Le rapporteur spécial des Nations unies juge la libéralisation nuisible pour les agricultures fragiles (Le MONDE)

samedi 20 décembre 2008.
 

Olivier De Schutter, un universitaire belge, actuellement rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, va remettre un rapport très attendu à Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il concerne, d’une part, l’impact du commerce mondial libéralisé sur la faim dans le monde et, d’autre part, sa capacité à influer sur la politique des Etats, tenus d’assurer l’accès de tous à l’alimentation.

M. De Schutter plaide pour une révision des conceptions qui président à la libéralisation. Celle-ci, souligne-t-il, menace la situation, déjà précaire, de dizaines de millions de petits agriculteurs et engendre des "coûts cachés", sociaux, environnementaux et sanitaires notamment. "Elle n’est pas plus favorable au consommateur, confronté à une forte hausse des prix, qu’au petit producteur, auquel on paye un prix de plus en plus faible. En revanche, la chaîne de distribution s’allonge, ce qui contribue à enrichir divers intermédiaires", explique le rapporteur. Dans le monde, 500 millions de producteurs sont contraints d’acheter cher leurs semences et leur engrais à une douzaine d’oligopoles et de revendre à un prix dérisoire leur production. "Il faut améliorer la gouvernance de ce commerce, généraliser l’échange équitable", plaide M. De Schutter.

Près de 900 millions de personnes souffrent de la faim alors que la planète produit, en théorie, suffisamment de nourriture pour tous ses habitants. Les accords sur lesquels se basent l’OMC prévoient un meilleur accès de tous les produits agricoles au marché, une diminution des programmes de subventions à la production et la réduction – voire l’élimination – des subventions à l’exportation.

Un programme qui est loin d’être réalisé, le chapitre agricole formant l’un des obstacles à la conclusion des négociations sur la libéralisation des échanges. Les négociations engagées à Doha, en 2001, pour faire bénéficier les pays en développement de la libéralisation du commerce, piétinent.

DÉPENDANCE

Le rapport de M. De Schutter s’interroge non pas sur un avenir idéal, mais sur la situation actuelle. "La position de l’OMC est, en gros, que les impacts négatifs résultant de la libéralisation, notamment pour les petits paysans et les populations marginalisées seront compensés par l’expansion des secteurs exportateurs, explique-t-il. Cette approche, qui établit le bilan des gains et des pertes, n’est pas satisfaisante car, dans biens des cas, les gouvernements ne sont pas en mesure de compenser ces impacts négatifs pour leur population."

Des pays ont été incités à se spécialiser dans des secteurs où ils bénéficiaient d’avantages comparatifs : le coton pour l’Afrique de l’Ouest, le café pour la Colombie et l’Ethiopie, le sucre pour d’autres. On leur a promis qu’avec les devises ainsi engrangées, ils pourraient importer de quoi nourrir leur population pour un prix inférieur à ce qu’ils auraient pu produire eux-mêmes.

Problème : on a engendré leur dépendance par rapport à des indices boursiers de plus en plus volatils. Après une baisse des cours de leurs produits, ils ne peuvent plus payer leurs importations, dont la valeur a, elle, été parfois multipliée par cinq ou six. L’évolution encouragée par l’OMC a même transformé en importateurs des pays qui étaient autosuffisants.

L’accent mis sur le commerce international a, d’autre part, accru fortement la fragmentation du monde agricole : 85 % des producteurs travaillent sur des superficies inférieures à deux hectares, 0,5 % d’entre eux possèdent plus de 100 hectares. "Miser fortement sur les exportations accroît cet écart. On privilégie les 0,5 % les plus riches et on marginalise les autres", constate M. De Shutter.

Autre élément : l’intensification des importations, qui devraient doubler entre 2000 et 2030, est en train de modifier les habitudes alimentaires. Des nations en développement sont confrontées à des épidémies de diabète, de cancers ou de maladies cardio-vasculaires sous l’effet de produits transformés contenant plus de graisses, de sel et de sucres.

Enfin, les pays les moins nantis sont les plus exposés à l’évolution du climat. Alors que la population mondiale pourrait atteindre 9,2 milliards d’individus en 2080, la faim pourrait menacer 600 millions de personnes supplémentaires en raison de la progression des zones arides ou semi-arides, du manque d’eau et des effets du réchauffement climatique, auquel contribue massivement le mode actuel de production. "Le défi n’est pas seulement de produire plus de nourriture, mais de produire en préservant l’environnement, ainsi que les plus démunis, dans les campagnes et les villes", conclut le rapporteur spécial de l’ONU.

Jean-Pierre Stroobants


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