Une référence au passé, l’action au présent

lundi 6 août 2018.
 

Pourquoi se référer au passé  ? Sous la direction de Claudia Moatti et Michèle Riot-Sarcey L’Atelier/Éditions ouvrières, 363 pages, 25 euros

Sous le titre Pourquoi se référer au passé  ?, les historiennes Claudia Moatti et ­Michèle Riot-Sarcey publient un recueil d’articles destinés à illustrer, chacun à sa façon, un rapport spécifique au passé  : la «  référence au passé  », concept inédit dont l’explicitation en introduction de l’ouvrage permet de saisir toute l’originalité, une originalité que confirment les analyses historiques qu’inspire cette nouvelle catégorie historiographique.

C’est donc cette spécificité que les auteures s’emploient d’abord à cerner, en distinguant la «  référence  » au passé des «  usages  » du passé, déjà quant à eux bien répertoriés et analysés. À la différence de ces usages, de ceux notamment qui consistent à faire du passé un modèle pour l’action présente ou un principe de légitimation pour cette même action, la référence au passé désigne un rapport dynamique au passé, un passé ni clos, ni achevé, ni imité, ni répété, et qui se découvre à l’inverse comme un indice de possibilité, comme un ferment possible de nouveauté, à l’exemple des notions d’origine et de germe telles que Cornelius Castoriadis et Walter Benjamin les ont théorisées. La référence au passé, ce mode spécifique par conséquent de rapport au passé, inspire en effet de façon singulière l’action présente, quand cette action est destinée à corriger les imperfections du passé et à en réaliser les possibles oubliées ou inachevées. La Révolution comme un modèle à reproduire pour relancer les luttes populaires

Ainsi, Gracchus Babeuf, au moment de la Révolution française, se tournait-il vers la Rome antique, non pour la proposer aux acteurs de la Révolution comme un modèle à reproduire, mais parce que cette «  référence  » lui apparaissait comme le moyen de relancer les luttes populaires, donc la Révolution, dans des voies nouvelles et inédites.

La référence au passé est de la sorte foncièrement créatrice d’un avenir qui accomplit le passé. L’ouvrage est composé de trois parties. La première répertorie les différentes figures de la référence  ; la deuxième décline les différentes façons dont les révolutions ont exploité la capacité de la référence à orienter l’action présente, et la troisième, intitulée «  La référence en débat  », souligne toute la complexité de la référence à un passé inévitablement polysémique. À l’intérieur de chacune de ces parties, les études de cas se succèdent, cette fois selon un ordre chronologique.

Depuis par conséquent la Rome antique jusqu’à la Révolution tunisienne de 2011, quatorze études de cas consistant en autant de variations sur ce même thème permettent à la fois de saisir concrètement en quoi a consisté dans l’histoire à de multiples reprises cette forme spécifique de rapport au passé, en même temps que d’attester la valeur opératoire de ce concept inédit. Un ouvrage stimulant.

Simone Mazauric Philosophe et historienne


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message