Lénine et la question des minorités en URSS : Intervention au 8ème congrès du Parti Communiste de Russie le 19 mars1919

lundi 29 août 2016.
 

Tandis que le camarade Piatakov parlait, je me demandais au comble de l’étonnement s’il s’agissait d’une délibération sur le programme ou d’un débat opposant deux bureaux d’organisation. Lorsque le camarade Piatakov disait que les communistes ukrainiens se conforment aux directives du C.C. du P.C.(b)R., je n’ai pas compris sur quel ton il parlait. Sur un ton de regret ? Je ne soupçonnerais pas le camarade Piatakov d’une chose pareille, mais le sens de son discours était celui-ci : à quoi bon toutes ces autodéterminations, quand il y a un excellent Comité central à Moscou ! C’est un point de vue puéril. L’Ukraine a été détachée de la Russie par des conditions exceptionnelles, et le mouvement national n’y a pas jeté de racines profondes. Dans la mesure où il s’était manifesté, les Allemands l’ont extirpé de force. C’est un fait, mais un fait exceptionnel. Même pour la langue, la situation y est telle qu’on ne sait plus si l’ukrainien est une langue de masse ou non. Les masses laborieuses des autres nations étaient pleines de méfiance à l’égard des Grands-Russes, considérés par elles comme une nation de koulaks et d’oppresseurs. C’est un fait. Un représentant finlandais m’a raconté que, dans la bourgeoisie de son pays qui haïssait les Grands-Russes, on entend dire : « Les Allemands se sont montrés plus féroces, l’Entente aussi, essayons plutôt les bolcheviks ». Voilà l’immense victoire que nous avons remportée sur la bourgeoisie finlandaise dans la question nationale. Ce qui ne nous empêchera nullement de la combattre, en tant qu’adversaire de classe, en choisissant à cet effet les moyens appropriés. La République soviétique qui s’est formée dans le pays dont le régime tsariste opprimait la Finlande, doit proclamer son respect du droit à l’indépendance des nations. Avec le gouvernement finlandais rouge qui n’a pas duré bien longtemps, nous avons conclu un traité, nous lui avons accordé certaines concessions territoriales, au sujet desquelles j’ai entendu pas mal d’objections purement chauvines : « Comment, ces bonnes pêcheries qu’il y a là-bas, vous les leur avez abandonnées ! » Ce sont des objections qui m’ont fait dire : grattez tel communiste, et vous découvrirez le chauvin grand-russe.

Il me semble que cet exemple finlandais, comme celui des Bachkirs, montre que, dans la question nationale, on ne saurait raisonner en recherchant coûte que coûte l’unité économique. Elle est certes nécessaire ! Mais nous devons chercher à la réaliser au moyen de la propagande, de l’agitation, de l’union librement consentie. Les Bachkirs se méfient des Grands-Russes, parce que ceux-ci sont plus civilisés et en ont profilé pour piller les Bachkirs. C’est pourquoi, dans ces régions reculées, le nom de Grand-Russe est synonyme d’« oppresseur », de « filou ». Il faut en tenir compte et il faut lutter contre cela. Mais c’est une entreprise de longue haleine. Aucun décret ne saurait rétablir la confiance. Là, nous devons nous montrer très prudents. La prudence est particulièrement nécessaire de la part d’une nation comme la nation grand-russe, qui a soulevé une haine forcenée contre elle dans toutes les autres nations, et c’est maintenant seulement que nous avons appris, bien mal encore, à corriger les choses. Nous avons, par exemple, au Commissariat à l’Instruction publique ou autour de lui des communistes qui disent : école unique, donc ne vous avisez pas d’enseigner dans une autre langue que le russe ! A mon avis, un tel communiste est un chauvin grand-russe. Il vit en beaucoup d’entre nous, et il faut lutter contre lui.

Voilà pourquoi nous devons dire aux autres nations que nous sommes des internationalistes jusqu’au bout et que nous recherchons l’union librement consentie des ouvriers et des paysans de toutes les nations. Cela n’exclut nullement les guerres. La guerre est une autre question, qui découle de la nature même de l’impérialisme. Si nous faisons la guerre à Wilson, et que Wilson fasse son instrument d’une petite nation, nous disons que nous combattons cet instrument. Nous n’avons jamais été contre. Jamais nous n’avons dit que la République socialiste peut exister sans forces armées. Sous certaines conditions, la guerre peut apparaître comme une nécessité. Mais actuellement, pour ce qui est de l’autodétermination des nationalités, le fond de la question est que les différentes nations suivent une voie historique identique, mais en décrivant des zigzags, en empruntant des sentiers d’une extrême diversité, et que les nations plus civilisées progressent de toute évidence autrement que celles qui le sont moins. La Finlande a avancé autrement. L’Allemagne avance autrement. Le camarade Piatakov a mille fois raison de dire que l’unité nous est nécessaire. Mais il faut la conquérir au moyen de la propagande, de l’influence du Parti, en créant des syndicats unifiés. Cependant, là encore il ne faut pas s’en tenir au modèle type. Si nous supprimions ce point, ou si nous le rédigions autrement, nous bifferions la question nationale du programme. Ce serait faisable, s’il existait des hommes sans particularités nationales. Mais il n’en existe pas, et, en agissant autrement, nous ne pourrions absolument pas édifier la société socialiste.

Je pense, camarades, que le programme ici proposé doit être pris pour base, qu’il faut le renvoyer à la commission, en adjoignant à celle-ci des représentants de l’opposition, ou, plus exactement, des camarades qui ont fait ici des propositions constructives, et faire adopter par cette commission : 1) les amendements au projet mentionnés, et 2) les objections théoriques sur lesquelles l’accord est impossible. Je pense que ce sera la façon la plus judicieuse de poser la question, et celle qui nous fournira le plus rapidement la bonne solution. (Applaudissements.)


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