Paysans, paysannes, reprenons notre avenir en main ! (texte Confédération paysanne pour les élections aux chambres d’agriculture fin janvier 2007)

lundi 20 novembre 2006.
 

A la fin du mois de janvier 2007, tous les paysans et paysannes sont appelés à élire pour 6 ans leurs représentants aux Chambres d’agriculture. Cet acte important engage notre avenir pour deux raisons :

- ces élections servent du département jusqu’au national, à exprimer à quel syndicat vous accordez votre confiance pour peser sur les orientations agricoles à venir. Un changement de cap est absolument nécessaire !

- la Chambre d’agriculture assure un rôle important pour orienter et mettre en oeuvre la politique agricole et rurale dans chaque département.

Depuis quelques années, nous vivons une réalité difficile : baisse de notre revenu, difficultés financières, accumulation de contraintes de normalisation et de procédures administratives, aggravation des disparités entre paysans générant pour beaucoup d’entre nous l’incertitude, l’inquiétude, voire le découragement. Serai-je encore paysan demain ?

Tout ceci résulte du démantèlement de la politique agricole européenne et du désengagement de l’Etat appliqué par le gouvernement français, dont le ministre de l’agriculture a déclaré prendre sa feuille de route auprès du syndicat majoritaire lors de sa prise de fonctions en 2004. La loi d’orientation agricole, votée en janvier 2006, dont l’objectif principal est de favoriser une agriculture d’entreprise et la mise en oeuvre de la réforme de la PAC, illustre de manière importante et significative ces orientations

La Confédération paysanne refuse ces choix. Elle appelle les paysannes et les paysans à reprendre collectivement leur avenir en main. Nous devons retrouver la passion de notre métier et faire face aux enjeux de ce début du XXIème siècle.

Plutôt 800 000 paysans que 150 000 agrimanagers

Deux projets radicalement opposés s’expriment à l’occasion des élections de janvier prochain.

D’un côté, il y a ceux qui veulent une agriculture entrepreneuriale qui ne laissera place au mieux qu’à 150 000 agrimanagers. Ceux dont la stratégie est de s’agrandir contre leurs voisins ; ceux qui veulent persister dans des pratiques productivistes sans se soucier de la biodiversité, de la ressource en eau, de la santé, voire de la qualité des produits ; ceux qui veulent reformater le paysage à la dimension de leurs entreprises et en exclure l’accès aux autres ; ceux qui veulent toujours moins d’Etat, parce que c’est de la tracasserie administrative et qu’il faudrait laisser faire les plus forts et les plus entreprenants ..., mais qui demandent le soutien public dès que ça va mal !

De l’autre, notre projet.

Notre projet est totalement opposé à ces pratiques et à cette vision du monde.

Nous défendons des valeurs de solidarité, de lien social et de répartition.

Nous voulons une agriculture pour plus de 800 000 paysans.

Nous revendiquons une politique agricole qui régule les marchés, qui répartisse les moyens de production et qui protège les plus faibles au nom de la solidarité nationale.

Nous voulons, et nous y contribuons concrètement, mettre en place une agriculture durable, solidaire, qui favorise l’installation et la transmission, qui assure une production de qualité et qui préserve les ressources naturelles : une agriculture paysanne !

I - Droit au revenu et à des conditions de vie décentes

Notre métier est d’utilité publique : de toutes les missions dévolues à l’agriculture, alimentation, énergie, textile, matériaux, il en est une que les paysans sont seuls à pouvoir remplir : nourrir les hommes. C’est la richesse de notre métier.

Et pour cela, nous avons droit à un revenu décent. Une autre politique agricole L’agriculture n’est pas une activité comme les autres. Une politique agricole forte et volontariste doit garantir l’autonomie et la sécurité alimentaire de l’Europe, préserver les ressources naturelles et maintenir des territoires vivants, pour des échanges internationaux équitables où toutes les paysanneries doivent être respectées.

Une telle politique agricole doit organiser :

- des prix rémunérateurs. Le projet de la Confédération paysanne est de permettre à tous les paysans de s’affranchir le plus possible des aides ;

- la maîtrise des productions (comme c’est encore le cas en production laitière), pour éviter les excédents qui n’auraient pas de débouchés à l’exportation, aux conditions de prix de notre marché intérieur ;

- la répartition des productions entre les paysans. L’affirmation du droit à la souveraineté alimentaire : c’est -à-dire pour des Etats ou des régions ayant des conditions de production agricole relativement homogènes, le droit de définir leurs politiques agricoles et alimentaires et de protéger leurs agricultures vis-à-vis des importations à bas prix d’autres pays. En contrepartie, c’est l’interdiction d’écouler des excédents à des prix de dumping dus à des subventions directes ou indirectes. Ce droit, que nous revendiquons depuis 10 ans avec la Via campesina, organisation paysanne mondiale, aux côtés de nombreuses ONG de développement, s’oppose à la libéralisation du commerce des produits agricoles inscrite dans les accords de l’OMC.

- le soutien à une agriculture durable et paysanne, c’est -à-dire réellement multifonctionnelle (produire, rémunérer, répartir, préserver, transmettre). Une telle politique agricole rend inutiles les systèmes privés d’assurance-revenu qu’on nous prépare pour amortir les baisses de prix et qui ne pourraient être souscrits que par ceux qui en ont les moyens.

Dès 2008, une autre répartition des aides PAC

La PAC actuelle et la pression des firmes agroalimentaires et de la grande distribution nous imposent des conditions indignes. La plupart d’entre nous sommes contraints de vendre nos produits largement au-dessous des coûts de production. Notre revenu dépend de plus en plus des aides publiques qui sont devenues, avec les DPU, des aides au revenu.

Tant que la rémunération par nos produits est insuffisante, ces aides doivent être réparties selon des principes de justice et d’équité. Or, la France, sous la pression du syndicat majoritaire, a fait le choix inverse avec le maintien de la référence historique sur toute la durée de la réforme, c’est -à-dire jusqu’en 2013. L’Union européenne doit imposer, dès à présent, une autre répartition des aides en faveur des paysans qui en ont le plus besoin et sans engendrer de distorsions de concurrence entre eux. Pour ce faire, trois axes principaux :

1) instaurer un plafonnement par actif et par exploitation,

2) tendre vers un montant uniforme des DPU/ha et surtout,

3) transférer au moins 20 % du budget des aides directes (1er pilier) vers le second pilier.

Les moyens de ce dernier en seraient plus que doublés et permettraient de renforcer les mesures en faveur de l’emploi paysan, en faveur des régions défavorisées ou à handicap naturel important, des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, ainsi que de la relocalisation des productions et de la commercialisation.

Couvrir les risques grâce à la solidarité de tous

Les impacts économiques des crises sanitaires et des accidents climatiques majeurs (non assurables) doivent être couverts par les solidarités nationale et professionnelle. Il faut créer un fonds public d’indemnisation pour les paysans touchés par les mesures de police sanitaire prises envers des maladies dangereuses pour la santé humaine ou préjudiciables aux échanges avec les pays tiers.

Il faut aussi rétablir et moderniser le Fonds National de Garanties de Calamités Agricoles, avec des missions élargies pour un accès à tous les paysans. Ce fonds vient d’être démantelé par la loi d’orientation agricole, avec l’approbation du syndicat majoritaire, pour être remplacé par des assurancesrécolte facultatives. Dans les conditions actuelles et prévisibles du risque « sécheresse », c’est le grand sud de la France et les régions d’élevage qui, se sachant les plus menacés, supporteront le plus le coût de ces assurances.

II - Des paysans nombreux dans des territoires vivants

La Confédération paysanne se bat pour maintenir et même augmenter le nombre de paysans en France. Cet enjeu est immédiat. Il exige des politiques de développement local dynamiques et volontaristes, pour lesquelles les Chambres d’agriculture ont un rôle essentiel à jouer, en partenariat avec les collectivités territoriales, les autres Chambres consulaires et l’ensemble des partenaires économiques et sociaux. Pas un départ sans installation

D’un côté, les établissements d’enseignement agricole forment un grand nombre de jeunes, d’origines sociales très diverses, qui veulent devenir paysan. Tous savent que s’installer est autant un choix de vie qu’un projet professionnel. La plupart souhaitent maîtriser leur projet, plutôt qu’entrer dans des entreprises déjà importantes qui, trop souvent, ne recherchent un associé que pour justifier un agrandissement.

D’un autre côté, la génération de l’après guerre arrive à la retraite. La transmission de ces nombreuses exploitations est un enjeu majeur, d’autant que leurs cédants ont, dans leur grande majorité, modernisé leur ferme au fil de leur carrière.

Toute politique d’installation doit permettre la rencontre effective de ces deux générations. Il faut résister aux logiques d’agrandissement pour accueillir efficacement ces candidats pour une transmission qui le plus souvent n’est plus familiale. Ils sont l’avenir de notre métier et de nos territoires. Mais il faut aussi que les aides à l’installation soient réorientées : en faveur de projets qui peuvent démarrer plus modestement ou portés par des pluriactifs (à cet égard il faut abaisser les seuils d’accès aux aides à l’installation) et en faveur de l’ensemble des formes de diversification, moins exigeantes en capitaux et plus riches en valeur ajoutée, ainsi qu’en emplois. La politique d’installation doit sortir du moule corporatiste national pour être adaptée aux réalités régionales.

Répartir et maîtriser le foncier agricole

La très forte inflation du prix des terres est un obstacle à l’installation et au maintien de paysans nombreux ; agrandissements, urbanisation, disparition ou mutation de sièges d’exploitation en résidence secondaire s’y ajoutent. L’adoption des PLU par nos communes ne permet au mieux qu’une protection temporaire des terres agricoles. Il est urgent de freiner la spéculation foncière qui augmente artificiellement nos coûts de production et empêche les familles au revenu modeste, en particulier les jeunes ménages, de se loger décemment.

Protéger le foncier agricole et mieux le répartir entre les paysans exige :

- de renforcer le contrôle des structures pour orienter les terres qui se libèrent vers ceux qui en ont le plus besoin,

- de consolider le statut du fermage et de supprimer le bail cessible, prévu par la loi d’orientation agricole : un bail qu’il faudrait acheter, au loyer plus élevé et plus précaire pour le fermier que le bail-type,

- des moyens d’intervention publique plus efficaces (préemption avec révision de prix) et des mesures de taxation à l’occasion du changement de destination.

Pour un statut égalitaire et une protection sociale complète et solidaire

Il faut étendre l’égal accès aux droits économiques et sociaux à tous les travailleurs de l’agriculture et renforcer notre protection sociale fondée sur la solidarité, plutôt que recourir aux assurances privées qui ne sont souscrites que par ceux qui en ont les moyens.

Les paysans « cotisants solidaires », qui sont près de 100 000, doivent être reconnus et accéder aux droits économiques, sociaux et professionnels aux mêmes conditions que les autres paysans. L’égalité complète doit être acquise pour les conjoints d’exploitants. Un couple seul doit pouvoir se mettre en GAEC. Ces dernières années grâce aux mobilisations de la Confédération paysanne, les retraites ont été revalorisées. Mais le seuil minimum de 75 % du SMIC promis par l’Etat n’est pas encore atteint, alors que les salariés bénéficient d’un minimum de 85 % du SMIC.

Des maladies dues à nos conditions de travail et à l’utilisation de produits dangereux (phytosanitaires, ...) ne sont pas reconnues comme maladies professionnelles par l’Etat et la MSA. Ceci concerne autant les salariés agricoles, qui sont souvent les plus exposés et qui subissent la précarisation de l’emploi, en particulier les travailleurs saisonniers, migrants ou non.

Relocaliser la production, la transformation et la commercialisation

L’espace rural redevient, certes de manière inégale, attractif aux urbains pour y habiter, pour s’y détendre et même pour y travailler. Ces aspirations sont un atout pour les territoires ruraux, qui doivent s’organiser pour les accueillir dans les meilleures conditions pour tous. Mais la spécialisation des territoires agricoles, avec déprises ici et concentrations là, n’est plus adaptée à ces nouvelles demandes qui vont se renforcer avec l’augmentation prévisible du coût des transports.

Il est indispensable d’encourager dans toutes nos régions la relocalisation et la diversification des productions agricoles pour répondre aux besoins des marchés locaux et régionaux.

Il faut également relocaliser la transformation de nos produits : ateliers à la ferme, ateliers collectifs, mais aussi entreprises artisanales privées ou coopératives, aux dimensions adaptées aux besoins et capacités de

production. Enfin, les consommateurs doivent être incités à choisir les produits locaux.

Ces relocalisations permettront de fixer la valeur ajoutée sur nos territoires et, sur la base d’échanges équitables, de la partager en emplois paysans, artisanaux et salariés.

Nous demandons, entre autres, que les crédits dévolus aux entreprises dans le PDRH soient utilisés dans ce sens et non pas pour abonder des industries agroalimentaires promptes à délocaliser ou à « restructurer ».

Par ailleurs, les crises sanitaires récentes montrent que les normes d’hygiène et leur gestion par l’Etat sont un enjeu essentiel pour sécuriser les consommateurs et pour protéger l’agriculture française vis-à-vis des pays qui n’ont pas la même exigence que nous. Il faut que ces normes et règles sanitaires soient adaptées à la diversité des pratiques agricoles et non pas motivées par des conceptions hygiénistes. La mise aux normes, et les répartitions des soutiens qui l’accompagne, ne doit pas être source d’exclusion.

Ces dynamiques renforcent la nécessité d’une puissance publique qui assure le maintien et la qualité de tous les services publics et leur égal accès sur l’ensemble du territoire, qu’il s’agisse des services collectifs (éducation, santé, culture, transports collectifs, poste, etc.) ou qu’il s’agisse des équipements indispensables (électricité, adduction d’eau, téléphone, nouvelles technologies de communication, ...). C’est pourquoi la Confédération paysanne est plus que jamais hostile à leur privatisation.

III - Répondre aux enjeux du XXIème siècle

A - L’agriculture face au changement climatique et au déclin des énergies fossiles

Le réchauffement climatique et le déclin des ressources fossiles vont avoir des conséquences importantes sur l’agriculture, alors qu’il faudra nourrir avant 2050 près de 50 % de population en plus, avec une surface agricole non extensible.

Concurrence dans l’usage des sols

La demande énergétique est insatiable avec la mondialisation des échanges. En tout état de cause, la planète agricole et forestière ne pourra jamais pallier l’épuisement des ressources fossiles. Dans cette concurrence qui s’amorce entre alimentation et énergie, la Confédération paysanne affirme que nourrir les populations est une priorité vitale et absolue. Il faut faire des choix politiques que le Marché est totalement incapable de faire.

Économiser et privilégier les filières courtes

Une fois les besoins alimentaires satisfaits, les surfaces agricoles peuvent être consacrées à d’autres demandes, dont la demande énergétique. Pour certains, la crise du pétrole est à la fois une augmentation des charges que l’Etat doit compenser et l’opportunité du nouveau marché des agrocarburants, qu’il faut également subventionner. Ces filières industrielles, même contrôlées par des « capitaux agricoles », subiront la domination des grands groupes pétroliers, ainsi que la concurrence des pays sud-américains ou asiatiques qui produiront toujours moins chers. C’est une vision de court terme, dangereuse pour les paysans et pour l’ensemble de la société.

Il est avant tout primordial de réduire nos consommations d’énergie et plus sage d’encourager des filières courtes, dans lesquelles les paysans peuvent réellement maîtriser la valeur ajoutée.

Concurrence dans l’usage de l’eau

Le réchauffement climatique aggrave l’incertitude sur l’importance et la répartition de la pluviométrie. Des principes clairs pour sa gestion doivent être rapidement énoncés pour répondre aux priorités de son usage : d’abord la sauvegarde de la ressource et des milieux naturels, puis les usages domestiques en eau potable, ensuite les usages agricoles et industriels. Pour l’ensemble de ces usages, t ous les gaspillages doivent être évités. En agriculture, selon les territoires et les besoins, l’irrigation est utile pour des plantes adaptées au sol et au climat, notamment pour des manques d’eau conjoncturels.

Il est de plus en plus évident que notre société doit réduire ses consommations, économiser, désintensifier. Le modèle productiviste est une impasse majeure et un véritable danger pour l’avenir. Ceux qui en font la promotion sont dans la dénégation de l’intérêt collectif.

B - L’agriculture paysanne pour davantage d’autonomie

Ces enjeux considérables confortent la Confédération paysanne dans sa volonté de promouvoir une agriculture paysanne, durable et solidaire qui réponde aux enjeux sociétaux.

Nous devons impérativement renforcer notre autonomie.

C’est aussi le meilleur moyen de réduire nos charges ! Réduire l’extrême dépendance protéinique de l’Europe (plus de 75 %) doit être une priorité collective !

Le souci d’autonomie est emblématique sur la question des semences hybrides et OGM, où l’action de la Confédération paysanne contrarie efficacement les firmes semencières et phytosanitaires. Il faut protéger de toute contamination les productions traditionnelles, notamment celles sous signes de qualité (AOC, labels, bio, ...) et l’ensemble des savoir-faire paysans, gages d’une production de qualité pour les consommateurs et de respect de la biodiversité. Nous refusons tout brevet sur le vivant et défendons le droit ancestral des paysans à utiliser et échanger librement leurs semences.

De même devons-nous limiter l’usage des phytosanitaires dont l’impact sur la santé, en premier lieu pour ceux qui les utilisent, est largement sous estimé. C’est également conquérir des droits individuels et collectifs pour obtenir un partage équitable de la valeur ajoutée, dans le cadre des contrats de production ou d’intégration.

IV - Des Chambres d’agriculture au service de tous

Organismes semi-publics gérés par l’ensemble des professions agricoles, leurs domaines d’intervention sont très vastes : conseils aux paysans sur leurs pratiques agricoles, politique foncière, protection de l’environnement, urbanisation et infrastructures, développement économique... Elles représentent les intérêts agricoles dans la gestion de l’espace rural.

Mais la confusion des rôles avec le syndicalisme majoritaire et l’utilisation partisane des moyens humains, voire financiers, des outils de communication, enlève aujourd’hui toute crédibilité à de nombreuses Chambres d’agriculture.

La Confédération paysanne saura mobiliser les ressources humaines et financières pour que cet outil offre ses services et conseils de manière égalitaire à tous les paysans, pour prendre en compte la diversité des pratiques et des projets pour l’agriculture (comme la mise en oeuvre des projets agricoles départementaux), pour travailler en étroite concertation avec l’ensemble des organismes et associations qui agissent dans le milieu rural et pour contribuer à mettre en oeuvre notre projet syndical.


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