Peuples indigènes d’Amérique : des citoyens de seconde classe sur la terre de leurs ancêtres

mercredi 12 octobre 2005.
 

Le 12 octobre ayant été choisi comme date pour commémorer l’arrivée de Christophe Colomb sur le continent américain en 1492, voici plus de 500 ans plus tard la situation vécue par les peuples indigènes (rapport Amnesty International en date du 11 octobre 2002)

« Plus de la moitié des pays du continent reconnaissent le caractère multiculturel de l’État et possèdent une Constitution et une législation qui garantissent les droits des peuples indigènes. Il existe cependant un large fossé entre cet engagement de principe et la réalité vécue par l’immense majorité des Amérindiens, souvent traités comme des citoyens de seconde classe, depuis le Canada jusqu’au sud du Chili et de l’Argentine, en passant par l’Amérique centrale », a déclaré Amnesty International.

« Les droits les plus élémentaires des communautés indigènes, notamment le droit à la terre et à l’identité culturelle – en matière d’usage de la langue, d’enseignement et de justice – sont systématiquement violés dans de nombreux pays », a ajouté l’organisation.

« Qui plus est, le racisme et la discrimination qui sont profondément ancrés dans la plupart des sociétés exposent les membres des communautés indigènes à des risques accrus d’atteintes aux droits humains, telles que des actes de torture et des mauvais traitements, des "disparitions" ou des homicides illégaux. »

Amnesty International estime que les gouvernements du continent américain, dans leur ensemble, manquent de toute évidence de la volonté politique nécessaire pour que les droits des indigènes soient réellement respectés. L’incapacité du gouvernement guatémaltèque à s’opposer au génocide perpétré contre la population indigène dans le cadre de la guerre civile prolongée qu’a connue ce pays n’est qu’un exemple parmi d’autres.

La non-application des accords conclus en 2000 au Honduras avec la communauté indigène, ou encore l’adoption par le Mexique d’une législation relative aux peuples indigènes impropre et discutable, rejetée par les communautés et les organisations indigènes comme constituant une atteinte à leurs droits fondamentaux, sont tout aussi symptomatiques. Dans le cas du Mexique, le fait que la nouvelle législation n’ait pas répondu aux attentes des communautés indigènes hypothèque les efforts déployés en faveur des droits humains et d’une solution au conflit dans l’État du Chiapas.

« Cette absence de volonté se retrouve dans la façon dont les gouvernements traînent les pieds pour intégrer la déclaration américaine sur les peuples indigènes dans le dispositif panaméricain », a estimé l’organisation, invitant les gouvernements de la région à appliquer la résolution adoptée cette année par l’Assemblée générale de l’Organisation des États américains concernant cette importante question et à poursuivre plus avant dans cette voie.

Amnesty International a également appelé les gouvernements à prendre sans plus tarder des mesures concrètes pour traduire dans les faits leurs discours sur le pluralisme culturel et les droits des indigènes. Elle leur a rappelé les engagements qu’ils avaient pris l’an dernier, lors de la Conférence mondiale contre le racisme de Durban (Afrique du Sud), où des objectifs précis avaient été fixés en ce qui concerne l’action en faveur des droits des peuples indigènes.

« Cela signifie que les États doivent veiller à ce que les communautés indigènes soient véritablement représentées et promouvoir le respect de l’ensemble des droits des indigènes, non seulement dans le cadre du système juridique, judiciaire et politique, mais également au sein de la société en général », a souligné l’organisation.

Quelques exemples de violations des droits des peuples indigènes dont Amnesty International a connaissance :

Violations concernant la terre et l’environnement

– Dans plusieurs pays, dont l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Canada, le Chili, le Guatémala et le Nicaragua, des communautés indigènes demandent la restitution des terres de leurs ancêtres, suscitant une violente opposition de la part des propriétaires fonciers et des entreprises qui en exploitent les ressources naturelles et qui bénéficient souvent du soutien des autorités.

– Un peu partout en Amérique, de grands projets de construction d’infrastructures ou d’extraction de ressources naturelles sur les terres de communautés indigènes mettent en péril ces dernières, menaçant leur survie même. Ces projets sont conçus et mis en œuvre sans réelle concertation et au mépris du principe de transparence. Citons, à titre d’exemple, le Plan Puebla-Panamá, qui vise à créer des infrastructures et des installations industrielles dans les États du sud du Mexique et en Amérique centrale, et qui aurait inévitablement un impact sur les communautés indigènes de la région. Même chose pour le projet de canal censé relier l’Atlantique et le Pacifique, au Nicaragua, à travers un territoire sacré aux yeux de la communauté indigène, ou pour le barrage de l’Urrá, en Colombie, prévu sur les terres du peuple Embera Katío, et auquel s’opposent un certain nombre de membres de cette communauté, ou encore pour les projets de construction d’un oléoduc en Équateur.

– Au Brésil, Hipãridi Top’Tiro, l’un des chefs de la communauté Xavante, qui habite la réserve indigène de Sangradouro, dans l’État du Mato Grosso, a dû s’exiler face aux menaces de mort dont il faisait l’objet, en raison de son action en faveur de l’environnement et du recours qu’il avait déposé en justice contre des propriétaires de la région, pour déforestation partielle d’un territoire indigène. Selon certaines informations, Hipãridi Top’Tiro aurait été menacé par le directeur régional de la Fundação Nacional do Indio (FUNAI, Fondation nationale de l’Indien), organisme gouvernemental chargé de protéger les communautés indigènes, qui entretiendrait des liens étroits avec les propriétaires locaux. Le gouvernement fédéral a par la suite conseillé au leader indien de partir à l’étranger, estimant ne pas être en mesure d’assurer sa protection.

– En Colombie, le dirigeant amérindien Kimy Pernia Domicó, membre de la communauté Embera Katío en lutte contre le barrage de l’Urrá, a « disparu » en juin 2001, après avoir été enlevé par des paramilitaires appuyés par l’armée. D’autres membres de cette communauté qui militaient pour qu’il soit libéré ont été victimes de manœuvres de harcèlement. L’un d’entre eux, Pedro Alirio Domicó, a à son tour été enlevé par les paramilitaires et assassiné. On était toujours sans nouvelles de Kimy Pernia et personne n’avait été traduit en justice dans le cadre de l’une ou l’autre affaire.

Violations concernant l’identité culturelle

– Dans un certain nombre de pays, comme le Guatémala ou le Mexique, la police interroge fréquemment des Amérindiens ne parlant pas espagnol et prétend recueillir leur déposition sans avoir recours à un interprète. Au Guatémala, certains ont été traduits en justice, pour des crimes passibles de la peine de mort, selon une procédure entièrement conduite en espagnol, une langue qu’ils ne parlaient pas. Amnesty International connaît l’exemple d’un Amérindien ne parlant pas espagnol ayant fait l’objet d’un examen psychologique conduit en espagnol et destiné à déterminer s’il était apte à être jugé.

– Récemment, au Chili, deux membres de la communauté Mapuche ont été reconnus coupables de « manque de respect » et de « mauvaise conduite » pour avoir crié des slogans en langue mapundung et avoir joué de la musique avec des instruments traditionnels lors d’une audience, à Angol.

Agressions contre des défenseurs des droits humains travaillant aux côtés des communautés indigènes

– En Bolivie, Leonardo Tamburini, conseiller juridique de la communauté indigène Chiquitano dans le cadre de leurs revendications foncières, a reçu des menaces téléphoniques en septembre 2002.

– Au Nicaragua, María Luisa Acosta, avocate défendant les communautés indigènes de la région autonome de l’Atlantique sud, a elle aussi reçu des menaces de mort en raison de son engagement. Son mari a été tué en avril 2002, dans un attentat qui, de l’avis général, la visait elle. Le meurtre a été commis avec une arme appartenant à l’avocat d’un ressortissant des États-Unis impliqué dans des transactions foncières, portant notamment sur des terres indigènes.

– Au Guatémala, des membres de la Defensoría Indígena (instance de défense des droits des indigènes), œuvrant pour la promotion des droits des communautés indigènes, la résolution des conflits internes aux communautés par des voies traditionnelles et la reconnaissance de l’autorité des dirigeants mayas coutumiers au sein de la structure de l’État, ont reçu à plusieurs reprises des menaces de mort. En septembre 2002, Manuel García de la Cruz a été sauvagement torturé, puis assassiné, en représailles, visiblement, de son action au service des droits humains et du développement au sein de la Coordinadora Nacional de Viudas de Guatemala (CONAVIGUA, Coordination nationale des veuves du Guatémala), une organisation de défense des droits des Amérindiens.

Violations des droits humains (homicides illégaux, torture et mauvais traitements, brutalités, etc.)

– Au Honduras, de nombreux leaders indigènes ont été tués ces dernières années. Personne n’a jamais été reconnu responsable de ces meurtres, malgré les engagements pris par le gouvernement envers divers groupes indigènes. Le gouvernement a notamment promis de mettre en place un programme destiné à faire la lumière sur les meurtres d’Amérindiens et de Noirs perpétrés les années précédentes. Deux ans après, ce programme n’a toujours pas vu le jour.

– En Argentine, une bonne centaine d’agents de la police provinciale ont mené une opération contre la communauté Toba, à Formosa, rouant de coups, tout en proférant des insultes racistes, plusieurs membres de la communauté, dont une femme enceinte. Plusieurs autres personnes, dont un homme de soixante-quatorze ans, ont été arrêtées, maltraitées et humiliées pendant leur garde à vue.

– Au Canada, la mort de Dudley George, un Amérindien abattu par la police de la province de l’Ontario, n’a toujours pas fait l’objet d’une enquête indépendante, en dépit des appels réitérés lancés en ce sens, y compris par le Comité des droits de l’homme de l’ONU. Dudley George avait participé à un mouvement revendiquant la restitution de certaines terres.

Violations commises dans le cadre de conflits

– En Colombie, les communautés indigènes se retrouvent prises entre deux feux, entre l’armée et ses alliés paramilitaires d’un côté, et les groupes de guérilla de l’autre. La communauté Paeces, qui vit dans l’ancienne zone démilitarisée, où ont eu lieu des pourparlers de paix jusqu’au 20 février 2002, a été occupée par une unité mobile de l’armée, qui a réquisitionné l’école locale et les appareils de cuisine des familles. Les habitants ont refusé de livrer deux des leurs, soupçonnés d’appartenir à la guérilla, et ils sont accusés par une autre communauté de soutenir les rebelles. Ces accusations leur font craindre en permanence une incursion des paramilitaires. Quatre-vingts p. cent des homicides politiques perpétrés hors des combats sont le fait de groupes paramilitaires qui agissent avec le soutien tacite ou explicite des forces de sécurité. Certains membres de communautés indigènes ont toutefois été tués par des groupes de guérilla, qui les accusaient de collaborer avec l’ennemi. En juillet 2002, Bertulfo Domicó Domicó a été tué par des hommes des Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (FARC, Forces armées révolutionnaires colombiennes), dans la municipalité de Dabeiba (département d’Antioquia).

– Le massacre de 26 Amérindiens, à Agua Fría (Oaxaca, Mexique), en mai 2002, est la conséquence de la négligence et de l’exploitation dont sont victimes depuis très longtemps les communautés indigènes de la région et de l’incapacité de l’État à prendre sérieusement en compte les menaces de violence imminente, dans le cadre de désaccords entre communautés.

– En février 2002, des membres de l’armée mexicaine auraient roué de coups et agressé sexuellement la jeune Valentina Rosendo Cantu, dix-sept ans, près de son domicile, dans l’État de Guerrero (sud du Mexique), où l’armée mène une campagne anti-insurrectionnelle et de lutte contre les stupéfiants. Comme cela a déjà été le cas à plusieurs reprises par le passé dans des affaires semblables, le fait que de tels actes soient du ressort de la justice militaire empêche toute enquête sérieuse. La victime, qui souffre encore des séquelles de l’agression, se retrouve sans le moindre recours.

– Le Guatémala a été déchiré pendant plus trente ans par une guerre civile. Dans sa lutte contre les insurgés, l’armée y a pratiqué une politique de la terre brûlée visant systématiquement les communautés indigènes de l’ouest et du nord-ouest du pays. On estime qu’environ 200 000 hommes, femmes et enfants ont été tués ou ont « disparu » pendant le conflit. L’ampleur des violations des droits humains a été telle que la Commission de l’Église catholique pour la clarification historique a estimé qu’il y avait eu génocide dans au moins quatre régions. Dans leur immense majorité, ces violations n’ont fait l’objet d’aucune enquête et leurs auteurs n’ont pas été traduits en justice.


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