Particularités de la laïcité en Belgique : du combat pour la laïcité à la défense de la laïcité – Intervention (2e RLI) Par Pierre Galand

samedi 16 mai 2009.
 

Les valeurs défendues par les laïques semblent curieusement être menacées dans des pays où la sécularisation ne cesse de croître, où les pratiques religieuses traditionnelles s’amenuisent au fil du temps. Après des décennies de combats et de conquêtes, on serait rentré dans une période de défense où l’on craint qu’une tuile céleste nous tombe sur le coin de la tête et vienne réduire en poussière des acquis aussi bien sur le terrain de la séparation des églises et de l’Etat, de la liberté d’expression, que sur le libre choix face aux questions éthiques. Il en serait de même pour l’école publique et le principe de neutralité. Bref, la crainte…, le risque existe que des garanties en matière de laïcité ne viennent s’effriter en laissant entrer des lobbyistes européens par la porte, des communautaristes par la fenêtre et des sectes par la cheminée. Dans des pays connaissant soit une laïcité constitutionnelle, soit une activité associative non confessionnelle bien structurée qui assure la défense de la laïcité politique et philosophique, la question est posée.

Que Dieu sauve un certain nombre de citoyens et les aide à donner un sens à leur vie est une chose. Que l’église prenne ou reprenne en main l’avenir commun en est une autre.

Sans remonter aux apports des présocratiques, ni même aux beaux esprits des lumières, je vais rapidement retracer le parcours de la laïcité en Belgique.

La Constitution, adoptée le 7 février 1831, a été une des plus progressistes d’Europe et a instauré une relation juridique originale entre l’Etat et les églises.

La Constitution belge est avant tout le résultat d’un compromis historique conclu entre les libéraux et les catholiques de l’époque.

De nombreux catholiques ont en effet compris qu’un retour aux traditions de l’Ancien Régime, voire à un Etat théocratique, était dépassé et qu’il convenait d’opter pour un Etat démocratique où les libertés publiques de religion, de conscience, d’enseignement, de presse et d’association, seraient constitutionnellement garanties.

Le régime adopté par le constituant se caractérise par une séparation fictive et une indépendance mutuelle entre l’Etat et les églises.

Trois articles de la Constitution belge consacrent les principes fondamentaux qui régissent ces rapports :

L’article 19 de la Constitution garantit la liberté des cultes, leur exercice public et la liberté de manifester ses opinions en toute matière.

L’article 20 prévoit que « nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d’un culte, ni d’en observer les jours de repos ».

L’article 21 stipule que l’Etat n’a le droit d’intervenir ni dans la nomination, ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque. Il prévoit également que le mariage civil devra en principe toujours précéder la bénédiction nuptiale.

La concrétisation de ces articles implique qu’un Etat démocratique se caractérise par la reconnaissance pour chaque individu d’une sphère d’autonomie que l’Etat doit respecter et garantir, par tout moyen, et notamment en assurant une égalité de traitement à l’égard de chaque individu et de chaque groupe particulier.

L’adhésion ou non à une religion relève de la sphère privée de chaque citoyen. Les libertés publiques s’exercent toutefois dans le cadre du pouvoir de souveraineté de l’Etat qui déterminera les limites de l’exercice de ces libertés et le caractère délictueux ou non de certains actes commis à l’occasion de l’usage de ces libertés.

Malgré ces préceptes constitutionnels, la religion catholique a continué et continue à bénéficier d’une situation privilégiée. Ce qui a amené, il y a moins d’un an, une nouvelle initiative parlementaire destinée à préciser, par une proposition de loi, les principes constitutionnels et à exiger la séparation effective des églises et de l’Etat.

Au départ de ce contexte constitutionnel et au fil du temps, les associations laïques belges ont vu le jour. La plus ancienne, qui a plus de 150 ans, est la Ligue de l’Enseignement « et de l’Education Permanente ». La question de l’école a bien sûr mobilisé les libres penseurs dans un combat pour l’école publique.

En dehors des questions liées à l’école, de celles qui s’inscrivent dans l’émancipation des femmes, les victoires des associations laïques et plus tard du mouvement ont été particulièrement exemplaires dans le domaine éthique : avortement, contraception, euthanasie, mariage homosexuel

En ces matières, la législation belge rencontre, bien plus que dans l’écrasante majorité des autres pays, le principe du libre choix des individus.

Le Centre d’Action Laïque belge a réalisé, en 1969, le rassemblement d’une dizaine d’associations existantes et impliquées dans divers secteurs tels l’enseignement, l’audiovisuel, la libre pensée en général.

Le facteur historiquement identifié comme le déclencheur de cette cristallisation associative est l’incendie à Bruxelles en 1967 des grands magasins de « l’Innovation ».

Actuellement, le Centre d’Action Laïque belge regroupe 28 associations communautaires et 7 régionales membres du Centre d’Action Laïque ainsi que 305 associations régionales et locales affiliées aux régionales.

Son objet social est la défense et la promotion de la laïcité en Belgique francophone Et dans ses statuts, il est précisé que par laïcité, il faut entendre :

D’une part, la volonté de construire une société juste, progressiste et fraternelle, dotée d’institutions publiques impartiales, garante de la dignité de la personne et des droits humains assurant à chacun la liberté de pensée et d’expression, ainsi que l’égalité de tous devant la loi sans distinction de sexe, d’origine, de culture ou de conviction et considérant que les options confessionnelles ou non confessionnelles relèvent exclusivement de la sphère privée des personnes.

D’autre part, l’élaboration personnelle d’une conception de vie qui se fonde sur l’expérience humaine, à l’exclusion de toute référence confessionnelle, dogmatique ou surnaturelle, qui implique l’adhésion aux valeurs du libre examen, d’émancipation à l’égard de toute forme de conditionnement et aux impératifs de citoyenneté et de justice.

Et c’est là, que se situe la particularité belge de la prise en compte du concept de laïcité, pour déboucher sur la dimension européenne de la laïcité qui s’avère un combat central pour que les valeurs de la laïcité politique soient les références communes de la diversité européenne et que les héritages confessionnels de l’Europe restent à leur juste place.

Mais là, un esprit de reconquête de conceptions morales imposables à tous, une nouvelle croisade en terre européenne, constituent des dangers certains.

Le brassage des cultures qui a fait l’identité européenne et sa richesse impose aux gouvernements et aux citoyens d’Europe un devoir d’ouverture et d’acceptation de la diversité.

Les valeurs de tolérance et d’humanisme qui constituent le patrimoine commun et le ciment de l’Europe moderne, au-delà des différences nationales, régionales ou traditionnelles, impliquent dans le chef de toute autorité publique une rigoureuse impartialité à l’égard de toutes les conceptions philosophiques ou religieuses et la garantie de l’indépendance de la sphère privée des citoyens en matière d’option confessionnelle ou non confessionnelle.

Le dialogue privilégié, très régulier et moyennement transparent des hauts responsables européens avec les églises, indique l’ampleur de la tâche.

Les principes de liberté d’expression, de libre choix des personnes, du respect des différences, de la distinction entre la sphère publique et la sphère privée, de l’impartialité des pouvoirs publics, ainsi que l’attitude qui consiste à privilégier les démarches d’appréhension et d’investigation des faits et des comportements en s’appuyant prioritairement sur la raison, sont des notions, des concepts, des valeurs intimement liés aux combats menés en Belgique pour la laïcité politique. Ce combat est mené au niveau du mouvement laïque par des femmes et des hommes qui se retrouvent au niveau de la laïcité philosophique.

Ces athées n’ont pas bien sûr l’exclusivité de la défense de la laïcité politique mais il s’agit pour eux d’une démarche libre-exaministe naturelle.

Mais aujourd’hui, nous ne pouvons nous contenter de gérer une rente de situation. Il faut faire preuve de vigilance et de détermination pour assurer avec tous les défenseurs d’une démocratie éclairée que les valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité restent les facteurs centraux de la cohésion sociale en Belgique et en Europe.

Texte de l’intervention aux 2e RLI de Saint-Denis le 5 avril 2009


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message