Décret Pécresse : la marchandisation de l’éducation (éditorial national du Parti de Gauche)

jeudi 26 février 2009.
 

Le décret Pécresse qui déréglemente le statut des enseignants-chercheurs s’inscrit dans un cadre plus global de marchandisation de l’enseignement supérieur. Nous vous présentons ici un dossier qui décrypte les principaux ressorts de ce projet de marchandisation.

Le projet de grand marché des savoirs et des formations

Au niveau mondial, le secteur de l’Education représente plus de 1 500 milliards de dollars de dépenses par an. En Europe et surtout en France, la quasi-totalité de ces dépenses sont socialisées car les activités d’éducation sont exercées par le service public et donc soustraites au marché. C’est ce verrou que les libéraux veulent faire sauter pour ouvrir de nouveaux espaces marchands aux firmes. Pour cela ils s’appuient notamment sur l’Organisation mondiale du commerce, à travers l’Accord général sur le commerce des services (AGCS signé en 1994) qui vise à terme à étendre à la sphère marchande à l’ensemble des services, y compris l’éducation. Même si elle a été obligée, notamment sous la pression de la France, de défendre une exemption provisoire du secteur éducatif, la Commission européenne se prononce régulièrement pour la fin de cette dérogation. En juin 2000, le représentant de l’Union européenne à l’OMC a estimé que « l’éducation et la santé sont mûres pour la libéralisation. » Puis, en janvier 2003, la Commissaire européenne en charge de l’éducation, Mme Reding, a réaffirmé l’urgence de rendre les universités européennes « compétitives sur le marché mondial de l’enseignement supérieur »

Quand l’Europe pousse à marchandiser l’éducation

La Commission européenne s’est d’abord concentrée dans les années 1990 sur le développement d’un véritable marché de l’enseignement à distance. Elle en a fait un laboratoire préparant une ouverture plus large du secteur éducatif au marché. Dans un rapport de mai 1991, la Commission explique ainsi qu’« une université ouverte est une entreprise industrielle, et l’enseignement supérieur à distance est une industrie nouvelle. Cette entreprise doit vendre ses produits sur le marché de l’enseignement continu, que régissent les lois de l’offre et de la demande. » Ce rapport qualifie les étudiants de « clients » et les cours de « produits ». La Commission indique dans un mémorandum du 12 novembre 1991 que la « réalisation de ces objectifs exige des structures d’éducation conçues en fonction des besoins des clients. Une concurrence s’instaurera entre les prestataires... »

La Commission ensuite a cherché à appliquer les mêmes principes à l’ensemble de l’enseignement supérieur. C’est un des buts de la « Stratégie » dite de Lisbonne qui vise à « adapter les systèmes d’éducation et de formation à la société et à l’économie de la connaissance ». Toujours dans la logique d’ouvrir le secteur aux acteurs marchands, la Commission européenne préconise dans une recommandation de novembre 2003 (« Education et formation 2010 : l’urgence des réformes ») que le secteur privé vienne « à assumer une responsabilité plus grande au niveau des investissements nécessaires dans l’éducation » car « le secteur public ne peut seul supporter le poids financier ».

L’Europe libérale impose ainsi dans le dos des peuples des politiques de privatisation des systèmes éducatifs. Elles se sont concrétisées en France par les réformes Fillon puis Darcos et Pécresse.

Marchandisation, version française : le décret LMD puis la loi LRU

Pour créer un marché de l’enseignement supérieur, les libéraux doivent réduire l’encadrement national des formations pour aboutir à une réelle mise en concurrence entre établissements. Cette libéralisation a commencé avec le décret LMD (Licence/Master/Doctorat). Sous couvert d’harmoniser les parcours universitaires en Europe, le LMD a surtout servi à déréglementer le cadre national des diplômes. Les universités ont ainsi été laissées libres d’adapter les cursus et les intitulés de diplôme au grès des circonstances locales, des marges de manœuvre budgétaire et des pressions d’acteurs privés. Au détriment de la lisibilité de l’offre de formation et de la valeur des diplômes sur le marché du travail.

La loi « Libertés et responsabilités des universités », votée en précipitation l’été qui a suivi l’élection de Sarkozy, a ensuite permis de faire sauter les derniers verrous empêchant de passer à un véritable marché de l’enseignement supérieur :

l’autonomie totale de gestion et la globalisation des budgets permettent le désengagement financier de l’Etat et la mise en place d’un véritable marché des personnels universitaires. Désormais libres de recruter et de moduler les rémunérations, les présidents d’université organiseront un merchato pour s’arracher les enseignants jugés les plus attractifs et au contraire se débarrasser de ceux jugés les plus « inutilement » coûteux. Selon leurs moyens et selon leur localisation, les universités auront donc plus ou moins de mal à recruter des enseignants. Les « prix » des enseignants et leurs conditions de travail seront amenés à fluctuer en fonction de la plus ou moins grande rareté et rentabilité des différentes disciplines. Le décret Pécresse sur le statut des enseignants chercheurs n’est que la déclinaison de cette gestion du personnel en fonction de la loi de l’offre et de la demande.

La privatisation des financements et du patrimoine universitaire : en autorisant désormais le financement des universités sur fonds privés et la vente des locaux, la loi LRU a trouvé la solution pour désengager progressivement l’Etat. Les financements privés étant par nature inégalitaires, aléatoires et réversibles, cela va aggraver rapidement les inégalités entre universités et déformer leur offre de formation en fonction des demandes de court terme des seuls financeurs.

Cette mise en place d’un marché de l’enseignement supérieur avec des universités en concurrence ne peut que conduire à un recul du service public dans les zones les plus en difficultés et à une sélection accrue des étudiants. Au-delà du nécessaire retrait du décret Pécresse, c’est donc la loi LRU elle-même qu’il faut abroger pour sauver le service public d’enseignement supérieur.

Défendre les réussites du service public

Face au matraquage libéral contre l’université publique, il faut rappeler les succès du service public d’enseignement supérieur et de recherche en France. Depuis 1990, le nombre d’étudiants a augmenté de 30 %, le nombre de diplômés de niveau master 2 professionnel a été multiplié par 4, le nombre de diplômés comme ingénieurs a doublé. Et la capacité d’adaptation et d’innovation des universités a aussi été illustrée de manière récente par le succès des Licences pro : en à peine 6 ans depuis 2001, on est passé de 4500 étudiants à 40 000 étudiants. Le taux de réussite sans redoublement y atteint 85 %.

Ces réussites en terme d’élévation du niveau de formation se traduisent aussi en terme de réussites scientifiques. Même si Sarkozy et Pécresse ne le disent jamais, la France est dans le peloton de tête de l’OCDE en matière de diplômes scientifiques. La France compte 2 765 diplômés en science pour 100 000 actifs de 25/34 ans (dont 40 % de femmes). La moyenne OCDE est à 1 530 diplômés en sciences sur 100 000 actifs. Cela place la France au 3ème rang de l’OCDE, très largement devant les Etats-Unis, l’Allemagne, le Japon, et devant le Royaume Uni. Les Etats-Unis comptent 1 400 diplômes en sciences pour 100 000 actifs de 25/34 ans : soit deux fois moins que la France !

L’imposture du fameux classement de Shangaï

Valérie Pécresse et les libéraux se réfèrent abondamment au classement dit de Shangaï pour expliquer que l’université française serait dépassée car stagnant « au 45ème rang » de ce classement.Or ce classement ne prend pas en compte la sélection faite à l’entrée des universités ni leur mode de financement. Les missions de service public des universités françaises, comme l’obligation d’accueil de tous les étudiants, sont donc évacuées de l’évaluation. En outre, seules les performances en matière de recherche sont évaluées, le taux d’insertion professionnelle des étudiants n’est pas pris en compte. Dans les pays où la recherche est très largement duale comme en France (à la fois universitaire et d’Etat via les établissements type CNRS, INRA, INSERM ...), ce classement ignore une partie de l’effort de recherche et minore ainsi artificiellement les performances de la France. Est ainsi passé sous silence le fait que le CNRS est le 5e organisme mondial pour le nombre de publications, et le premier en Europe et cela en lien étroit avec les universités, à travers les unités mixtes de recherche CNRS-universités.

Le classement mesure aussi la qualité et l’impact de la recherche en prenant essentiellement en compte le nombre d’articles publiés dans Nature & Science, ce qui favorise le corps universitaire anglophone. Les auteurs du classement ignorent donc largement la qualité de travaux de recherches d’universités enseignant dans une langue autre que l’anglais.

Enfin l’indexation des travaux de recherches et des publications est sujette à caution. Les deux index de référence sont en effet produits par un institut possédé par une firme d’édition américaine ... Aucun organisme public et international ne discute donc de ces méthodes d’indexation ni ne garantit leur impartialité et leur pertinence scientifique.

La droite prise en flagrant délit de mensonge

Dans cette stratégie de dénigrement du service public et du pays, Pécresse n’hésite pas à asséner des contre-vérités comme : « le nombre d’étudiants étrangers en France a tendance à décroître ». Or en réalité la France dans le peloton de tête de l’OCDE pour l’accueil d’étudiants étrangers, largement au dessus des Etats-Unis, et du Japon et des pays du nord. Alors que l’accueil dans les pays anglo-saxons (USA et RU) a stagné depuis 1998 (à 10 % pour le Royaume Uni et 3,5 % pour les Etats-Unis), en France il est passé de 8,5 % en 1998 à 15 % aujourd’hui dans les universités. Au niveau du doctorat, les universités françaises comptent même 35 % d’étudiants étrangers, ce qui contredit l’absence d’attractivité pointée par les libéraux.


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