Suède : la stratégie sociale-démocrate dans l’impasse

dimanche 24 septembre 2006.
 

Dimanche 17 septembre, la sociale-démocratie suédoise, pourtant souvent présentée comme un modèle politique, a connu une lourde défaite aux élections législatives. Au point que le principal parti conservateur a remporté l’élection avec son score le plus élevé depuis 1928. En visite en Suède les 3 et 4 juillet, Ségolène Royal avait rendu un hommage appuyé à la politique du parti social-démocrate et avait même participé à son séminaire économique national en saluant sa "modernité". Derrière cette façade moderne, se cache pourtant une Suède largement livrée au libéralisme, notamment en matière de services publics que la stratégie sociale-démocrate d’accompagnement et de dialogue a été incapable de préserver.

La seconde mort d’Olof Palme

Par Alain Bourges, enseignant à l’École des beaux-arts de Rennes, qui vit en France et Suède.

Une prétendante au trône de France - appelons-la X -, un temps soupçonnée de dérive droitière, s’est récemment référée au « modèle suédois ». Il s’agissait pour elle de se distinguer du modèle anglais incarné par Tony Blair et largement plébiscité par les libéraux du monde entier.

Le citoyen lambda s’est vu rassuré. L’Angleterre est synonyme de compétition sociale féroce. La Suède conserve, en revanche, l’image d’une société équitable, jouissant d’un des meilleurs niveaux de vie au monde et d’un consensus social exemplaire.

Ceci dit, il y a fort à parier que notre prétendante X ne s’est pas prononcée au hasard. L’épouvantail Blair effrayait, le débonnaire Persson ne fait peur qu’aux moineaux. Mais leurs politiques sont-elles si différentes ? En y regardant de plus près, on peut en douter.

Certes on ne trouve en Suède aucun SDF sous les portes cochères. De toute façon, il serait mort de froid. Le chômage est faible et les minimums sociaux largement supérieurs aux nôtres. L’intégration des immigrés s’effectue plutôt bien. Les prisons sont confortables. C’est déjà beaucoup.

Un simple séjour en Suède dévoile hélas des aspects du « modèle suédois » moins exaltants. Quelques exemples :

Dans notre village, il n’y a plus de bureau de poste. À la ville la plus proche, capitale de région, il n’y a plus de bureau de poste. Ce qui remplace s’appelle « Kassa » et c’est la banque postale. La guichetière à laquelle ma femme demandait un carnet de timbres l’a regardée comme si elle débarquait de Saturne et lui a expliqué gentiment que c’est au supermarché ou à la station de bus qu’on achète les timbres.

Pour un recommandé, le facteur se contente d’un avis dans la boîte demandant de le retirer au supermarché à 15 kilomètres de là.

Un ami, qui vit dans un hameau, doit faire 3 kilomètres pour seulement relever son courrier, le facteur ne fait plus le détour.

Tous ceux qui suivent l’évolution actuelle de La Poste en France comprennent qu’il s’agit là précisément du modèle suivi par notre pays.

J’ai dû effectuer plusieurs voyages en train, de Stockholm au nord de la Suède. Bilan, sur quatre trains : un retard d’une heure et demie, deux d’une heure et un seul train à l’heure. Sur ma ligne, au moins trois compagnies : SJ (l’équivalent de la SNCF), Connex, Mittlijne. Connex est bien connue des cheminots : c’est la société française qui a commencé à grignoter le terrain de la SNCF dans l’Est, en attendant de dévorer le tout lorsque l’Europe donnera son feu vert. Ici, tout a commencé lorsque l’État a eu l’idée de séparer le transport du réseau ferré et de créer deux sociétés distinctes, comme on l’a fait en France. Puis, on a ouvert le transport à la concurrence.

Lorsque vous emménagez, vous commencez par faire « ouvrir » l’électricité. Miracle, ici les fournisseurs prolifèrent. Ils sont au moins quatre dans la région. On peut même signer son contrat à la station-service. OK (l’équivalent de Total) fournit aussi de l’énergie électrique. Comme pour le téléphone ou Internet. Les prix, du coup, diffèrent considérablement d’une région à l’autre (de 1 à 4).

À propos de téléphone : le technicien qui est venu nous brancher le téléphone était un retraité. L’été, il fait des remplacements.

Ce qui diffère aussi selon l’endroit, c’est l’école. Les établissements scolaires et les enseignants relèvent des communes (une commune correspond à un de nos cantons ou « pays »). Depuis quelques années, ce sont les directeurs d’établissements qui fixent les salaires. À charge pour les enseignants de négocier. On imagine la qualité des rapports humains au sein des établissements. Les enseignants sont de plus contraints d’assurer les cours nécessaires pour que tous les élèves obtiennent leur année. Jusqu’aux cours particuliers.

Quant à la santé publique, c’est un lent naufrage. En grande partie du fait d’un manque chronique de personnel. Le pays est vaste, la population réduite (neuf millions d’habitants), difficile de trouver assez de médecins et d’infirmières. Lorsque vous appelez, un « régulateur » vous expédie là où on peut vous prendre. Cela peut être à 30 km. L’essentiel est que vous sachiez assez bien décrire vos symptômes pour que le « régulateur » comprenne de quoi il s’agit. Et que vous ne traduisiez pas une perforation intestinale par « mal de ventre »...

Exemple désagréable : ma femme fait une infection à la gorge. Le médecin prescrit un antibiotique mais ne précise pas qu’il tient précisément à ce médicament. Automatiquement, le pharmacien lui substitue un générique. Résultat : une allergie grave qui se traduit par des plaques rouges sur tout le corps et les démangeaisons qui vont avec. Deux mois plus tard, elles n’avaient pas disparu. Depuis, nous avons appris que ce médicament générique est connu pour déclencher des allergies. Charmes de la gestion comptable...

Voici donc le modèle de services publics auquel se réfère la candidate X. On ne peut en effet la soupçonner d’ignorer l’état actuel du « modèle suédois ». Plutôt que « modèle suédois », elle aurait dû dire « au modèle de Blair, je préfère le modèle de Persson », du nom du premier ministre suédois, qui se prononce « personne ». On n’y aurait vu que du feu.

Olof Palme est mort, bien mort.

Tribune parue dans l’Humanité du 16 septembre 2006


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