Les riches ne sont pas seuls dignes du nom de citoyen (Robespierre le 25 janvier 1790)

samedi 27 janvier 2024.
 

Durant la période de rédaction de la première constitution française, Maximilien Robespierre n’a de cesse de protester contre le décret dit du «  marc d’argent  », qui établit un suffrage censitaire. Pour pouvoir exercer les droits de citoyens, il fallait payer en impôt une somme égale à un nombre déterminé de journées d’ouvrier, et un marc d’argent pour être éligible.

Daté du 25 janvier 1790, ce discours refuse que l’exercice des droits de citoyen soit soumis à une contribution, que ce soit pour être électeur ou pour être éligible. Il dénonce un projet de Constitution qui substitue une aristocratie à une autre, «  celle des riches  ».

Très structuré comme tous les discours de Robespierre, élève primé en rhétorique au collège Louis-le-Grand, le texte s’organise autour de trois parties  : «  Qu’est-ce que déclarer les droits  ?  » «  Qu’est-ce qu’être citoyen  ?  » «  Qu’est-ce que la propriété  ?  » Toutes posent les enjeux d’une révolution qui se fonde sur les droits de l’homme.

Robespierre, partisan du suffrage universel, suggère alors une autre rédaction, où l’Assemblée nationale «  déclare que tous les Français, c’est-à-dire tous les hommes nés et domiciliés en France, ou naturalisés, doivent jouir de la plénitude et de l’égalité des droits du citoyen et sont admissibles à tous les emplois publics, sans autre distinction que celle des vertus et des talents  ».

Ses idées sur ce sujet sont résumées dans ce discours prononcé au club des Jacobins ; puis, difficilement en raison de l’obstruction du côté droit, devant l’Assemblée constituante. Il le fit imprimer à part pour le diffuser.

Lionel Venturini, rubrique politique

Messieurs,

Pourquoi sommes-nous rassemblés dans ce temple des lois  ? Sans doute pour rendre à la nation française l’exercice des droits imprescriptibles qui appartiennent à tous les hommes. Tel est l’objet de toute constitution politique. Elle est juste, elle est libre si elle le remplit  ; elle n’est qu’un attentat contre l’humanité si elle le contrarie (…).

Or, première la loi est-elle l’expression de la volonté générale, lorsque le plus grand nombre de ceux pour qui elle est faite ne peut concourir, en aucune manière, à sa formation  ? Non. Cependant, interdire à tous ceux qui ne paient pas une contribution égale à trois journées d’ouvrier le droit même de choisir les électeurs destinés à nommer les membres de l’Assemblée ­législative, qu’est-ce autre chose que rendre la majeure partie des Français absolument étrangère à la formation de la loi  ? Cette disposition est donc essentiellement anticonsti­tutionnelle et antisociale.

Deuxièmement, les hommes sont-ils égaux en droits lorsque, les uns jouissant exclusivement de la faculté de pouvoir être élus membres du corps législatif, ou des autres établissements publics, les autres de celle de les nommer seulement, les autres restent privés en même temps de tous ces droits  ? Non, telles sont cependant les monstrueuses différences qu’établissent entre eux les décrets qui rendent un citoyen actif ou passif, moitié actif, ou moitié passif, suivant les divers degrés de fortune qui lui permettent de payer trois journées, dix journées ­d’imposition directe ou un marc d’argent  ? Toutes ces dispositions sont donc ­essentiellement anticonstitutionnelles, antisociales (…).

Que serait donc votre Déclaration des droits si ces décrets pouvaient subsister  ? Une vaine formule. Que serait la nation  ? Esclave, car la liberté consiste à obéir aux lois qu’on s’est données, et la servitude à être contraint de se soumettre à une volonté étrangère. Que serait votre Constitution  ? Une véritable aristocratie. Car l’aristocratie est l’état où une partie des citoyens est souveraine et le reste est sujets, et quelle aristocratie  ! La plus insupportable de toutes, celle des riches. (…)

Ce n’est point l’impôt qui nous fait citoyens  ; la qualité de citoyen oblige seulement à contribuer à la dépense commune de l’État, suivant ses facultés. Or vous pouvez donner des lois aux citoyens, mais vous ne pouvez pas les anéantir. Les partisans du système que j’attaque ont eux-mêmes senti cette vérité, puisque, n’osant contester la qualité de citoyens à ceux qu’ils condamnaient à l’exhérédation ­politique, ils se sont bornés à éluder le principe de l’égalité qu’elle suppose nécessairement, par la distinction de citoyens actifs et de citoyens passifs. (…).

Il ne me reste qu’à répondre aux déplorables sophismes sur lesquels les ambitions et les préjugés d’une certaine classe d’hommes s’efforcent d’étayer la doctrine désastreuse que je combats  ; c’est à ceux-là seulement que je vais parler. Le peuple  ! des gens qui n’ont rien  ! les dangers de la corruption  ! L’exemple de l’Angleterre, celui des peuples que l’on suppose libres, voilà les arguments que l’on oppose à la justice et à la raison. Je ne devrais répondre que ce seul mot  : le peuple, cette multitude d’hommes dont je défends la cause, a des droits qui ont la même origine que les vôtres. Qui vous a donné le pouvoir de le leur ôter  ? (…).

Par un étrange abus des mots, ils ont restreint à certains objets l’idée générale de propriété  ; ils se sont appelés seuls propriétaires, ils ont prétendu que les propriétaires seuls étaient dignes du nom de citoyens, ils ont nommé leur intérêt particulier l’intérêt général et, pour assurer le succès de cette prétention, ils se sont emparés de toute la puissance sociale. Et nous  ! ô faiblesse des hommes  ! Nous qui prétendons les ramener aux principes de l’égalité et de la justice, c’est encore sur ces absurdes et cruels ­préjugés que nous cherchons, sans nous en apercevoir, à élever notre Constitution  ?… 


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