieille balance : ouvertures/fermetures. Des argumentations bidons, des conflits... Les syndicats pouvaient à nouveau protester, mobiliser le personnel et les parents. L’Administration résister jusqu’au moment où elle sortait un ou deux postes « sous le coude » pour calmer le jeu. Et tout rentrait dans l’ordre jusqu’à l’année scolaire suivante.

Les seuls déçus dans l’histoire sont les figurants de la pièce. Ceux qui n’ont pas tout à fait compris ce qui se joue véritablement. Pour quelques parents et enseignants persuadés d’avoir fait plier l’administration par leur « lutte héroïque », combien d’autres, dépités, qui jurent qu’on ne les y reprendra plus ?

Comment faire pour sortir de cette sclérose ?

Il est difficile de faire bouger un tel système où chacun s’accroche à une parcelle de pouvoir plus fantasmée que réelle.

Si l’on parle d’autogestion, on va nous renvoyer à la pagaille, à l’irresponsabilité, à l’incapacité de prendre une décision. Si l’on évoque la co-gestion, ce sont la trahison, la collaboration qui seront mises en avant. Disons que, dans un premier temps, le minimum serait une totale transparence.

Au niveau départemental, il existe des documents recensant la situation de chaque école avec son taux d’encadrement. Y apparaissent aussi les postes spécifiques qui ne correspondent pas directement aux classes. Ce document devrait pouvoir être porté à la connaissance de tous : enseignants, parents, élus... Les choix de l’administration lors de la carte scolaire seraient alors clairement connus, tant au niveau de fermetures et ouvertures que des postes spécifiques créés ou fermés.

D’une année sur l’autre, il serait alors possible à chacun d’apprécier les efforts consentis au niveau national pour le département en question. L’administration garderait, bien évidemment, le pouvoir de décision mais ses choix (ou ses obligations) apparaîtraient clairement et ne pourraient plus être travestis par des discours généraux destinés à défendre coûte que coûte le pouvoir en place. En contre-partie, les actions mises en œuvre par les syndicats, les parents et les enseignants ne seraient plus tributaires du degré de mobilisation pouvant exister dans tel secteur. Mais la définition et la défense collectives de priorités au niveau départemental.

Ce qui signifie, bien entendu, une prise de conscience globale qui dépasserait la défense immédiate des seuls intérêts locaux. Imaginons des revendications majoritaires remettant en cause les orientations d’un Inspecteur d’Académie à l’intérieur de l’enveloppe départementale qu’on lui a attribuée. Là, une action d’envergure aurait quelque chance d’être efficace et d’éveiller la conscience politique de chacun. En espérant qu’un tel mouvement pourrait déboucher à terme, sur une réflexion politique nationale traduite dans les votes nationaux.

Mais ne rêvons pas trop. On entrerait alors dans une autre culture. Contentons-nous d’exiger une totale transparence, une information objective et les moyens de faire connaître les choix du plus grand nombre. C’est déjà beaucoup. Une analyse d’un phénomène récurrent, bien circonscrit, permettra de toucher du doigt la difficulté d’une telle entreprise.

RENDEZ-VOUS SUR LE SITE : http://psyjcjeduc.site.voilà.fr

Vous retrouverez les propositions récapitulées dans les six numéros du CRI et, j’espère, de nouvelles. Chaque proposition renverra à l’article dont elle est issue. Imaginons le recensement des aménagements de notre système éducatif pour plus d’efficacité proposés par les professionnels du terrain. Il y aurait des redites, certains changements seraient sans doute irréalisables... Mais quel formidable outil de réflexion serait alors disponible pour les décideurs de tout poil !

1) Aucune pratique ne peut faire l’économie d’une évaluation de son efficacité. Après avoir clairement défini l’objectif visé, refuser cette évaluation ne peut qu’entraîner la suspicion sur la légitimité des professionnels qui se reconnaissent dans cette pratique.

2) Ne pas reconnaître les limites de nos savoirs dans le domaine de la psychologie et de l’éducation en général est une des causes des défaillances de notre système éducatif. Elle entraîne la confusion, le rejet des responsabilités sur les autres, la tendance à refuser de se remettre en cause et, au bout du compte la sclérose de toute la structure.

3) Les spécialistes de l’Education devraient pouvoir élaborer des outils didactiques validés par la communauté scientifique et justifiant leurs théories. Mis à la disposition des enseignants, ces outils permettraient à ces derniers de se consacrer à l’analyse des mécanismes d’apprentissage de leurs élèves. La vraie liberté pédagogique se situerait alors dans le choix de ces outils et dans l’aménagement des tâches proposées en fonction du profil des élèves.

4) Le dépistage précoce des difficultés de développement chez l’enfant peut être une très bonne chose à condition de respecter quelques principes incontournables :

il doit être pratiqué par des spécialistes utilisant des outils reconnus par tous, quels que soient leur modèle de référence (neuro/psycho/socio...)

Il ne doit être mis en œuvre que si on peut proposer à l’enfant une aide dont l’efficacité a été validée.

Il doit rester confidentiel, ne pas être archivé quand la difficulté est surmontée ni être utilisé hors de la structure où il a été pratiqué.

5) L’évaluation des connaissances a priori, avant d’aborder toute notion nouvelle, les passages anticipés dans la classe supérieure en fonction de ces connaissances, peuvent aider au bon ajustement de la vitesse et des méthodes d’apprentissage à la majorité des élèves d’une classe. Cet ajustement limitera les difficultés créées chez des enfants aux aptitudes moyennes par l’alignement des demandes des maîtres sur les élèves les plus performants.

6) Il serait souhaitable de réfléchir à une gestion des crédits de l’Education Nationale au rythme de l’année scolaire et non de l’année civile. Cette gestion devrait être totalement transparente (pour les enseignants et les parents), le plus possible déconcentrée , et respecter le principe de subsidiarité. Le responsable de chaque secteur ne devrait intervenir qu’après avoir sollicité un travail collectif de propositions.

7) Les mécanismes de coopération devraient être développés à tous les niveaux. Dans le cadre de l’enseignement en classe mais aussi dans l’exercice du métier d’enseignant. A la structure fortement hiérarchisée actuelle devrait se substituer une structure dans laquelle chacun, à sa place, devrait assumer pleinement ses responsabilités .L’inspection notation actuelle devrait être remplacée par l’élaboration collective d’objectifs évalués conjointement par les enseignants et les inspecteurs.

8) La gestion de la carrière des enseignants (avancement, mouvement...) devrait être uniquement liée à la difficulté des postes occupés. Les plus chevronnés (expérience, formation...) seraient ainsi les mieux rémunérés sous réserve d’occuper ces postes difficiles.


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