15 mai 2003 Luc Ferry chahuté à Rodez par les enseignants

mercredi 13 mai 2020.
 

Grèves de 2003 en France

Contexte : Alignement des retraites du public et allongement pour tous

Encore dix ans auparavant, les salariés du privé comme du public pouvaient prendre leur retraite à taux plein dès 37,5 années de cotisation. En 1993, la réforme Balaldur avait attaqué séparément le privé, allongeant à 40 annuités, malheureusement sans combat. En 1995, le plan Juppé voulait aligner les fonctionnaires sur le recul imposé au privé, ce qui a été mis en échec par un massif mouvement de grève.

Raffarin (premier ministre) et Fillon (ministre des affaires sociales) annoncent l’alignement des fonctionnaires sur le régime du privé, utilisant démagogiquement l’écart qui s’est creusé (à cause d’un autre gouvernement capitaliste !) pour diviser les travailleurs. Et cela alors même que cette nouvelle réforme Fillon contenait également une mesure attaquant l’ensemble des salariés : la hausse progressive de la durée de cotisation, à 41 ans en 2012 et 42 en 2020, pour tout le monde.

Des appareils syndicaux conciliants

Les principales confédérations acceptent alors de jouer, bien plus qu’en 1995, le jeu du « dialogue social » et la recherche du « diagnostic partagé ». Même FO et la CGT, qui en 1995 s’étaient considérées comme attaquées en tant qu’appareils syndicaux, au niveau de la gestion de la sécurité sociale, tiennent cette fois à paraître beaucoup moins offensives, dans la continuité de leur longue évolution (« à la CFDT ») vers le « syndicalisme de proposition et de négociation ».

La CFDT admet la nécessité d’une réforme « pour sauver les retraites par répartition » mais demande la prise en compte de la « pénibilité » et des carrières longues. La CGT ne met plus en avant les 37,5 ans pour tous ni l’abrogation des mesures Balladur de 1993, et rappelle qu’elle « n’est pas hostile à toute réforme ». FO demande le retour de tous aux 37,5 ans, mais affiche sa volonté de se rallier de toute façon à un calendrier unitaire… dicté par les autres donc. Idem pour la FSU : jamais sans les autres ! Pour le 1er février, toutes les confédérations (CFDT comprise) appellent à manifester. Le texte commun s’aligne de fait sur le plus petit dénominateur commun… et donc sur les positions officielles de la CFDT, admettant la « nécessité d’une réforme », ne défendant pas de revendication claire, et surtout pas le retour de tous les salariés, public et privé, à 37,5 ans de cotisation.

Même vide sidéral sur un éventuel plan de mobilisation. Rien n’est prévu avant une journée le 3 avril, puis… le 13 mai. La CGT évoquant pour sa part une éventuelle journée nationale de manifestation le dimanche 25 mai ! Bref, les mobilisations sont programmées davantage pour faire marcher les militants et les fatiguer, que pour préparer une épreuve de force et faire capoter la réforme. Autrement dit, contrairement à 1995, les confédérations désorganisent plus qu’elles n’organisent la lutte, par des propos et un calendrier démobilisateurs.

Rien n’était fait pour que l’on ait le plus grand mouvement social en France depuis 1995, du 3 avril au 19 juin. Le gouvernement pouvait être tranquille. Sauf qu’il y a eu quelques (gros) grains de sable. Il y a un vrai décalage entre les directions syndicales et nombre d’équipes militantes de la base, qui se manifeste, dans les manifestations, par le grand nombre de banderoles réclamant le retour aux 37,5 ans pour tous. Ensuite surgit un mouvement très profond et militant au sein de l’éducation nationale !

La grève de l’Education nationale

L’Education nationale comptait alors 358 000 enseignants du premier degré, 508 000 du second degré, 80 000 du supérieur, mais aussi 290 000 personnels non enseignants. Ces derniers étaient la cible d’attaques gouvernementales importantes : d’un côté des suppressions massives de postes de surveillants et une dégradation brutale de leur statut, et de l’autre la décentralisation du personnel Atoss (administratifs, techniciens, ouvriers, personnels de service, de santé et sociaux). Cela contribua à engendrer un mécontentement profond, notamment chez des personnels, y compris enseignants, des établissements les plus populaires, dans les ZEP, là où le mouvement sera le plus fort. Ce qui d’emblée va lui donner un caractère pas du tout corporatiste.

Une journée d’action nationale est appelée par les syndicats de l’Education nationale le 18 mars, notamment contre les mesures de décentralisation, perçues à juste titre comme un début de démantèlement de l’Education nationale et une précarisation accrue des personnels. A priori sans lendemain… Mais dans les semaines suivantes, des personnels, qui en ont ras-le-bol des sempiternelles journées saute-mouton, se mettent en grève reconductible, de façon minoritaire, dans des établissements du 93, de Toulouse, Marseille, Le Havre et Rouen, La réunion, Bordeaux etc. Dans le 93, des enseignants de quelques dizaines d’établissements du second degré reconstituent une AG départementale (« des établissements en lutte de Seine-Saint-Denis ») et un comité de mobilisation, et commencent une « grève marchante » pour propager la grève de bahut en bahut. A Toulouse une AG de 140 enseignants appelle à la grève reconductible. Le 18 mars, le secteur du Havre part en grève reconductible, de manière minoritaire, certes, mais avec ces deux objectifs eux aussi : l’extension et la prise en main démocratique du mouvement (AG quotidienne de tous les personnels en lutte). Des grévistes viennent à Rouen le 26 pour convaincre les Rouennais de les rejoindre. Le 3 avril une AG de 400 grévistes à Rouen vote le principe de la grève reconductible, et il en sortira l’élection d’un comité de grève provisoire (membres élus par l’AG d’agglomération de différents secteurs avec la présence d’un représentant de chaque syndicat).

L’auto-organisation au service de la grève reconductible

Ce ne sont là que quelques exemples, parmi les plus significatifs : fin mars et début avril, plusieurs « foyers » « d’auto-organisation » et de grève minoritaire militante s’allument dans le pays pour appeler et surtout construire très concrètement la grève reconductible. Ils réussissent à faire embrayer quelques sections départementales du SNES et de la FSU, relayant les appels à la grève. L’initiative, c’est le moins qu’on puisse dire, ne vient pas des directions syndicales nationales, mais de la base militante, d’équipes locales combattives, dans lesquelles les militants d’extrême-gauche de diverses « obédiences » (LCR, PT, LO, CNT etc.) jouent un rôle certain.

Au fur et à mesure de l’extension du mouvement, les structures d’auto-organisation vont se renforcer. A Toulouse, les AG de l’agglomération réuniront jusqu’à 800 personnes, à Nantes jusqu’à 1000. A Paris se constitue une AG d’Ile-de-France (à l’issue de la manif parisienne du 6 mai, par exemple, elle réunira plus de 500 grévistes représentant 220 collèges et lycées et des dizaines d’écoles). Pendant plusieurs semaines, de 300 à 800 personnes s’y retrouveront. En lien avec des AG départementales, de 200, 400, 600, et des AG de ville. Les fédés, même les moins enthousiastes, ont dû se résigner à s’y représenter, sans bien sûr considérer que ces AG pouvaient avoir la même légitimité qu’elles à représenter et diriger le mouvement, quand par ailleurs des responsables syndicaux, un peu partout, tentaient de discréditer ces formes d’auto-organisation (« des assemblées de fous ») et s’opposaient à ce que leurs AG locales envoient des représentants à la coordination nationale.

Car sous l’impulsion des AG des régions où le mouvement est le plus fort, une coordination nationale des personnels en lutte de l’Education nationale s’est constituée. Elle se réunira régulièrement, avec des représentants de centaines d’établissements scolaires, et des délégués venant, au plus fort, de 44 départements (même si tous ne sont pas délégués par des ag départementales). C’est un lieu irremplaçable de débats, d’élaboration collective d’une politique pour faire gagner la grève, un véritable embryon d’une direction nationale et démocratique du mouvement. Certes, elle ne réussira jamais à rivaliser réellement avec les directions syndicales nationales, faute d’une légitimité reconnue dans vraiment tout le pays, mais elle exerce une sacrée pression sur celles-ci, et propose une politique à des milliers de grévistes.

Vers la grève générale ?

La grève reconductible se maintient et progresse peu à peu, avec beaucoup de volontarisme. L’objectif est de surmonter le chevauchement des vacances (des différentes académies). Pari réussi : les directions syndicales, notamment le syndicat majoritaire du secteur, la FSU, ayant finalement appelé à une journée de grève le 6 mai, celle-ci est un gros succès.

Or le 6 mai, c’est une semaine avant… le 13 mai. Ce mouvement de fond, qui met très consciemment sur la table des problèmes politiques (quel droit à l’éducation pour les enfants des classes populaires ?), et n’est pas entaché de corporatisme, est également conscient qu’il ne sera pas possible de gagner seul. Et la mobilisation sur les retraites s’annonce, à destination de tous les salariés. Le mouvement de l’éducation nationale contre la décentralisation va donc inévitablement se métamorphoser en mouvement contre la réforme des retraites. Et tenter d’y faire jouer sa force d’entraînement, de lui communiquer son enthousiasme et sa combativité.

De façon générale, les grévistes de l’éducation nationale se sentaient le fer de lance d’une grève générale à construire. Leurs revendications sur l’école étaient reliées explicitement aux problèmes de tous, l’un des slogans les plus repris étant d’ailleurs : « Il y en a ras-le-bol de ces guignols qui cassent les usines et ferment les écoles. » Il s’agissait de défendre les retraites de tous, ou encore de refuser une école au rabais pour les enfants d’ouvriers et de chômeurs.

A partir du 6 mai, des minorités d’enseignants et autres personnels EN, en grève reconductible, se métamorphosent en militants du mouvement sur les retraites (les militants d’extrême-gauche, eux, ayant ouvertement milité depuis le début, dès mars !, dans cette perspective). Dans le cadre des AG de villes, de coordinations départementales, régionales, nationale, tous les problèmes, y compris de calendrier d’action, sont posés. Les grévistes de l’EN usent de la reconductible pour maintenir l’effervescence, dans leur propre milieu, pour entrainer les autres collègues dans la grève et la rue lors de « temps forts » nationaux, mais aussi pour s’adresser à d’autres secteurs, en allant par exemple diffuser des tracts devant des entreprises publiques et privées, en organisant des AG interprofessionnelles.

L’activité « interpro » se développe en effet : virées d’enseignants vers les postiers, les cheminots, les hospitaliers, les agents de la DDE ou des impôts... Convocation, via les réseaux syndicaux, de réunions de travailleurs de diverses catégories et du privé - souvent des militants syndicaux ou politiques, certes, mais qui pouvaient se rassembler et discuter à plusieurs dizaines (ou centaines comme à Saint-Denis ou Bobigny dans la banlieue parisienne, à Rouen, à Toulouse etc.).

Bien sûr, l’espoir était de voir basculer le reste du pays dans la grève, à commencer, comme en 1995, le reste du secteur public. L’espoir, de façon encore plus précise, c’était de voir, comme en 1995, année de la victoire, le pays à nouveau bloqué par une grève générale illimitée des transports. Dans les AG, les débats étaient passionnés sur la tactique à adopter, sur les perspectives du mouvement. Certains espéraient que les confédérations syndicales appelleraient enfin à la grève générale, d’autres insistaient pour que la base compte sur ses propres forces et, tout en faisant pression sur les organisations syndicales, construise elle-même la généralisation de la grève.

Qui n’est jamais venue. Parce que les « conditions n’étaient pas remplies » comme le diraient les dirigeants des confédérations d’alors ? Voire ! Car comment le savoir puisque de toute façon ces dirigeants ne l’ont pas voulu, et non seulement n’ont pas agi pour la rendre possible, mais ont agi pour l’empêcher !

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