La biopiraterie saborde les cultures ancestrales

samedi 11 juillet 2009.
 

Ce qui est à moi n’est plus à toi… Ou comment des industriels usent du brevetage du vivant pour piller les ressources des peuples autochtones.

Larry Proctor et le haricot jaune. C’est l’aventure commerciale d’un agriculteur du Colorado en goguette au Mexique qui y trouve une variété de haricots - jaunes, donc - cultivée depuis des millénaires mais jusqu’alors inédite aux États-Unis. Proctor en ramène un sac et le sème. Il dépose une demande de brevet et l’obtient, s’octroyant un monopole de vingt ans sur l’exploitation du haricot doré. Les paysans mexicains, eux, sont sommés de lui verser des royalties s’ils veulent continuer à vendre leur fève ancestrale chez leur voisin du Nord.

Révélée par la documentariste Marie-Monique Robin (1) en 2005 dans son film Pirates du vivant (2), l’histoire a rejailli la semaine dernière, alors que se tenait, à l’Assemblée nationale et sous le patronage des parlementaires Verts Yves Cochet et Marie-Christine Blandin, les premières rencontres internationales de la biopiraterie. Lancées par le collectif éponyme (3), elles ont remis un coup de projecteur sur ce phénomène apparu dans les années quatre-vingt.

« La biopiraterie est le pillage des savoirs traditionnels et des ressources génétiques de populations autochtones », explique Pauline Lavaud, coordinatrice du collectif. Potentiellement économique, le problème est avant tout éthique. « Peut-on s’approprier une culture ou une connaissance pour en faire un objet commercial ? » interroge encore Pauline Lavaud. Car il n’en va pas uniquement de ressources biologiques, mais aussi de savoir-faire. Exemple emblématique : celui du neem - ou margousier - arbre d’Inde aux vertus fongicides. À lui seul, il n’était pas brevetable. Mais la technique ancestrale pratiquée par les communautés pour en distiller la substance, oui. Alors même que l’Inde l’avait librement diffusée, l’agrochimiste WR Grace s’en est emparé et l’a brevetée.

Dans tous les cas, le mécanisme fonctionne grosso modo selon un même schéma. Des prospecteurs s’en vont « aux marges du monde », explique Hervé Valentin, coordinateur de l’association ICRA (Commission internationale pour le droit des peuples autochtones) et discutent avec les populations indigènes de la vertu de telle ou telle plante. De retour en Occident, ils brevètent leur « découverte », s’octroyant d’un même mouvement et sa paternité et le monopole de sa commercialisation.

Découverte : tout se joue sur cette ambiguïté. « Pour obtenir un brevet, il faut démontrer qu’il n’y a pas d’antériorité à la connaissance apportée », poursuit Hervé Valentin. Et qui dit preuve dit traces écrites. « Or la culture des populations reculées est très souvent orale. » Quant à avoir noté la composition chimique d’une substance active…

Comment lutter, dès lors, contre ce pillage ? Les organisations avancent quelques pistes. « L’ICRA encourage les populations indigènes à produire des écrits, voire à déposer eux-mêmes des brevets », reprend Hervé Valentin. L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle envisage, en outre, de reconnaître les témoignages oraux, pour établir l’antériorité des connaissances.

Une arme trop précaire, estime pour sa part Joseph Breham, de l’association Sherpa. « D’abord parce que le concept de brevet reste étranger aux populations concernées », explique-t-il. En outre, la preuve écrite prédominera toujours sur le témoignage oral, comme c’est déjà le cas dans le droit occidental. Lui penche plutôt pour le recours au pénal, qui punit le recel. « Autrement dit, le fait de profiter du produit d’une infraction, ce qui est le cas quand on use d’une substance importée sans autorisation », explique le juriste. Cela aurait, entre autres intérêts, de pouvoir juger en France les entreprises incriminées.

Marie-Noëlle Bertrand

(1) Réalisatrice, entre autres, du Monde selon Monsanto.

(2) Diffusé sur Arte, le film est visible sur le site www.alerte-verte.com.

(3) Le collectif Biopiraterie rassemble les associations France Libertés, Sherpa, Paroles et Nature, ainsi que la Commission internationale pour les droits des peuples autochtones.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message