La burqa nous menace-t-elle ? ( Par Leila Babès,sociologue, professeure à l’université catholique de Lille)

samedi 11 juillet 2009.
 

Les polémiques qui tournent autour de la question de savoir si le port du voile intégral est le résultat d’une contrainte ou d’un libre choix sont pour le moins improductives. Il est à parier que la majorité des femmes qui le portent affirmeraient l’avoir décidé en toute conscience. Cela change-t-il quoi que ce soit au fait que le phénomène - c’est d’ailleurs encore plus le cas pour le voile « simple » - plonge ses racines dans une propagande menée par des hommes, qui a commencé il y a près d’un siècle et qui est devenue aujourd’hui mondiale ?

S’il y a du volontaire dans cette affaire, c’est de servitude qu’il est question. Ces femmes se voilent intégralement pour se conformer à une contrainte, une attente, un désir d’un mari et/ou d’un groupe. Il ne s’agit aucunement, comme on pourrait le croire, d’un phénomène de piété quiétiste qui s’accommode du monde tout en vivant à ses marges. Si l’idéologie qui sous-tend le voile intégral refuse le monde, c’est pour mieux agir sur lui et le transformer. C’est pourquoi la question du nombre ne se pose même pas. Car si le prosélytisme salafiste se fait discret dans un pays laïque comme la France, il ne se distingue en rien des autres courants islamistes qui visent tous à la propagation de leurs idéologies. Il suffit d’observer que le phénomène se propage, et même se banalise, dans les quartiers à forte concentration commu-nautaire pour se convaincre de la nécessité de le prendre au sérieux.

Le fait est que le problème dépasse le niveau de l’apparence vestimentaire dont celle-ci n’est que le signe emblématique. Les islamistes ont depuis longtemps compris que le voilement du corps de la femme était l’arme la plus redoutable de leur domination. Ils le brandissent comme un étendard, et les arguments ne manquent pas : commandement de Dieu, honneur de la communauté, croyance, et j’en passe. Les partisans du « voile simple », en accord avec leurs prédicateurs, se contentent de dire que le voile intégral n’est pas « obligatoire », cependant que les défenseurs de ce dernier, qui s’inspirent largement des coutumes patriarcales les plus discriminatoires à l’endroit des femmes, ont bien du mal à étayer le fait par des sources religieuses majeures. Le niqab/burqa n’est en fait que la traduction publique d’une vision carcérale de la femme.

Ceux qui s’indignent en disant qu’une loi d’interdiction risquerait de renvoyer ces femmes à la réclusion n’ont pas compris l’enjeu du symbole : le voile intégral n’a de sens que s’il est exhibé sur la voie publique. Bien sûr, on conviendra qu’il signifie fondamentalement la négation de la femme, dans sa féminité, pis, dans son identité. Une femme sans visage ne parle pas, ne revendique pas, ne s’affirme pas. Elle n’a pas de personnalité, de vie sociale autre que celle que ses tuteurs lui ont concédée, sans compter l’obligation tacite faite aux autres de ne pas traiter avec ces femmes comme des actrices sociales. C’est dire qu’il n’est pire réclusion que celle-là. Le fait n’est d’ailleurs pas circonscrit aux rapports avec les non musulmans, il s’étend à l’ensemble de la société. Les conséquences qui lui sont adjacentes, tout le monde les connaît : refus de retirer le masque lors de cérémonies de mariage, de démarches administratives, d’examens, de se faire ausculter par des médecins hommes.

La liberté a cela de tragique qu’il ne suffit pas d’en garantir le droit, encore faut-il que les individus la désirent. La condition de ces femmes, victimes « consentantes », n’est que la partie immergée de l’iceberg, car au-delà des silhouettes masquées, il y a une vision du monde qui puise ailleurs ses références, et par-dessus tout un rejet de l’ensemble des valeurs de la République : de ses lois laïques - ça tombe sous le sens -, de l’égalité hommes-femmes, de la citoyenneté au sens plein du terme, en un mot, de l’intégration. En déclarant que la burqa n’était pas la bienvenue, Nicolas Sarkozy a envoyé un signe fort. La France n’a pas à rougir de ses lois laïques. Elle ne saurait accepter l’inacceptable.

(*) Auteure du Voile démystifié, Bayard, 2004.


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