Le PSE et Barroso : les fausses vérités de Pierre Moscovici (par Michel Soudais, Politis)

lundi 1er juin 2009.
 

« Les socialistes ont toujours été anti-Barroso, renseignez-vous ! » C’est par cette injonction autoritaire mais mensongère que Pierre Moscovici a coupé court à un échange que j’avais avec lui lors de l’émission de Pluriel de vendredi dernier.

Après avoir rappelé en préalable qu’en 2004 le PSE (mais non les socialistes français) avaient voté l’investiture du très libéral et atlantiste chef du gouvernement portugais, José Manuel Durao Barroso, à la tête de la Commission européenne, je lui avais demandé quelle raison les électeurs instruits de ce comportement avaient de faire confiance au PSE, aux élections européennes du 7 juin, pour licencier M. Barroso.

Au lieu de répondre à cette question, Pierre Moscovici a aussitôt prétendu que j’avais « rêvé que le PSE avait investi M. Barroso ». Avant d’arguer imprudemment que « le PSE a voté contre M. Barroso et toujours voté contre M. Barroso ».

J’avais déjà noté en d’autres occasions que le député du Doubs assène ses vérités avec une certaine suffisance. Même lorsqu’elles sont fausses. Et j’aurai tendance à penser, surtout quand il sait qu’elles sont erronées.

Comment le PSE a mis en selle Barroso en 2004

En l’occurence, les faits sont vérifiables. Je me suis donc renseigné. Et le résultat n’est pas en faveur de Moscovici (Faut pas titiller la mémoire du hérisson !).

Le PSE a bien voté l’investiture de la Commission Barroso et Pierre Moscovici joue sur les mots pour tromper les électeurs ! En voici la démonstration à travers les débats du Parlement européen retranscrits sur le site web de cette institution.

22 juillet 2004. Le Parlement doit ratifier la décision unanime du Conseil [1] de proposer la candidature de José Manuel Durão Barroso au poste de président de la Commission européenne. Le scrutin est secret, ce qui est contraire au principe de responsabilité des élus, dont les électeurs doivent pouvoir juger de leurs actes, donc de leur vote sur un sujet aussi important. Mais les chefs des groupes parlementaires font brièvement part de la position de leur groupe. Sans surprise le PPE (la droite, UMP incluse [2]) soutient Barroso. L’ALDE (alliance des libéraux et des démocrates, dont les amis de François Bayrou) aussi, comme l’UEN (droite nationaliste). Les Verts et la GUE (vraie gauche) votent contre. Le PSE aussi, officiellement.

En fait de nombreux socialistes votent l’investiture de Barroso sans encourir le moindre reproche. Et Martin Schulz, le président du groupe, le dit lui-même à Barroso : « De nombreux membres de mon groupe vous accorderons leur confiance aujourd’hui pour diverses raisons. (...) Les membres de notre groupe qui vous accorderont leur confiance bénéficient de la solidarité et du respect du groupe, mais le groupe socialiste au Parlement européen ne peut, aujourd’hui, vous accorder un vote de confiance. »

Avec 413 voix, comme l’atteste le procès verbal (ci-dessous), M. Barroso a obtenu bien plus que la majorité absolue, donc forcément l’appoint de voix socialistes.

27 octobre 2004. Le Parlement, qui a auditionné l’ensemble des commissaires nommés par leur gouvernement, le président de la Commission négociant avec eux leur portefeuille, doit approuver la composition de la Commission et lui faire part de ses souhaits dans une résolution. Mais le vote est ajourné in extremis. Les débats de la veille ont convaincu M. Barroso que sa Commission risquait de ne pas avoir la majorité nécessaire à sa mise en place. Le Parlement contestait en effet la nomination et l’affectation de plusieurs commissaires.

18 novembre 2004. Le Parlement vote l’installation de la Commission remaniée. A peine relookée. Comme il s’en est expliqué la veille, Barroso a fait entrer dans son équipe deux nouveaux commissaires : Franco Frattini, un ami de Berlusconi qui remplace le très contesté Rocco Buttiglione et Andris Piebalgs, un letton choisi pour remplacer Ingrida Udre qui, oh horreur !, avait avoué se situer dans le camp des eurosceptiques. Il a aussi changé le portefeuille de M. László Kovács (contesté à l’énergie, cet ancien communiste récupère le portefeuille de la fiscalité et de l’union douanière). Ces changements relativement mineurs [3] vont emporter l’adhésion du Parlement.

Martin SchulzLe PSE s’en satisfait à grand son de trompe. Son président de groupe, Martin Schulz, assure qu’« ils découlent de propositions avancées par le groupe socialiste et de la pression vigoureuse qu’il a exercée », votera pour la Commission Barroso. La suite discours de M. Schulz est un vibrant plaidoyer pour la cogestion droite-gauche qui gouverne l’Union européenne : « Si vous souhaitez une majorité confortable en cette Assemblée, vous ne pouvez vous passer du groupe socialiste. Pour cette raison, et également parce que plusieurs de vos commissaires appartiennent à notre famille politique [4], je vous recommande de rechercher le soutien de notre groupe. Une Commission soutenue par une large majorité du Parlement est une Commission forte ; en tout cas, cela vaut mieux que de dépendre des voix de l’extrême-droite. C’est ce que je voulais dire aujourd’hui.(...) Si - comme vous l’avez dit - vous savez que la Commission dont vous êtes le président est composée de tendances politiques différentes, qu’il en va de même pour le Conseil, pour les gouvernements qui y sont représentés et pour cette Assemblée, et que les sociaux-démocrates ont un rôle décisif à jouer dans ces trois institutions. Si vous gardez cela à l’esprit dans votre travail personnel, dans le travail de la Commission et dans vos propositions législatives, vous pourrez compter sur l’appui des députés sociaux-démocrates de ce Parlement. Si vous ne le faites pas, souvenez-vous d’octobre 2004, parce que c’est ce qui se reproduira. »

Poul Nyrup Rasmussen« Maintenant, je sais pourquoi j’ai voté aux élections européennes », s’enflamme Hannes Swoboda, un social-démocrate autrichien, vice-président du groupe PSE. Tandis que Poul Nyrup Rasmussen, le président du PSE (que nos socialistes français présentent aujourd’hui comme le meilleur candidat anti-Barroso), couvre d’éloge M. Barroso : « Vous avez modelé une Commission meilleure que celle que vous avez choisi de ne pas présenter au Parlement. Vous méritez la reconnaissance que le président de mon groupe vous a accordée. Je voudrais moi aussi vous accorder la même reconnaissance au nom du groupe socialiste au Parlement européen. »

Après un vote électronique dont le détail est accessible ici, la commission est élue par 449 voix (l’immense majorité du PSE a voté pour), contre 149 (dont les socialistes français) et 82 abstentions. C’est net ! Le PSE a élu la Commission de M. Barroso. La résolution qui accompagne ce vote est approuvée par 478 voix contre 84 (dont 2 socialistes françaises), et 98 abstentions (dont l’essentiel des socialistes français).

Une escroquerie électorale

Pierre Moscovici ne peut l’ignorer. Privé de mandat national suite à sa défaite aux législatives de 2002, il avait obtenu de se faire élire au Parlement européen et c’est comme député européen qu’il a participé à ces votes.

Pourquoi un tel déni des faits ? Parce que le PS a fait du changement du président de la Commission l’un de ses principaux arguments de campagne. Un argument fallacieux vues les déclarations pro-Barroso de trois chefs de gouvernements socialistes et travailliste (le portugais José Socrates, l’espagnol José Luis Rodríguez Zapatero, et le travailliste Gordon Brown), mais un argument martelé. Que « Mosco » développe en toute grossièreté : Comme l’enjeu de l’élection est de nommer le président de la Commission, et que celui-ci dépend, selon lui [5], du groupe qui aura le plus de députés à Strasbourg, « toute voix qui se porte sur le NPA d’Olivier Besancenot ou sur Mélenchon est une voix en moins pour le parti socialiste et donc une voix en plus pour Barroso ».

Sans ce mensonge d’un PSE qui aurait toujours été anti-Barroso, l’argument de Pierre Moscovici (et du PS) en faveur du soi-disant « vote utile » pour les listes socialistes ne tient pas [6]. Car le « rêve » d’un PSE de gauche qui s’oppose aux libéraux est un phantasme. Qui relève de l’escroquerie électorale pure et simple.

Notes

[1] Les chefs d’Etat et de gouvernement.

[2] Je précise à quoi correspondent les groupes puisqu’un certain nombre d’entre me disent être perdus et me demande de faire plus de pédagogie. Je veux bien mais faites un effort aussi, cela m’évitera d’alourdir mes posts.

[3] « Globalement, ces changements nous permettent de préserver l’équilibre de l’équipe initiale », déclare Barroso.

[4] La Commission Barroso comporte en effet 6 commissaires sociaux-démocrates, et pas des moindres. Ils tiennent des secteurs clefs de la politique libérale de la commission :

- Günter Verheugen commissaire chargé des entreprises et de l’industrie, vice-président de la commission, membre du SPD allemand ;

- Margot Wallström commissaire chargée des institutions, vice-présidente de la commission, membre du parti social démocrate suédois SAP ;

- Peter Mandelson, commissaire chargée du commerce, membre du Labour Party. C’est lui qui au nom de la commission défend le libre échange à tout crin notamment à l’OMC. Il sera remplacé en octobre 2008 par sa compatriote (travailliste elle aussi) Catherine Ashton ;

- Joaquim Almunia, commissaire chargé des affaires économiques et monétaires, membre du PSOE espagnol. Il est chargé de faire la chasse aux déficits et de défendre le Pacte de stabilité et l’indépendance de la banque centrale.

- Vladimir Spidla, commissaire chargé de l’emploi et des affaires sociales, membre du parti social démocrate tchéque CSSD. Le bilan social de ce commissaire est néantissime.

- Laszlo Kovacs, commissaire chargé de la fiscalité et de l’union douanière, membre du parti social démocrate hongrois MSZP. À remercier pour l’inaction de la commission en matière de dumping fiscal et l’impuissance douanière de l’Europe.

[5] Barroso et d’autres soutiennent que cela n’a rien à voir : « La campagne concerne le Parlement européen, pas la Commission », a déclaré ce dernier dans un entretien au Monde (20 mai 2009).

[6] Même si le NPA tend le batôn pour se faire battre quand sa tête de liste en Ile-de-France, Omar Slaouti, déclare lors d’une conférence de presse que la proposition d’un candidat alternatif à José Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne, « est le cadet de [ses] soucis », et confie qu’il serait probablement « aux toilettes » au moment du vote.


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