La gauche au service de la France (par JP Chevènement)

dimanche 30 septembre 2007.
 

Depuis deux décennies, il a manqué au Parti socialiste un projet pour la France, ambitieux et crédible. Le Parti socialiste a été longtemps, et presque par nature, un parti d’opposition. Il a fallu les institutions de la Ve République pour qu’il devienne un parti de gouvernement, et François Mitterrand pour inscrire son action dans la durée. Durer, toutefois, n’est pas un projet. L’Europe à laquelle a été sacrifiée, en 1983, la perspective sur laquelle était fondé le parti d’Epinay nous a inscrits dans le mouvement de la "globalisation" sans nous permettre de l’infléchir. Le peuple français a dit non à cette Europe-là, le 29 mai 2005.

La perspective "fédéraliste", illusoire en fait dès le départ, a désormais fait long feu. L’Europe est constituée d’une trentaine de nations qui ne veulent pas disparaître et le font savoir. Quant au rêve d’une Europe qui serait une "plus grande France", il n’a pas résisté à la réalité des élargissements successifs. L’Europe est et restera une coopérative de nations dont, avec d’autres, nous pourrons essayer de faire évoluer le contenu. En tout état de cause, la France, elle, restera.

Je ne pense donc pas que ce soit par inadvertance que François Hollande, dans son discours de La Rochelle, a assigné comme tâche aux socialistes de se mettre "au service de la France". Depuis deux décennies, en effet, il a manqué au Parti socialiste un projet pour la France, ambitieux et crédible à la fois. Là est la raison de l’échec de la gauche aux trois dernières élections présidentielles.

Il faudra bien entendu inscrire ce projet dans une géopolitique européenne et mondiale. Comment rester les alliés des Etats-Unis sans pour autant devenir leurs vassaux ? Et si nous devons chercher à créer avec l’Allemagne une véritable solidarité de destin, cela ne signifie pas que nous devions toujours lui emboîter le pas, et encore moins sacrifier notre modèle au sien. Celui-ci n’est pas sans mérite, mais la République ne se résume pas à la subsidiarité.

Dans l’Europe à vingt-sept, la France n’est pas structurellement majoritaire. Elle doit nouer des alliances avec les grands comme avec les petits pays européens, et renforcer ses partenariats avec de grandes puissances comme la Russie, le Brésil, l’Inde, la Chine et, même si ce n’est pas aujourd’hui à la mode, en créer demain avec la Turquie et l’Iran. La France enfin doit rester fidèle à sa vocation méditerranéenne et africaine. C’est ainsi et non en nous alignant sur la politique de George W. Bush qu’une gauche républicaine pourra donner à la France les marges de liberté qu’aujourd’hui elle a perdues ou est en train de perdre.

La gauche doit d’autant plus élaborer un projet pour la France que Nicolas Sarkozy, ayant affiché vis-à-vis des électeurs un très fort volontarisme politique, va se trouver confronté à une impuissance de fait, à laquelle il n’est d’ailleurs pas étranger. Le traité dit "simplifié" va encore la renforcer : euro de plus en plus surévalué dont il n’a pas obtenu, dans cette négociation bâclée, qu’il soit l’affaire des gouvernements ; politique commerciale négociée entre MM. Mandelson et Lamy ; politique budgétaire sous surveillance de la Commission, surenchérissant sur les dispositions du pacte de stabilité de 1997 ; politique industrielle, enfin, à la merci des oukases de Nelly Kroes, commissaire à la concurrence. Si libéral qu’il soit, le nouveau président de la République va trouver très vite, en Europe, plus libéral que lui.

Une critique sans principe serait, pour la gauche, une erreur. La gauche doit se définir non par rapport à Nicolas Sarkozy, mais par rapport à un projet pour la France. Et celui-ci doit s’appuyer sur la critique de la "globalisation" en prenant, bien sûr, tous les moyens de l’infléchir. Si le socialisme en effet s’est toujours défini d’abord comme une critique du capitalisme, nous sommes dans la réalité, et c’est pour la modeler que la gauche peut légitimement vouloir revenir au gouvernement. Elle ne doit pas d’abord compter sur les échecs de la droite. Une fraction non négligeable de l’électorat attend d’elle mieux qu’une alternance : une vision alternative.

Il faut constater malheureusement que le Parti socialiste né à Epinay a aujourd’hui épuisé sa force propulsive. Non que les objectifs de départ aient perdu de leur pertinence : rassembler la gauche et reconquérir les couches populaires. Mais le monde a changé. Avec l’URSS, le communisme s’est effondré. Confronté au triomphe du néoconservatisme libéral, le Parti socialiste lui-même est déboussolé. Pour retrouver sa crédibilité, la gauche doit prendre un nouveau départ.

Pour cela, la gauche doit d’abord surmonter ses divisions et d’abord peut-être ses sectarismes et ses querelles personnelles. Mettre tout le monde autour d’une table. Ce peut être le rôle des Assises de la gauche que de préparer un congrès de refondation de toute la gauche. Priorité au cadre : une nouvelle structure est nécessaire pour accueillir l’élan des générations nouvelles. Comme l’a observé avec justesse François Hollande : "Dans une ville, dans un département, nous avons besoin de toutes les cultures de la gauche : communiste... radicale... républicaine... écologiste." Il me semble qu’un tel parti doit se fonder sans trop d’a priori. De même que l’UMP a su rassembler toutes les familles de la droite, de même un grand parti de toute la gauche doit fédérer toutes ses sensibilités.

Sans doute il faudra au départ un choix européen qui reconnaisse le rôle des nations, et d’abord de la nôtre, et une vision des règles de la mondialisation que nous voulons infléchir. Mais il faudra surtout laisser un espace au débat. Celui-ci est nécessaire. Pourtant, on ne peut vouloir le clore avant d’avoir créé le cadre où il prendra son sens vis-à-vis du pays. Aujourd’hui, les querelles internes du Parti socialiste sont rebutantes. Priorité donc au rassemblement et à l’organisation du grand parti dont la gauche a besoin pour que l’alternance, si possible, puisse intervenir en 2012. L’idée de vouloir créer deux partis à gauche, l’un social-libéral, l’autre révolutionnaire, empêcherait la fécondation mutuelle des idées et nuirait aussi bien à la dynamique qu’au sens de la responsabilité dont la gauche a également besoin. Chaque parti actuel de la gauche apportera son meilleur au parti futur. Le Parti communiste, en particulier, doit savoir clore une histoire qui, à certains moments, a eu sa grandeur. Le repli sur l’esprit de boutique signifierait seulement la résignation à voir le libéralisme dominer la gauche elle-même, comme la tentation s’en exprime ouvertement.

La gauche est à reconquérir. Elle n’a rien à gagner à courir après le centre, sinon à se rendre inaudible. Elle doit d’abord savoir où elle habite. Le temps est compté. Pour désigner en 2010 un candidat qui soit en mesure de l’emporter en 2012 sur un projet qui parle à la France, c’est en 2008 que doit se tenir le Congrès de la refondation républicaine. Sinon, ce sera, encore une fois, la défaite.


Jean-Pierre Chevènement, président d’honneur du Mouvement républicain et citoyen. L’article est également en ligne sur le site du Monde


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