Les banquiers aux députés : "on va verser des dividendes, on reste dans les paradis fiscaux et on vous emmerde !"

mercredi 18 février 2009.
 

Les banquiers ne manquent pas d’air. Et les députés ont perdu leur combativité. C’est le sentiment qui ressort de l’audition à l’Assemblée nationale des six dirigeants de banque qui ont reçu de l’aide du gouvernement (un plan de 360 milliards d’euros, faut-il le rappeler).

Convoqués par Didier Migaud, le président socialiste de la commission, ils ont répondu présent avec une rapidité étonnante. Mais ce n’était pas l’occasion pour eux de se remettre en cause. La plupart ont affirmé avec un aplomb qui ne finit pas de m’étonner à quel point ils étaient de bons professionnels qui gagnaient plein d’argent, et qu’ils allaient donc le redistribuer à leurs actionnaires, mais qu’il était tout aussi normal que l’Etat leur en donne plein, de l’argent, sans trop chercher à contrôler leurs pratiques.

Les six banquiers sont : Frédéric Oudéa, directeur général de la Société générale, Etienne Pflimlin, Président du Crédit Mutuel, Baudoin Prot, directeur général de BNP Paribas, Philippe Dupont, PDG des Banques populaires, Bernard Comolet, PDG des Caisses d’Epargne, et Georges Pauget, directeur général du Crédit agricole.

Au départ, cela commence bien avec l’introduction de Didier Migaud. Il évoque la somme de 300 milliards d’euros, et indique que "ces sommes sont considérables", qu’il y a "l’existence d’un risque d’appel en garantie pour l’État", que "la charge des emprunts" pèse "sur la dette publique". Et il poursuit : "Au-delà de ces considérations « budgétaires » – qui sont tout à fait essentielles –, je crois nécessaire d’insister sur les interrogations, voire l’incompréhension que ce plan suscite chez beaucoup de nos concitoyens. Particuliers et entreprises n’en perçoivent toujours pas les effets sur les conditions de crédit. Chacun ici, quelle que soit sa sensibilité politique, a pu le constater dans sa circonscription.

L’impression peut dominer que l’on récompense indûment la gestion désastreuse de certains groupes bancaires, en particulier les errements des activités de financement et d’investissement adossées à vos groupes. Sans être à l’origine de la crise, les banques françaises ont participé, dans leur activité d’investissement, à la recherche d’un profit très élevé à court terme ; pour cela, elles ont cautionné un système et un volume de rémunération en faveur des traders qui laisse sans voix le commun des mortels. Elles ont investi dans des produits sans bien en comprendre le risque et qui se sont révélés toxiques. Elles ont donc bien, pour nos concitoyens, une part de responsabilité.

Enfin, ce plan interroge parce qu’il semble accorder un soutien sans condition, ou à des conditions bien légères, qu’il s’agisse de la production de crédit, de la rémunération des dirigeants, de la distribution de dividendes. Et je rappelle que, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, l’État n’entre pas au capital des banques aidées, ce qui, vous le savez, ne fait pas l’unanimité."

Et de terminer son introduction par deux questions -à mon avis- essentielles dans le débat actuel :"Allez-vous proposer une distribution de dividendes ou des rachats d’actions au titre de l’exercice 2008 ? Si oui, dans quelles proportions ?"

Le Gouvernement vous a-t-il fixé, parmi les contreparties à l’aide de l’Etat, des conditions particulières concernant vos activités dans les paradis fiscaux ?"

Un à un, les banquiers prennent la parole. Ils parlent du plan d’aide qui est parfait, de la progression de leurs encours de crédit qui est très importante (on reviendra sur les chiffres avancés), de leur solidité financière. Et la plupart évoquent la question des dividendes. Chacun le fait avec son style.

Pour Pauget, c’est le silence radio. Il n’en parle pas. Pour les patrons de banques mutualistes, on se retranche derrière le fait qu’il n’y pas d’actionnaires mais des "sociétaires". "Le Crédit Mutuel est une banque coopérative", affirme Pflimlin. "La question des dividendes ne se pose pas pour nous".

Enfin, c’est un peu plus compliqué que cela. Il y a bien de l’argent qui est redistribué aux propriétaires de ces établissements. Comolet reconnaît que deux tiers des résultats de l’ensemble du groupe seront destinés à "renforcer les fonds propres", un tiers sera redistribué. Dupont explique que les "sociétaires reçoivent 15% des résultats du groupe".

Mais la vraie interrogation concerne BNP Paribas et Société générale, qui ont réalisé, pour l’une, 3 milliards d’euros de bénéfices, pour l’autre, 2 milliards. Et là, Oudéa et Prot ne se démontent pas. "La question sera réglée par le conseil d’administration, le 17 février, avance Oudéa. Je peux seulement dire que la majorité viendra renforcer nos fonds propres." Et d’ajouter : "les actionnaires sont des fonds de pension, mais aussi des actionnaires individuels qui ont eu à souffrir de la baisse des cours. Il nous paraît raisonnable de leur offrir un dividende, même si nous donnerons la priorité au renforcement des fonds propres".

Pour Prot, les distributions de dividendes "prendront en compte les caractéristiques de ces plans de soutien pour distribuer des dividendes", mais il "faut en distribuer" car "il est essentiel que les banques continuent à bénéficier de la confiance des actionnaires privés" étant donné que le "système d’aide de l’Etat doit être transitoire". En clair, les deux banquiers annoncent qu’ils vont grosso modo continuer à distribuer, en proportion, les mêmes sommes que précédemment.

Quant à la question des paradis fiscaux (qui est considérée par Sarkozy comme importante, puisqu’il n’arrête pas de déclarer qu’il faut "oeuvrer pour éliminer les zones d’ombre qui compromettent nos efforts de coordination, en l’occurrence les centres off-shore"), ils n’en parlent même pas. Et cela pose-t-il un problème aux députés qui prennent la parole ensuite pour poser des questions ? A ceux de droite, du moins, pas du tout.

Gilles Carrez (UMP), rapporteur de la Commission, réussit à caser, dans sa question, une remarque louant le plan gouvernemental. "Le dispositif tourne. Il permet aux banques de fonctionner sur le mode de leur mécanisme habituel." Michel Bouvard (UMP), qui préside la commission de surveillance de la Caisse des dépôts (CDC), se perd dans des considérations sur Oseo, la banque publique qui finance l’activité, en coopération avec la CDC. Nicolas Perruchot (UMP) se pose des questions totalement hors sujet sur les publicités que les banques ont fait paraître dans la presse à la fin 2008. "Nous ne sommes pas des spécialistes, déclare-t-il. Il y a un sentiment partagé. Il est utile que vous puissiez vous expliquer de manière pédagogique sur le sujet".

Heureusement, il y a Jérôme Cahuzac. Enfin... Le député socialiste du Lot-et-Garonne n’est pas dans une grande forme (il y a des jours, comme face à Tapie, où il peut attaquer les auditionnés avec une grande violence), mais, sans hausser le ton, il pose quand même de bonnes questions. Sur les dividendes : "Si je suis votre propos, il faut verser un dividende car les actionnaires ont souffert. Mais cela ne concerne pas ceux qui ont vendu (ils ne sont plus actionnaires). Ni ceux qui restent. Ils ne souffrent pas encore, leur perte est encore latente." Et : "Vous dites que la majorité des résultats sera affectée aux fonds propres, mais c’est toujours le cas. D’habitude, le taux versement tourne de 40 à 50%. Il n’y aurait donc pas grand changement". Une remarque qui ne sera pas démentie par les banquiers.

Et sur les paradis fiscaux, Cahuzacl se contente de reposer la question de Migaud, et d’ajouter, ironiquement : "Est le côté paradis ou le côté fiscal qui fait que vous n’en avez pas parlé ?".

Cette fois-ci, les banquiers ne se dérobent pas. Prot indique ainsi : "Quand à la question des paradis fiscaux, elle n’a jamais été abordée par les pouvoirs publics", en échange du plan d’aide. Et de justifier la présence de BNP Paribas dans ces centres offshores : "Nous n’avons aucune activité dans des pays qui sont sur la liste noire du GAFI. Nous sommes dans des pays qui appliquent les dispositions en matière de blanchiment.

De plus, BNP Paribas applique les règles éthiques qui sont les dispositions françaises. Nous sommes conformes aux obligations. Et il n’y a aucune incompatibilité entre les activités que nous menons et la présence dans les paradis fiscaux".

Pauget ajoute même : "Nous appliquons la liste du GAFI. C’est aux pouvoirs publics de nous faire des demandes et d’étendre la liste du GAFI. Ce n’est pas de la responsabilité des banques".

Pour ceux qui connaissent la question, les banquiers se foutent de la gueule du monde. Le GAFI (pour Groupe d’Action financière), est un organisme intergouvernemental qui ne lutte pas spécifiquement contre l’évasion fiscale et la possibilité pour les entreprises de cacher leurs opérations (deux caractéristiques qui ont contribué à la crise financière actuelle). Le GAFI a deux objectifs : la lutte contre le blanchiment de capitaux et la lutte contre le financement du terrorisme.

Et, surtout, depuis 2006, la liste noire du GAFI est... vide.

Il existe d’autres organismes internationaux qui ont produit d’autres listes noires. Ainsi, l’OCDE continue à mettre à l’index trois pays "qui n’ont pas encore pris d’engagement en matière de transparence et d’échange effectif de renseignement". Il s’agît d’Andorre, de Monaco, et du Liechtenstein. Et, d’après vous, y trouve-t-on des banques françaises ?

La réponse se trouve ici, et là, ou aussi là...

Mais, bon, aucun député n’a relevé. Finalement, les banquiers ont bien fait de se déplacer. Que ce soit sur la question des dividendes ou des paradis fiscaux, ils ont constaté que la représentation nationale était aussi coulante que le gouvernement.

Alain G. LEPAGE


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