Un guide "républicain" destiné aux établissements scolaires

vendredi 29 avril 2005.
 

par Gérard Molinat, professeur de philosophie, IUFM Paris

Truffé d’erreurs et de contre-vérités, ce guide entretient la confusion et l’ignorance. (dans "Marianne" du 5/02/05) Le Ministère de l’Education nationale vient de publier à grands frais un "Guide Républicain".

Ce gros ouvrage nous propose entre autres un "Abécédaire des mots de la République rédigé par des intellectuels de renom." Louable entreprise !

Or, malgré la brièveté des articles, on reste stupéfait devant les erreurs grossières et les partis pris idéologiques.

L’entrée "Racisme", signée par le romancier Tahar Ben Jelloun, développe cette démonstration : "Il existe une race humaine, celle qui rassemble tous les êtres humains. En revanche, il existe plusieurs races animales et végétales. Car le serpent ne ressemble pas à un cheval. Mais un homme ressemble à tout autre homme."

Tout est faux ici. Un collégien sait que ni le serpent ni le cheval ne sont des races. Les serpens forment un ordre de la classe hétérogène des reptiles et rassemblent quantité de familles, genres et espèces distincts. Il existe différentes races de l’espèce cheval qui constitue, avec d’autres espèces vivantes ou fossiles, le genre equus.

L’humanité ne forme donc pas une race unique mais une espèce au sein de laquelle la diversité génétique entre populations est très secondaire par rapport à la diversité des individus de chaque population ; si bien que "le concept de race est, pour notre espèce, non opérationnel" (François Jacob).

A ces bévues, Tahar Ben Jelloun ajoute confusion et incohérences. Il caractérise deux fois en dix lignes le racisme comme "la peur de l’étranger", le confondant ainsi avec la xénophobie. Il affirme sans sourciller : "Nous nous ressemblons tous et nous sommes tous différents", oxymore qui plongera les élèves dans le désarroi ! Une formulation correcte serait "tous parents, tous différents" (et non "tous pareils, tous différents"). Surtout qu’après avoir martelé que la couleur de la peau ne peut pas être un critère de typologie raciale, il écrit : "Ce qui différencie deux hommes, c’est la taille, la couleur de la peau, l’intelligence..."

Manque de distance

Autre exemple : l’article "La justice et les Justes", rédigé par Marek Halter. Il se moque de la notion de justice pour vanter "l’aventure des Justes". Pourquoi pas ? Sauf qu’il assène, sans nuance ni recul, comme une vérité allant de soi, une évidence :"A chaque génération, ils sont là, selon le Talmud, pour soutenir le monde :"Le monde repose sur 36 Justes". Et le philosophe Pascal estimait à 9000 ce nombre inestimable..."

Que doit-on comprendre ici ? que la justice se réduit à compter les Justes ? Que le Talmud est une source fiable des "mots de la République" française ? Questions brûlantes car le Guide Républicain est introduit par le "Discours relatif au respect du principe de laîcité dans la République" prononcé par Jacques Chirac le 17 décembre 2003. Or, dans la suite du texte, M. Halter n’installe aucune distance entre la croyance confessionnelle et l’exposé du fait religieurx culturel.

Mais il y a plus grave.

L’allusion enigmatique que fait Marek Halter à Blaise Pascal est inexacte :"Je m’en suis réservé 7000. J’aime les adorateurs inconnus au monde et aux prohètes mêmes". (Pensées).

Pascal cite Saint Paul. Il ne s’agit nullement de "Justes" qui sauvent des vies humaines au cours d’un génocide, mais de 7000 (et non 9000) juifs restés fidèles à la Loi quand la majorité du peuple juif avait plié le genou devant Baal. On peut prendre cette légende pour un fait historique et laïciser l’idée de "Juste" en l’appliquant aux "gentils. Mais doit-on croire que cette opération est déjà inscrite dans le Talmud ou chez Pascal ?

Enfin, c’est la simple propagande qui marque l’article de l’écrivain et journaliste Alain-Gérard Slama.

Traitant de "Civilité et Incivilité", il trace un vague raccourci historique afin de valider cette conclusion lapidaire : "L’incivilité d’aujourd’hui est la fille naturelle de l’Etat-Providence."

En clair, si les phénomènes de petite délinquance se multipient, c’est la faute de Keynes, Roosevelt, Attlee ou de Gaulle dont les politiques en matière de Sécurité sociale, de services publics et de retraites ont répandu l’affreux "besoin d’être protégé".

Evidemment, tout n’est pas de la même veine dans ce guide républicain. Mais que, pour trois questions sensibles, le Ministère choisisse de diffuser sur une vaste échelle des propos confus, cela dévoile le mépris dans lequel il tient à la fois les enseignants et les élèves !


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