L’offensive FNL du Têt (30 31 janvier 1968) prouve l’impasse US

samedi 3 février 2024.
 

Neuf millions d’Américains sont devant leur poste de télévision lorsque Walter Cronkite donne le coup de grâce. Ce 27 février 1968, près d’un mois après le début de l’offensive du Têt au Vietnam, le journaliste américain assure, face caméra, que les États-Unis sont dans l’impasse. «  Dire que nous sommes proches de la victoire aujourd’hui, c’est croire, en dépit des preuves, les optimistes qui ont eu tort par le passé. Suggérer que nous sommes au bord de la défaite est céder au pessimisme déraisonnable. Dire que nous sommes embourbés dans une impasse semble être la seule réaliste, mais insatisfaisante, conclusion. Mais, il est de plus en plus clair que la seule façon rationnelle d’en sortir sera de négocier, et pas en tant que vainqueurs, mais en tant que peuple honorable.  » Pour la première fois depuis leur engagement direct dans le conflit, en 1965, les Américains perdent confiance.

Il faut dire que personne ne s’attendait à une offensive d’une telle ampleur des forces combinées du Front national de libération du Sud-Vietnam (Viêt-cong) et de l’armée populaire vietnamienne contre les positions de l’armée sud-vietnamienne et les installations américaines, à la veille du nouvel an lunaire (Têt), dans la nuit du 30 au 31 janvier 1968. Tous les préparatifs pour s’emparer des villes et appeler la population à se soulever ont soigneusement été dissimulés et Hanoi détourne l’attention en menant, dès septembre 1967, des attaques de diversion le long des frontières du sud avec le Laos et le Cambodge, afin d’attirer les Américains hors des villes et loin des côtes peuplées. «  Le plan de l’offensive est finalisé durant l’été 1967. Les diplomates nord-vietnamiens sont rappelés à travers le monde pour discuter de l’attaque, ce que le renseignement américain interprète comme une réunion pour envisager une paix négociée  », relate l’historien Stéphane Mantoux.

Thieu annule le cessez-le-feu mais personne n’a encore idée de l’ampleur du plan prêt à se dérouler

Fin décembre, l’état-major américain observe une activité inhabituelle le long de la piste Hô Chi Minh. 20 000 hommes l’ont déjà empruntée afin de rejoindre le Sud. En alerte, le général Westmoreland demande aux Sud-Vietnamiens de surseoir au traditionnel cessez-le-feu décrété pour les fêtes du nouvel an. Pour ne pas démoraliser les troupes, le président Thieu le réduit à 36 heures à partir du 29 janvier. Au Nord, le gouvernement a fait avancer les festivités au 29 janvier afin que la population se retrouve en famille avant l’attaque. Mais cela n’alerte pas les Américains. Lorsque l’assaut est donné le 30 janvier et que les forces viêt-cong se lancent sur huit villes, une partie des troupes du Sud est en permission. Thieu annule le cessez-le-feu mais personne n’a encore idée de l’ampleur du plan prêt à se dérouler. Le 31 janvier à 3 heures du matin, 84 000 combattants se projettent sur trois quarts des villes méridionales dans un schéma de bataille complexe et difficile à soutenir.

Avec la perte de 40 000 hommes, les Viêt-cong sortent affaiblis des combats

Dans Saigon, jusqu’alors plus ou moins épargnée, la lutte est âpre. Sous les ordres du général Tran Do, onze bataillons de 4 000 hommes doivent rejoindre les forces locales ayant déjà infiltré la capitale en se dissimulant parmi la foule venue pour les fêtes. Parmi les objectifs, le palais de l’indépendance, le QG de la marine sud-vietnamienne, l’aéroport de Tan Son Nhat et la station de radio nationale, ainsi que l’ambassade américaine. Dans cette résidence fortifiée de 16 000 mètres carrés, l’attaque impressionnante échoue mais prouve désormais que tous les lieux du Sud sont à portée des combattants communistes. Sur le reste du territoire, et malgré la surprise, les forces américaines et sud-vietnamiennes parviennent à déloger les assaillants. Au bout d’une semaine, seuls la ville impériale de Huê et le quartier de Cholon à Saigon restent aux mains des révolutionnaires. La première sera récupérée au prix d’une des batailles les plus sanglantes de la guerre. En vingt-cinq jours, l’armée du Sud perd 384 soldats, compte 1 800 blessés et 30 disparus  ; les marines 147 morts et 847 blessés  ; l’US Army autour de la cité 74 morts et 507 blessés. Côté communiste, on estime les pertes à 8 000 combattants. Comparée par les médias américains à Diên Biên Phu, la bataille de la base américaine avancée de Khe Sanh fut quant à elle la plus longue.

Supérieurs par leur puissance de feu, les Américains, qui ne croyaient pas à une offensive généralisée en ce qu’elle remettait en cause leur évaluation des forces et de la nature même de la guerre, sont obligés, à l’issue de l’offensive du Têt qui s’achèvera en septembre, de changer de stratégie. «  Jusqu’au Têt, ils pensaient qu’ils pouvaient gagner la guerre, mais, à partir de là, ils savaient qu’ils ne le pouvaient pas  », dira le général Giap, même si, avec la perte de 40 000 hommes, les Viêt-cong sortent affaiblis. Des négociations débutent à Paris en mai de la même année, ce qui constitue une victoire incontestable. Dans la foulée, Washington met fin au conflit par procuration pour laisser place à un affrontement entre Vietnamiens. Lindon b. johnson, victime collatérale

La date de l’offensive du Têt n’est pas choisie au hasard. C’est précisément en 1968 qu’a lieu la présidentielle américaine. Le président Lindon B. Johnson sait que l’opinion est en train de se retourner. Un slogan marque particulièrement le chef d’État dans les manifestations étudiantes  : «  Hé, hé, LBJ, combien d’enfants as-tu tués aujourd’hui  ?  » Le 31 mars, il annonce la fin des bombardements sur le Nord-Vietnam à l’exception d’un secteur à proximité de la DMZ. Lors de cette intervention télévisée, il lance également une invitation à négocier et annonce qu’il ne se représentera pas. Un revirement pour celui qui avait sans cesse renforcé l’effort de guerre depuis 1965. Une stratégie difficilement soutenable pour l’économie américaine, qui est entraînée dans une spirale inflationniste.

Lina Sankari, L’Humanité


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