Benoît Hamon (deux interviews) : « Le PS est un parti de gauche qui retrouve sa vraie place »

lundi 26 janvier 2009.
 

1) Interview de Benoït Hamon dans L’Humanité

Benoît Hamon, porte-parole du Parti socialiste, estime que la crise financière oblige à revoir les principes économiques et sociaux mis en œuvre par son parti au cours des dix dernières années.

À gauche, plus audible dans ses propositions, plus pertinent face à la droite : les objectifs du congrès de Reims sont-ils remplis ? Comment caractérisez-vous désormais la politique du président de la République ?

Benoît Hamon. La politique de Nicolas Sarkozy consiste à rajouter de la crise à la crise puisqu’elle s’attache davantage à affaiblir tous les contre-pouvoirs démocratiques qu’à vouloir répondre aux problèmes économiques et sociaux. Alors qu’on entre dans une période de tensions sociales extrêmement fortes, le gouvernement s’échine à restreindre le champ des libertés dans tous les domaines. C’est le réflexe d’ordre d’une droite classique. Le passage en force au Parlement sur le droit d’amendement illustre sa volonté de museler l’opposition. C’est l’équivalent politique de la restriction du droit de grève par la mise en œuvre du service minimum à l’école ou dans les transports.

La nomination de Brice Hortefeux aux Affaires sociales s’inscrit-elle dans ce tableau ?

Benoît Hamon. Celui qui s’est illustré dans l’arbitraire se voit confier la solidarité ! Mais comme tout procède ou retourne à Nicolas Sarkozy, ce n’est pas un changement de trompette dans l’orchestre qui va changer la musique.

La crise joue-t-elle un rôle dans l’évolution du PS ?

Benoît Hamon. Le congrès s’est déroulé au moment de l’émergence de la crise financière. Cela a conduit à revoir une partie des principes sur lesquels le PS fondait ses orientations économiques et sociales au cours des dix dernières années. Son centre de gravité politique a, à l’évidence, bougé. La tonalité de l’opposition qu’il mène au Parlement l’exprime, tout comme les orientations du plan de relance socialiste. Ce plan a la masse critique pour les montants des investissements qu’il propose (27 milliards d’euros) et l’ampleur du soutien au pouvoir d’achat des ménages qu’il formule (24 milliards d’euros) pour avoir un effet levier sur l’économie française. Ce plan répond à l’urgence économique et sociale, propose aussi l’entrée de l’État dans le capital des banques, qu’il recapitalise, ou la mise en œuvre de pénalités financières dissuasives pour les entreprises tentées par les licenciements boursiers.

La motion de censure annoncée : communication ou bataille de fond ?

Benoît Hamon. Il s’agit à la fois de démontrer la vacuité du plan de relance de la droite et de dénoncer la politique de restrictions des libertés et des droits qui accompagne ces mauvais choix. Quelle est la théorie économique du gouvernement ? Que les riches soient plus riches et qu’ainsi ils jouent le rôle de locomotive de l’économie française. La réalité est tout autre. La locomotive roule peut-être à toute vitesse mais le train « France » est resté en gare. Or, la crise financière convoque partout des réponses en termes de régulation, de redistribution, de retour de l’État, c’est-à-dire le contraire des choix politiques et économiques de Nicolas Sarkozy : lui s’entête et maintient, par exemple, le bouclier fiscal qui profite aux Français les plus fortunés quand, pourtant, la remise en cause de la loi TEPA (paquet fiscal) permettrait de financer une relance du pouvoir d’achat à hauteur de 10 milliards d’euros en 2009. C’est une des propositions des socialistes. C’est une politique que notre motion de censure veut sanctionner. C’est aussi le sens de la mobilisation du 29 janvier.

Lorsque Jean-Christophe Cambadélis, par exemple, dit n’être pas convaincu par la majorité autour de Martine Aubry, n’est-on pas loin de l’apaisement auquel prétend le PS ? "Crise systémique"

Benoît Hamon. Nous vivons une crise systémique : tous les petits calculs seront balayés par la crise sociale et politique, en particulier les calculs de ceux qui parient sur la division de la gauche et du PS. Je vois deux types de réponse possible face à la crise. Il y a les forces de résistance au changement. Et il y a les passeurs, ceux qui entendent faciliter la transition entre un modèle de développement qui a produit plus d’inégalités que de prospérité, et le monde nouveau qui se dessine. Martine Aubry, tout en étant consciente que ce que nous faisons peut bousculer nombre de certitudes, ou de rentes de situation, y compris politiques, appartient à la famille des « passeurs ». La crédibilité politique n’est pas de raccrocher nos réponses à un monde qui n’existe plus, mais d’anticiper et de préparer les moyens d’une nouvelle redistribution des richesses, d’une nouvelle répartition capital-travail, d’un nouveau mode de développement et d’échanges moins inégalitaire et plus favorable à l’environnement. La crédibilité du PS tient à sa capacité à prendre la mesure de la radicalité de la société française et à lui offrir un débouché politique concret et crédible. Ce qui ne signifie pas, pour le PS, perdre sa culture de gouvernement. Mais la culture de gouvernement doit être d’abord une culture de la transformation sociale et pas le prétexte au conservatisme ou le paravent du renoncement. Le PS est simplement un parti de gauche qui est en train de retrouver sa vraie place dans le débat public.

Quel regard portez-vous sur les recompositions en cours à gauche ?

Benoît Hamon. On observe avec beaucoup d’attention ce qui peut se passer au PCF, ou chez les Verts ou au Parti de la gauche. Tout le monde affirme être pour l’unité de la gauche. Pourtant, certains veulent construire un pôle qui ne se définit principalement que par contradictions avec le PS. C’est l’idée qu’il y aurait deux gauches séparées par un cordon sanitaire quasi infranchissable. Je ne pense pas qu’au sein de la gauche radicale on puisse éternellement prospérer sur le dos de la crise du PS ou du PCF. Cette crise est pour l’essentiel derrière nous. Nous vivons une période de mue. Et le papillon n’est plus très loin de s’extraire de la chrysalide. Martine Aubry plaide d’ailleurs pour que les partis de la gauche, qui ont des objectifs identiques sans prendre toujours le même chemin, puissent être en dialogue plus permanent et avoir des formes d’actions communes plus régulières.

N’y a-t-il pas un lien tactique entre le PS et le Parti de la gauche ?

Benoît Hamon. Tout ce qui divise la gauche l’affaiblit à mes yeux. Le PG s’est créé à partir d’un présupposé qui s’est révélé inexact : un PS optant pour un renversement d’alliances et une orientation sociale-libérale. Quand j’écoute les électeurs de gauche, ils ne réclament pas un parti de plus, ils veulent l’unité de toute la gauche.

À quelques mois des élections européennes, la rupture entre les ouistes et les nonistes est-elle définitivement dépassée ?

Benoît Hamon. L’avenir de la construction de l’Union européenne ne se réduit pas à la question institutionnelle. La seule vertu de la crise est d’abord de montrer que l’on pouvait faire de la politique en Europe en dépit de la lettre du traité. Le pacte de stabilité, jusqu’ici jugé indépassable, a été suspendu. La toute-puissante direction générale de la concurrence s’est inclinée devant la recapitalisation ou la nationalisation des banques. Dans l’Union, il y aura un avant et un après la crise. Le but des élections de juin est de parvenir à la constitution d’une majorité de gauche au Parlement européen.

Pourtant, Martine Aubry s’accroche au Manifesto adopté par le Parti socialiste européen qui ne remet pas en cause le traité de Lisbonne. Cela n’obère-t-il pas les ambitions politiques du PS en France ?

Benoît Hamon. Le Manifesto est un socle commun de départ avec 27 partis européens. À partir de ce socle nous allons décliner des propositions propres à la situation des salariés de notre pays. Nous mènerons campagne contre le bilan de la droite européenne, qui s’est traduit par une vague sans précédent de la libéralisation et de démantèlement des services publics et des droits sociaux. En dépit de la crise, le projet de la droite reste le même. Les élections européennes se joueront sur l’utilité politique de la gauche européenne.

Entretien réalisé par Dominique Bègles

2) Interview de Benoît Hamon par Démocratie et Socialisme

Démocratie & Socialisme : “Game is over” as tu déclaré au terme du dernier CN du Parti socialiste, signifiant qu’il fallait tirer la conclusion du congrès de Reims et travailler.

Comment, toi qui y participe centralement, ça se passe dans la nouvelle direction ? Quels sont les points forts, positifs, et quelles sont les principales difficultés à surmonter ?

Benoît Hamon :Je pense que ce congrès a agi comme une catharsis. Pour la première fois depuis près de 15 ans notre parti a changé de majorité. Alors oui pendant deux mois nous avons montré aux Français une image de nous qui n’était pas belle, mais il faut maintenant tourner la page et mettre en oeuvre les orientations choisies par les militants socialistes : nous opposer résolument à la droite et retrouver un temps d’avance pour préparer notre retour au pouvoir en 2012.

Nous dirigeons le parti socialiste dans un contexte ou concrètement les choses vont de plus en plus mal en France.

Pourtant, petit à petit les socialistes redeviennent audibles et nous nous remettons collectivement au travail. Le travail de nos groupes parlementaire porte de nouveau ses fruits. Qu’il s’agisse de la bataille contre le travail le dimanche, de notre opposition à la loi sur l’audiovisuel public ou de la défense du rôle du parlement, les Français voient de nouveaux des socialistes combatifs et pugnaces.

Sur le terrain social également le parti socialiste a retrouvé de la voix. Notre présence dans les manifestations contre la privatisation de la poste, contre la casse de l’hôpital public, contre la baisse intolérable des moyens dans l’éducation nationale et aux cotés des salariés qui sont les premières victimes de la crise économique montre que les choses changent au PS.

Alors bien sur, il s’exerce des résistances aux changements. Pour certains, tourner la page du congrès ce devrait être « tout recommencer comme avant ». La crédibilité tient à l’audace et au volontarisme de nos solutions et pas à l’expression du moins disant politique.

Nous devons donc être vigilants et exigeants. C’est à cela que je m’emploie au quotidien au sein de la direction avec tous les nouveaux secrétaires nationaux issus de notre motion.

D&S : Une des premières déclarations de toi, qui a marqué, en tant que nouveau porte parole, c’est l’affirmation qu’il faut un contrôle sur les licenciements, qu’on ne peut laisser les entreprises bénéficiaires licencier de façon abusive, pour convenance boursière. Peux tu nous en dire plus ?

B H : Face aux gesticulations médiatiques du président de la république, les socialistes doivent prendre des initiatives et alimenter le débat public. Nous devons dire ce que nous ferions si nous étions, nous, en responsabilité. En disant que j’étais favorable à une forme de contrôle de la puissance publique sur les licenciements, j’ai pris une initiative politique qui a permis aux socialistes d’être au coeur débat public. C’est l’une des propositions qui a suscité la plus vive opposition du gouvernement. Pour moi c’est bon signe. Cela montre que nous pouvons bousculer la droite.

Nous nous apprêtons à présenter notre contre plan de relance. Je souhaite pour ma part que cette question du contrôle public des licenciements soit au coeur de nos propositions.

Il faut que le PS se prononce en faveur d’un mécanisme de pénalité financière qui dissuade une entreprise qui réalise des bénéfices de mettre en oeuvre un plan social.

Bien entendu, cette réflexion doit être menée en lien avec les organisations syndicales, c’est la raison pour laquelle, dès notre arrivée à la direction du parti, nous avons rencontré l’ensemble des directions syndicales pour aborder les grands sujets sociaux, dont l’emploi.

D&S : La politique de Sarkozy est oppressante par sa violence anti sociale permanente. Comment tu ressens et apprécies le climat social à la veille de ce 29 janvier ou, pour la première fois, les 8 syndicats unis appellent à la fois a la grève et a manifester, pour des revendications salariales et pour l’emploi ?

B H : La France est une poudrière. La politique de Nicolas Sarkozy depuis son arrivé à l’Elysée consiste à dresser les Français les uns contre les autres et à désigner des « nouvelles classes dangereuses ». Les uns après les autres, ce sont les salariés, les jeunes, les retraités, les malades, les artistes, les fonctionnaires, qui ont été stigmatisés par le Président de la République.

Nicolas Sarkozy s’emploie méthodiquement à remettre en cause tous les contre-pouvoirs. Aucun domaine n’est épargné : Il s’attaque aux contre-pouvoirs politique, avec la remise en cause des droits de l’opposition, aux contre pouvoirs sociaux, avec la mise en place du service minimum et la criminalisation de militants syndicaux voire de simples manifestants. Aux contre-pouvoirs médiatiques, avec la loi sur l’audiovisuel public et le rachat par des proches de grands journaux. Enfin, il affaiblit dernièrement le pouvoir Judiciaire, en supprimant le juge d’instruction.

Dans toutes les mobilisations auxquelles je participe les gens en ont ras le bol. Ils se sentent méprisés et atteints dans leurs droits les plus profonds.

Je souhaite que le 29 janvier soit un temps social fort. Le fait que les syndicats soient unis est un signe qui ne trompe pas et qui je l’espère interpellera la gauche politique.

A leur niveau, je souhaite que les socialistes se donnent les moyens de relayer dans la rue et dans l’opinion cette exaspération et de participer ainsi au succès de cette mobilisation.

Le gouvernement et le Président de la République prendraient un risque majeur à ne pas entendre ce malaise social. Jusqu’ici le gouvernement a jonglé avec des mouvements sociaux successifs. Aujourd’hui ce sont toutes les catégories qui vont mal en même temps. Il n’y a pas de réponse sérieuse à cette crise sans solution à la compression des revenus salariaux, constatée dans notre pays depuis 20 ans.

D&S : 2009 est aussi année électorale en Europe : à l’heure de la crise financière sans précédent du capitalisme, de ses ravages économiques et sociaux, quel type d’Europe faut-il que nos listes socialistes défende ?

B H : La crise que nous vivons, qui s’est étendue de la sphère financière vers l’économie réelle, montre assez les limites du capitalisme et du néo-libéralisme tant au niveau national, qu’au niveau européen. De ce point de vue, la présidence française de l’Union se termine sur un constat d’échec. Aucune politique concertée au niveau européen n’a permis de limiter les effets sociaux de la crise. Les citoyens de l’Union voient leur pouvoir d’achat dramatiquement réduit. Alors qu’une réponse forte et coordonnée au niveau européen, notamment la baisse de la TVA, aurait permis de réduire les effets immédiats et dans la durée de la crise financière, les gouvernements de droite de la majorité des états membres ont fait une nouvelle fois la preuve de dogmatisme.

Là ou Barack Obama annonce un plan de relance de prêt de 1000 milliards de dollars avec des mesures ciblés pour les salariés, là où la Chine va injecter 560 milliards de dollars, la Russie 120 milliards de dollars, les réponses apportées en ordre dispersé, sont très en deça de la masse critique nécessaire pour relancer l’économie européenne.

Pour les socialistes, il est clair que Union Européenne conçue exclusivement comme l’instrument d’une libéralisation du marché intérieur, a vécu.

Nos listes devront défendre une nouvelle fois l’émergence d’une Europe sociale Cela passera par un important effort d’encadrement et de régulation du marché et des échanges commerciaux et un véritable contrôle politique sur les grandes institutions économiques (Banque Centrale Européenne, ...). Et au-delà, par la poursuite ou la mise en œuvre de chantiers essentiels, tels que la promotion du service public par le biais d’une directive-cadre, la mise en place d’un salaire minimum européen, l’harmonisation fiscale ou encore la réduction du temps de travail pour ne citer que quelques exemples importants.


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