Etats-Unis. L’esclavage réinventé ?

lundi 19 janvier 2009.
 

Un court documentaire du magazine The Atlantic offre une plongée dans la prison d’Etat d’Angola, en Louisiane, mettant en lumière les méthodes peu orthodoxes de son directeur. Mais la vidéo soulève aussi une question : les prisons américaines abritent-elles une nouvelle forme d’esclavage ?

“L’esclavage américain réinventé” : c’est sous ce titre explicite que le magazine The Atlantic a publié le 21 septembre un court essai basé sur un documentaire sur la prison d’Angola, en Louisiane, parfois surnommée “l’Alcatraz du Sud”.

Mis en ligne il y a une dizaine de jours par The Atlantic, le documentaire de treize minutes offre une plongée saisissante dans la plus grande prison de haute sécurité des Etats-Unis. Il est centré sur l’actuel directeur de la prison, Burl Cain, qui a mis en place un modèle controversé de réhabilitation pour les détenus, fondé sur le travail et la religion.

Mais, comme le souligne Whitney Benns, diplômée de la faculté de droit de Harvard et auteur de l’essai, le documentaire soulève aussi des questions dérangeantes sur le traitement des prisonniers. Dès les premières scènes, “des relents d’esclavage et d’oppression raciale” se dégagent des images. “Des champs à perte de vue. Des corps noirs çà et là, le dos courbé, travaillant dans les champs. Des gardiens à cheval, armés, qui les surveillent” : il semble que ces images filmées sur une ancienne plantation convertie en prison “pourraient avoir été tournées il y a cent cinquante ans”.

“Le Christ pour pacifier Angola”

La prison d’Etat compte 6 300 détenus, noirs à 80 %. Trois sur quatre sont condamnés à la perpétuité sans possibilité d’obtenir une libération conditionnelle. C’est un des établissements les plus violents du pays. En 1992, peu avant l’arrivée du directeur Burl Cain, 1 346 agressions y ont été dénombrées. En 2014, le chiffre avait chuté à 343.

Comme l’écrit Jeffrey Goldberg, le journaliste de The Atlantic qui a visité la prison, “en gros, Burl Cain a utilisé le Christ pour pacifier Angola”. Il a invité le Séminaire théologique baptiste de La Nouvelle-Orléans à ouvrir sur place un programme d’ordination. Aujourd’hui, la prison compte “des centaines de détenus pasteurs”. Pour Burl Cain, la religion est “le chemin le plus efficace vers une vie morale”.

Burl Cain attache aussi une grande importance aux programmes de formation professionnelle, qu’il a cherché à maintenir alors que, dans les années 1990, les financements fédéraux pour l’éducation des prisonniers ont été réduits. Comme le montre la vidéo, les formateurs sont parfois des prisonniers à perpétuité.

Exploitation

La prison d’Angola est moins originale en ce qui concerne le travail des prisonniers. “A de rares exceptions près, les détenus [américains] sont obligés de travailler si le personnel médical les y autorise. S’ils refusent, ils peuvent être punis”, notamment en étant mis à l’isolement, explique Whitney Benns dans son essai. De ce point de vue, “Angola n’est pas l’exception. C’est la règle.”

En général, “les prisonniers sont très peu payés – cela peut se monter à 2 cents de l’heure – pour un travail à temps plein”.

Pour le directeur Burl Cain, le travail est un aspect essentiel de la réhabilitation des prisonniers. Un point que discute Whitney Benns dans son essai. “Certaines formes de travail pour les prisonniers peuvent jouer un rôle important, mais la forme actuelle est troublante, affirme-t-elle. Ces travailleurs sont livrés à un genre d’exploitation que les Etats-Unis ont par ailleurs jugé inhumain.”

L’article rappelle que, d’après le 13e amendement de la Constitution américaine, “ni esclavage ni servitude volontaire, si ce n’est en punition d’un crime dont le coupable aura été dûment convaincu, n’existeront aux Etats-Unis”. En d’autres termes, “les personnes incarcérées ne jouissent pas de droits constitutionnels dans notre pays : elles peuvent être forcées de travailler en punition de leurs crimes”.

Ce documentaire et les réflexions qui l’accompagnent sont une nouvelle contribution au débat très vif sur les prisons américaines. Pour son numéro d’octobre, The Atlantic a aussi publié en une un article-fleuve du journaliste Ta-Nehisi Coates sur les origines de “l’incarcération de masse” aux Etats-Unis. Avec 700 prisonniers pour 100 000 habitants, ceux-ci ont le taux d’incarcération le plus élevé des grands pays du monde.


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