Les ailes du désir contre la burqa

mercredi 5 août 2009.
 

Pour Jean-Paul Brighelli, ce n’est pas au nom de la laïcité qu’il faut proscrire le voile intégral, mais au nom du désir, expression de la civilisation.

C’est l’été. Autant se laisser aller, avec le reste de la presse, à un peu de fantaisie déshabillée.

D’autant que l’actualité nous y incite : à l’initiative de 58 députés de tous bords, que je salue, une Commission parlementaire se penche désormais sur la question de savoir s’il faut autoriser en France les horreurs obscures qui réussissent si bien en Afghanistan et au Pakistan.

Ne reculant devant aucun sacrifice, Bonnetdane apporte ici sa contribution au débat qui enflamme déjà les burqas — façon de parler…

« Ô toison moutonnant jusque sur l’encolure !

Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !

Extase ! »

Baudelaire aurait-il voulu mettre Jeanne Duval sous une burqâ ou un niqab ? Pas même un voile, sinon celui dont les peintres de la Renaissance couvre Sabina Poppea, transparence voluptueuse, robe qui déshabille si bien… « La très-chère était nue… » — et elle l’est restée, pour le plus grand plaisir du cher Charles et des lecteurs des Fleurs du mal. Voici qu’il est à nouveau question de vêtures islamiques, et nos élus se demandent doctement s’il faut autoriser, dans l’espace civil, ces premières avancées des invasions barbares. La question est presque inconvenante. Non seulement la réponse est non, mais c’est l’ensemble des signes imposés d’infériorité féminine qu’il faut proscrire.

La loi de 2004 se contentait d’interdire le voile islamique, comme tous les autres signes d’appartenance religieuse, dans les écoles. Pourtant certains, à gauche, s’offusquaient déjà d’une loi qui, selon eux, interférait avec la liberté de conscience. La liberté de conscience d’enfants manipulés ? La liberté de conscience de filles au pouvoir des grands frères ? La liberté de conscience de « croyants » dont la foi n’est faite que d’exclusions, d’obsessions refoulées et de haine du désir, et se promènent avec un harem dans la tête ?

Raisonnement de barbares

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : les voiles ont pour objet de cacher les cheveux, les mains, le visage, et le reste du corps, de femmes dont on craint qu’elles inspirent le désir. Sorcières !

C’est en reconnaître, au fond, la toute-puissance — on a toujours craint le corps des femmes, et toute l’histoire contemporaine est l’histoire de leur réappropriation — et en même temps, c’est vouloir l’abolir. Prétention insupportable. Solution d’impuissants qui veulent rester seuls propriétaires de corps qui ne leur appartiennent pas. Là le voile, ici l’excision : c’est le même processus, la même mutilation mentale. Votre corps m’appartient, dit l’Homme, et je suis seul propriétaire du désir qu’il pourrait inspirer.

Raisonnement de barbares. La civilisation n’a pas peur du désir, parce que justement, elle a appris à le polir, à le canaliser. « Toutes les belles ont droit de nous charmer », dit Dom Juan, qui était homme de culture. Trouver une femme belle, le lui dire éventuellement, ce n’est pas l’offenser. L’offense vient de la suspicion. Le désir est un haut fait de civilisation, parce qu’il n’entraîne jamais que des actes de langage — ce qu’on appelle en gros « séduction ». Vouloir le brider, c’est rouvrir la porte à la barbarie. Juguler de force le désir, c’est déjà penser au viol. Le XVIIIème siècle, dernière époque de haute civilisation, savait déjà quoi penser de ces débats qui n’auraient jamais dû revoir le jour. « Un mari qui voudrait seul posséder sa femme serait regardé comme un perturbateur de la joie publique et comme un insensé qui voudrait jouir de la lumière du soleil à l’exclusion des autres hommes » : c’est ce qu’est bien obligé de constater le Persan de Montesquieu, qui, malgré la belle leçon de civilisation que lui dispensent les Parisiens de la Régence, se vautre néanmoins, à la fin du roman, dans le sang de son harem — Iran, terre de terreur déjà à cette époque.

La haine de la chevelure

Vouloir imposer un « vêtement islamique », c’est surtout, comme le rappelle avec autorité Catherine Kintzler (1), dénier aux femmes une quelconque identité. Le voile uniformise — il abolit. Plus de blondes ou de brunes : des silhouettes informelles, des fantômes obscurs, des cages sur pattes. La burqa outrage la notion même d’identité. Mais un simple voile, au fond, en fait autant.

Déjà, les bonnes sœurs catholiques se coupent les cheveux et s’enfouissent sous un voile qui les uniformise. À bien y penser, c’est frappant, tout de même, cette haine de la chevelure, dans ces religions moyen-orientales… Heureusement que Marie-Madeleine est là pour relever le niveau du catholicisme, voir au musée de Besançon le tableau d’Elisabetta Sireni, oh oui, donnez-nous chaque jour de telles pécheresses repenties !

Mais ce que je peux encore admettre de professionnelles de la foi, comment le tolérer sur des gamines à peine nubiles — et qui souvent ne le sont même pas ? Au marché Noailles, juste en dessous de mon lycée marseillais, je vois tous les jours des gosses de cinq ou six ans enveloppées dans un voile qui cache leurs cheveux, portant parfois des gants. Qu’est-ce que c’est que cette « civilisation » qui voit dans des enfants des objets de luxure ? Quelle perversion pèse sur ces bien-pensants ?

Est-ce cela, l’Islam ? Lorsque le pape, il y a deux ans, est allé chercher un texte médiéval pour stigmatiser les sectateurs de Mahomet, on a assisté à une levée de boucliers. Mais non, l’Islam n’avait pas de visées guerrières ! Mais non, ce n’est pas une religion de l’intolérance ! Mais non, les hashishins ne furent jamais qu’une secte, pas un modèle !

Un vrai jardin de caresses

D’ailleurs, ajoutaient les bonnes âmes, l’Islam a été un modèle de civilisation — il y a mille ans. Et ce n’est pas faux — mais reste à s’interroger sur ce qu’est une civilisation. Est-ce le déni d’identité ? Est-ce la suspicion généralisée, qui génère la terreur, la pudeur institutionnelle, qui est le contraire même de la pudeur, l’abolition du corps, qui est l’aliment de toutes les obsessions ? L’Islam fut une grande civilisation. Après tout, ce sont des Musulmans qui ont écrit les Mille et une nuits, qu’il faut lire dans la traduction de Mardrus, et non dans la version trop policée de Galland. « Elle a un derrière énorme et fastueux qui l’oblige à se rasseoir quand elle se lève, et me met le zob, quand j’y pense, toujours debout ». Si ! L’Islam fut terre de désir – jadis et naguère. Allez, j’en remets une couche, pour le plaisir — parce que seul le principe de plaisir me paraît civilisé. Je l’emprunte cette fois à Boulhoul, un contemporain du calife Haroûn al-Râchid, qui vivait à l’époque de Charlemagne, et passe d’ailleurs dans maints récits des Mille et une nuits :

« Ma seule et folle convoitise / est dans la conjonction d’amour /oui, tout aux femmes, à leur empire /sans hésiter ni ergoter ! Si pleure leur doucette fente /l’absence de mon instrument /mon coeur me fait amer reproche /et remords sans fin me poursuit Tiens, voici l’objet qui se dresse, /vois donc ses formes et son ampleur ! /Lui seul éteint la soif ardeur /qui te consume à incendie. »

Voilà ce que civilisation veut dire - un vrai jardin de caresses. Nulle offense aux femmes dans l’érotisme. L’offense, elle vient de l’interdit, qui (re)génére la pornographie.

Quitte à aller plus loin que Catherine Kintzler, je serais partisan d’une interdiction totale, partout, de tout ce qui est une offense au désir. Parce que le désir, l’érotisme, la séduction, sont sociabilité exquise, respect permanent (mais si ! c’est évident !), jeu des intelligences, corps à corps de l’esprit. Et que l’interdiction du désir ne mène, de toute façon, qu’à la faillite de la répression, à l’explosion, à la violence. Il y a une parenté évidente entre les interdits sous lesquels les « grands frères » veulent plier leurs petites sœurs, et le langage ânonné, guttural, monosyllabique, de certaines banlieues.

Une femme voilée est toujous une femmes mutilée

Des enfants à qui on a dénié l’accès à une vraie belle langue — celle de Montesquieu, de Diderot ou de Laclos —, et qui disposent en tout et pour tout de deux cents vocables, dont « fuck you » et « taspé » sont l’alpha et l’oméga, ont forcément du désir une vision monstrueuse, parce qu’ils n’ont pas de mots à mettre sur leurs hormones. Parce que seul le langage est l’habit permanent de la pulsion : qui habite (avec et sans jeu de mots) avec précision sa langue n’a pas besoin de recourir à des burqas, ni à des voiles. Ce ne sont pas les visages des femmes qu’il faut cacher : ce sont les turgescences mâles qu’il convient d’habiller de langage.

Ce n’est donc pas parce que ce sont des signes religieux qu’il faut interdire tous ces vêtements superflus. Je ne me drape pas dans la laïcité — fort malmenée par ailleurs — pour dire que ces signes extérieurs d’oppression sont intolérables et imbéciles. Une femme voilée qui passe, c’est une femme mutilée — et l’argument selon lequel ce serait une mutilation choisie fait long feu : l’aliénation est toujours consentie par l’esclave, quand celui-ci a intériorisé son infériorité imposée.

Le 4 juin dernier, Barak Obama, au Caire, parce qu’il a un agenda diplomatique spécifique, a défendu le droit des femmes d’être emprisonnées en public. Glapissements des « déçus d’Obama », qui s’aperçoivent brutalement que les Etats-Unis ont leur propre agenda diplomatique. Il fallait être singulièrement aveugle pour croire qu’un leader démocrate américain, qui comme son prédécesseur républicain prête serment sur la Bible, aurait vis-à-vis des religions un comportement différent. En tout état de cause, de telles déclarations doivent alerter tous les francs défenseurs d’une vraie république, où, contrairement à ce que claironnent les imbéciles, les désirs des uns ne devraient pas s’arrêter pas là où commence la censure des autres. Interdire la burqua, le niquab, le voile et tout ce qui offense les Lumières est une mesure de salubrité lubrique — et publique. « Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs », disait encore Baudelaire. Bon appétit aux poètes ! Haut les cœurs, et bas les masques.

par Jean-Paul Brighelli


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