Gilbert Marquis, du pablisme au PG... révélateur d’un siècle tourmenté

mercredi 6 janvier 2016.
 

B) Gilbert Marquis, mon père… (par Serge Marquis)

Mon père vient de s’éteindre à l’âge de quatre-ving-quatre ans à Paris. Il était l’un des derniers survivants d’une histoire qui se confond avec les soixante dernières années du trotskysme français. Et plus particulièrement avec celle d’un courant politique : le « pablisme ».

Je peux difficilement évoquer mon père sans parler de ma mère, avec laquelle il avait trouvé un équilibre. J’entends encore le cliquetis des machines à écrire dans la grande salle des sténos-dactylos où elle travaillait, en rangs serrés, boulevard Barbès (18e) au siège de la BNP – ce bruit permanent matin, midi et soir, les touches qui frappent, le retour chariot, la pointeuse, la cantine, les milliers d’employés s’agitant à cette occasion. Jusqu’à vingt-et-un an, la mère de ma mère a vécu au presbytère dans le pays saintongeais (Charente-Maritimes), avec sa mère (mon arrière-grand-mère), la bonne du curé, habillée de noir depuis que son mari était mort à la guerre 14-18… Arrivée à sa majorité, la première chose qu’elle a faite a été de se marier avec un communiste ! Il était résistant à la SNCF, il fut arrêté et déporté. Et puis, il a été relâché, sous la pression du Parti dans le camp, pour rejoindre sa famille pour quelques semaines seulement, puisqu’il était donné pour mort… Il faisait 37 kilos pour à peu près 1,80 m. Mais il a finalement survécu.

La première chose qu’a fait ensuite ma propre mère, Nicole, a été de se marier avec… un trotskyste !

Je suis pour ma part un autogestionnaire.

Et nous avons là le cheminement politique de ma famille sur un siècle.

Encore un mot concernant ma mère chérie, Nicole, qui a toujours su s’occuper de mon frère et moi : elle est décédée à l’âge de soixante-quatre ans. Médaille du travail, début du boulot à moins de seize ans après le certificat d’étude, une riche activité syndicale, pas d’évolution de carrière bien sûr. Les syndicalistes le savent, le bas salaire, c’est pour eux tout du long de la vie. Après mai-68, elle est élue au Comité exécutif de la CFDT BNP-Paris. Mais Edmond Maire veillait : leur section syndicale a été dissoute, premier exemple de ce que l’on a appelé le « recentrage » (1977), et qui conduira à la dissidence et, bien des années plus tard, à la création de SUD. Perdant tous ses mandats, ma mère s’est retrouvée de nouveau en proie aux tracasseries patronales, baladée d’une agence à l’autre, d’un bureau sans fenêtre à l’autre. Elle redevint déléguée du personnel, ré-adhéra à la CGT, puis déléguée syndicale à nouveau. Une vie de bagarres permanentes pour une femme courageuse qui prenait tout à cœur. A son décès, nous avons écrit un épitaphe sur le faire-part : « Nicole, toujours droite ! » Mon père à droite, et ma mère à gauche, à la Sorbonne.Mon père à droite, et ma mère à gauche, à la Sorbonne.

Vous pouvez imaginer les conversations à table.

Le vécu de mon père n’était pas en reste : vendeur de journaux à onze ans ! Son frère aîné, Bernard, travaillait sur les chantiers de travaux publics à quatorze ans. L’argent était pour la famille. Bientôt, tout le monde s’y mettrait : les gros engins, la pelleteuse. D’extraction paysanne modeste – son père avait dû abandonner la forge familiale du village (Dangers) en Beauce pour se faire embaucher chez l’entreprise de travaux publics Razel en Ile-de-France –, mon père, qui n’a donc pas fait d’études et a commencé jeune sa vie active, comme ses trois frères et sœurs, a adhéré à l’âge de dix-neuf ans, en 1950, au Parti communiste internationaliste (P.C.I.), la section française de la IVe, à la suite d’un séjour en Yougoslavie. Organisés par la IVe Internationale sur le mode des Brigades internationales en Espagne, ces camps de travail visaient à rompre l’isolement que le Komintern voulait imposer à la Yougoslavie de Tito et son expérience d’autogestion. Mon père travaille comme ouvrier à l’usine Chausson de Gennevilliers, puis il est devenu permanent syndical CGT à la Fédération des métaux de Seine-et-Oise. Il se retrouve par la suite à Nord-Aviation où, à la tête de la section PCF, se trouve un certain Georges Marchais.

A cette époque de l’après-guerre, les débats dans la IVe Internationale font rage.

La IVe internationale sort de la guerre plus minoritaire que jamais. Les staliniens sont auréolés de leur combat contre le nazisme. Une nouvelle guerre induite par la guerre froide n’est pas à exclure. La IVe n’a pas pris la place de la IIIe Internationale, comme celle-ci l’avait fait avec la IIe (l’Internationale socialiste) au sortir de la Première Guerre mondiale… Le pronostic est donc démenti. Secrétaire à l’organisation de la IVe Internationale, Michel Raptis, dit Pablo, propose une réorientation stratégique : « l’entrisme sui generis ». Loin d’une manœuvre tactique, il s’agit de rejoindre sur le long terme les structures majoritaires de la classe ouvrière, en France le PCF et la CGT, afin de détacher des pans du giron stalinien et réformiste. Pierre Lambert n’y voit rien d’autre que la fin programmée du trotskysme.

Mon père suit « Pablo ».

Il fait de l’entrisme, mais il est exclu du PCF en 1958 à la suite de la purge contre le bulletin d’opposition interne « Tribune de discussion ».

La IVe internationale se divisera une nouvelle fois de manière durable en 1962.

Dans le contexte des révolutions coloniales, la tension se porte sur la question suivante : vu le petit nombre de militants, faut-il participer aux mouvements de libération nationale de l’intérieur, en pariant sur la dynamique sociale induite, ou maintenir l’activité d’une organisation trotskyste indépendante ? Alors qu’il est en prison en Belgique pour fausse monnaie en faveur du FLN, « Pablo » est de fait exclu de l’organisation qu’il dirigeait depuis 1944.

C’est la scission de l’Internationale « pabliste » : d’un côté, les « frankistes » (Pierre Frank, Ernest Mandel, Livio Maïtan…) ; de l’autre, « Pablo » (Gilbert Marquis, Michel Fiant, Henri Benoits…). La Tendance marxiste-révolutionnaire internationale (TMRI) est créée, l’Alliance marxiste-révolutionnaire (AMR) sera sa section française. De leur côté, les « Frankistes » feront vivre la Ligue communiste, puis L.C.R., ancêtre pour partie du NPA, tandis que Lambert s’est déjà lancé dans « la reconstruction de la IVe Internationale », dont l’organisation française est aujourd’hui le Parti ouvrier indépendant (P.O.I.).

En Algérie, où opère « Pablo » conseiller spécial de Ben Bella, les nationalisations précèdent une réforme agraire et une mise en autogestion d’entreprises, surtout agricoles et un peu industrielles. Mohamed Harbi et Hocine Zahouane, qui animent l’aile gauche du FLN, deviendront les « amis » de « Pablo », de Gilbert et de la TMRI. Gilbert sera étroitement associé à la révolte chypriote de Makarios, à la lutte contre la junte des colonels en Grèce, au soutien à l’ANC sud-africaine, au mouvement palestinien du FDLP — avec quelques faits d’armes, comme l’impression de l’organe clandestin du FLN en métropole ; l’évasion de prison en Turquie de Yilmaz Güney, le réalisateur de Yol, la permission, Palme d’or du festival de Cannes en 1982 ; la protection de Stokely Carmichael, alors porte-parole de la mouvance Black Panther Party, qui logeait chez nous à Clamart (92) ; le soutien aux dissidents de l’Est, comme Piotr Eguidès et Tamara Deutcher, et d’autres actions qui ne sont toujours pas prescrites.

Mai-68 permettra à son organisation de trouver une nouvelle respiration, avec l’arrivée de jeunes tels Maurice Najman, initiateur des Comités d’action lycéens (C.A.L.). Une fois Michel Rocard parti du Parti socialiste unifié, l’A.M.R. y adhère collectivement. Gilbert est membre de son Bureau national. Mais la greffe ne prend pas. Scission, renaissance sous l’appellation des C.C.A. (Comités communistes pour l’autogestion).

À croire que l’appétence de ce courant politique pour les idées neuves et sa rupture avec le trotskysme traditionnel le déstabilisent. Pas facile en effet de remettre en cause la conception « léniniste » du Parti révolutionnaire, guide et avant-garde, qui se construirait à partir d’un noyau de dirigeants autour duquel devraient s’agréger ensuite d’autres forces. Les « pablistes » lui préfèrent l’idée d’un arc de forces indépendantes, vouées à s’unifier, se décomposer et se recomposer, à mesure du processus révolutionnaire en cours et des tâches politiques à atteindre — vision « mouvementiste » plus en phase avec la situation de l’époque. Ils cherchent à articuler la problématique du mouvement ouvrier avec celle des « nouveaux mouvements sociaux » (jeunes, femmes, immigrés, genre,…), terme utilisé par l’A.M.R. avant qu’il fasse florès dans les sciences sociales. Ce courant politique renouvelle son approche des Pays de l’Est, qu’il définit désormais de « pays bureaucratiques » plutôt que d’« États ouvriers dégénérés ». Il approfondit son approche de l’autogestion, qu’il conçoit dans une formule lapidaire comme « le contenu du socialisme et le moyen d’y parvenir »… En 1981, il analyse l’arrivée de F. Mitterrand comme paradoxale : la gauche est au pouvoir au moment où la force propulsive de Mai-68 s’achève, ce qui pose des problèmes inédits…

Lorsque je songe à mon père, ce qui me revient le plus à l’esprit c’est à quel point il était accrocheur, d’un volontarisme extraordinaire, et d’une énergie rare. Je l’ai attendu durant des années tous les soirs à partir de 23 h ou minuit, parfois une heure du matin pour qu’il me rapporte les derniers évènements. Il prenait du pain, un morceau de fromage, la radio était déjà allumée, et nous parlions. Oh, il ne s’est pas occupé de nous, et il est vrai que s’il ne m’avait pas transmis cette passion de la politique tout aurait concouru pour que je finisse mal, mon frère a presque fini en correctionnelle, mes cousines étaient prostituées, et mon milieu de rue naturel me portait vers les activités de gang. J’ai été dans des bandes, et j’ai toujours pensé que je n’échapperais pas à la prison.

A) Avec le PG : Gilbert Marquis, directeur de la revue Utopie critique, pour la république autogérée

" ENFIN ! Combien de militants de gauche véritables et de socialistes se sont dit ce mot, en apprenant que Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez, -qui ont marqué en tant que socialistes et démocrates la campagne contre la Constitution européenne, ont rompu avec toutes les palinodies du Parti socialiste pour relever le drapeau d’une gauche socialiste véritable.

Le dernier Congrès du PS à Reims a encore descendu plus bas, dominé par le discours de Ségolène Royal qui jette aux orties toute la pensée fondamentale anticapitaliste au moment où le système plonge dans une nouvelle crise fondamentale, financière, industrielle et naturellement sociale, plongeant des millions et des millions dans la misère. Cela a-t’il été combattu, dénoncé, rejeté ? Non.

Il y a trop longtemps que le Parti socialiste ne discute plus de programme et de changement social et démocratique essentiel. Le fond des problèmes du Parti socialiste s’est confondu dans une bataille de personnes pour le contrôle de l’appareil d’où émerge l’ambition personnelle qui se plie au système capitaliste mondial, telle l’outrance d’un Strauss-Kahn directeur du Fond Monétaire International, la clé même du système que les socialistes sont censés combattre !

Le "blairisme" du discours de Mme Royal, renforcé par la droite et ses médias, avance impunément dans la confusion des discours qui abandonnent la critique radicale du système capitaliste dominant. Quel qu’ait pu être la volonté de résistance du courant regroupé autour de la motion Hamon la confusion l’a emporté ; le découragement va naturellement s’ensuivre et de nouvelles défaites sont à attendre.

C’est contre cela que Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez en appellent à en finir, pour lever le drapeau du socialisme, relever le gant face à une bourgeoisie financière dominante, sans scrupules.

Leur premier souci comme ils l’ont déclaré c’est de rassembler la gauche véritable et socialiste dans un Front commun dont l’unité programatique sociale, clairement opposée à la droite et à la bourgeoisie dominante, fera la vraie force de changement et des victoires à venir.

Enfin, un nouveau commencement. Saluons-le !

Comme en 36, le jour se lève ; pour des milliers, des centaines de milliers... Et nous irons très loin. "

Gilbert Marquis, directeur de la revue Utopie critique, pour la république autogérée.


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