11 janvier 1992 : Arrêt du processus électoral algérien par l’armée

samedi 20 janvier 2024.
 

L’Algérie après avoir mené un combat de libération nationale s’est engagée dans un effort de développement national. Récupération du contrôle des ressources minières, nationalisations de certains secteurs d’activités, gratuité des soins de l’éducation, diffusion d’une rhétorique « révolutionnaire » qui prétendait faire la synthèse entre les idéaux du socialisme révolutionnaire (scientifique) et une lecture populaire (populiste ?) du dogme musulman.

Le système politique algérien était marqué par l’hégémonie du courant nationaliste révolutionnaire à base plébéienne aux appuis petits-bourgeois. Le système de parti unique institué au lendemain de l’indépendance a exclu les formations de droite et de gauche. La coopération avec le régime Nacérien aura charrié, en plus d’une vision arabiste mutilante de l’identité algérienne, l’infiltration dans le système éducatif algérien d’activistes islamistes. Absent du mouvement national algérien (formaté dans la culture politique française et par le MCIO), l’islamisme va s’incruster à partir du milieu des années soixante.

L’orientation du pouvoir va osciller au grè de l’évolution des rapports de forces en son sein. Sur une décennie, le poids des personnalités les plus en vue (Ben bella, Boumedienne, Zebiri, Kaid ahmed, …) va structurer le fonctionnement du système. Cette période sera celle des coups d’État et des liquidations physiques. Durant cette période la gauche algérienne subira une répression féroce. Comme les résistants de 39-45 qui se sont découvert des vocations de colonialistes face aux Algériens, des moudjahidines de 54-62 vont se découvrir des vocations de tortionnaires face aux militants de la gauche algérienne (PCA, PRS, FFS, ORP-PAGS, UGTA, UNEA…). À partir du milieu des années 1970, Boumediene va s’engager dans une forme de bonapartisme. Il cherchera à assoir des institutions, entre-temps une convergence s’est faite entre lui et des formations de gauche sur la base de l’engagement de certaines tâches nationales démocratiques (Nationalisation des hydrocarbures, lancement de la révolution (la réforme) agraire…). Les institutions algériennes actuelles sont issues de cette période. En 1976, les frères musulmans vont se manifester par quelques diffusions de tracts pour s’opposer « au choix socialiste ». Ils ne se faisaient connaître que par leur dénonciation de la réforme agraire, leur condamnation de « l’orientation socialiste » et les accusations de "mécréance" proférées à l’égard de Boumediene. Le recul des pratiques répressives va pourtant les faire bénéficier du même essor de développement que connaîtront les différents courants politiques (le courant identitaire Algérianiste dit « berbériste », le pags, les différents groupes trotskystes –lambertistes et pablistes -).

La mort de Boumediene va recomposer le pouvoir algérien et engager une nouvelle orientation : un infitah libéral qui ne se différencie des options d’Anouar Sadat que par sa lenteur relative. Ce renoncement à l’orientation « socialiste » va relancer la répression à l’égard des forces de gauche et asseoir une convergence de plus en plus grande avec les islamistes aidés et propulsés pour contrecarrer la gauche dans les milieux estudiantins et de la jeunesse, la police et le FLN se chargeant de la mater dans les milieux ouvrier et paysan. L’islamisme a désormais le vent en poupe. Le 2 novembre 1982, un commando paramilitaire islamiste va intervenir à la cité universitaire de Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger, pour empêcher les étudiants de reprendre le contrôle du comité de la cité, le bilan est sanglant un mort, Amzal Madjid (dit Kamel) et deux blessés. Cette descente punitive sera suivie d’un grand meeting à la place Maurice Audin où Abass Madani apparait aux côtés du guide Mohamed Sahnoune.

L’autre faction, plus liée aux frères musulmans, conduite par Mahfoud Nahnah, va se lancer dans le recrutement et le convoyage de moudjahidine pour l’Afghanistan. Après la Daawa (la conscientisation), Essahwa (l’éveil). Les foyers intégristes prolifèrent dans des chantiers de mosquées, une faille légale faisait que la mosquée ne rentrait dans le champ de compétence de l’État qu’après sa réception définitive. Les salles de la fédération algérienne de judo vont progressivement passer sous le contrôle des islamistes. Les stages d’été de nombreuses sections de judo étaient de véritables camps d’entrainement militaire. L’Algérie connait son premier maquis islamiste avec Bouyali dans Atlas blidéen. Il le tiendra trois années durant. Ce sont là les trois creusets qui formeront les futurs cadres militaires de l’insurrection islamiste.

Pourtant, tout au long des années 1980, la société algérienne a connu des convulsions intenses. Printemps amazigh en 1980 pour la reconnaissance des langues populaires (tamazight et arabe algérien), vrai socialisme et vérité historique. Feront écho à ce printemps sur des questions de logement, de conditions de vie… Amizour en 1981, la casbah et Oran en 1982 et 1984, Constantine en 1986. Le mouvement étudiant sortait de la léthargie dans laquelle la répression de 1971 l’avait plongé. Le mouvement féminin prenait de la vigueur dans la lutte contre le code de la famille inspiré de la Chari’a et entré en vigueur en 1984. Une ligue algérienne des droits de l’Homme et de collectifs de solidarité avec les détenus politiques voyait le jour (la répression avait repris dès avril 1980). Des dynamiques de reconquêtes des structures de base de l’Ugta et de résistance à sa caporalisation prenaient de l’ampleur… Les secteurs libéraux du pouvoir algérien voyant venir une grosse vague ont anticipé en provoquant les émeutes d’octobre 1988, sorte de soupapes de sécurité qui leur a permis d’orienter les évènements dans le sens de leurs intérêts.

Dans ces évènements le courant libéral a pu désigner ses adversaires à la vindicte populaire. Il a pu promouvoir les islamistes comme la composante essentielle de l’opposition et l’élément déterminant du pluralisme. Il s’est aussi employé à travailler à l’isolement de l’opposition historique constitué des groupes de gauche (Pags et groupes trotskystes), des courants Algérianistes (militants pour les droits identitaires, culturels, et les droits de l’homme – représenté entre autres par said Sadi) et les dissidences issues du nationalisme révolutionnaire (le FFS de Hocine Ait Ahmed et plus relativement le MDA de Ahmed Ben Bella). L’ouverture dite démocratique a été pensée et mise en œuvre par les cercles de la présidence autour de Chadli Benjedid. Aucune force n’a exprimé une évaluation concrète des initiatives du pouvoir, ni même à se poser comme partenaire et partie dans la conception et la conduite de « l’ouverture démocratique ».

Expérience unique, le parti unique algérien s’est intronisé acteur exclusif de l’ouverture ! Le pags ira dans cette logique au-delà de l’acceptation de l’agrément des partis islamistes (Fis en tête). Le 28 septembre 1989, il poussera le comble jusqu’à inviter le Front islamique du salut à sa première apparition légale. Le fis n’y répondra même pas.

Les violences de la répression d’octobre 1988 et ses tortures seront vite balayées par la montée de la violence intégriste. La première grande initiative unitaire regroupera le 10 mai 1990 le Pags, le Rcd et le Psd dans une marche contre la violence et l’intolérance. Les islamistes se voient renforcés par le retour des Afghans (vétérans du djihad dans les ligues arabes), l’amnistie des djihadistes condamnés dans le cadre du démantèlement des maquis de Bouyali. Leur montée en puissance s’est accompagnée de la multiplication des agressions à l’endroit des femmes. Leur victoire aux communales de Juin 1990 va ouvrir la voie à la constitution de milices paramilitaires chargées d’imposer la morale. Chaque commune gagnée par le fis devenait un émirat islamiste. La devise républicaine « Du peuple et pour le peuple » était arrachée des frontons des édifices publics. Les communes étaient rebaptisées « commune islamique ». Interdiction des activités culturelle, fermeture et transformation des salles de spectacles. Chasse aux couples et aux femmes de « mauvaises mœurs » … Au moment de la première guerre du Golfe, Ali Belhadj va défiler en tenue militaire à la tête de ses Afghans, il se présentera en tenu de combat au ministère de la Défense et sera reçu par Khaled Nezzar. Le discours des démocrates se bornait à dénoncer la volonté de bipolarisation de la vie politique entre l’ancien parti unique et le parti islamiste. La seule exception est venue du Pags.

Succinctement, le 18 juin 1990, juste une semaine après la déferlante islamiste aux élections communales, une majorité se formait au sein de la direction du PAGS pour dénoncer le caractère suicidaire du processus politique initié au lendemain d’octobre 1988. Une position qui va devoir surmonter de fortes résistances dans l’appareil du parti. Elle ne sera confirmée qu’un mois plus tard le 18 juillet 1990. Mais cette fois avec la dénonciation claire du caractère dual du processus politique, à la fois démocratique et antidémocratique. Les luttes vont être âpres au sein du parti. Et les mois qui ont séparé ces premières prémices de la tenue du congrès en décembre 1990 ont été riches d’intenses luttes politico-idéologiques. Le pags abritait une confrontation entre une ligne républicaine, démocratique, moderniste qui désignait l’islamisme comme l’ennemi mortel de la république et de la démocratie et une autre sociopopuliste qui préconisait une forme louvoiement justifié par la nécessité de gagner la base populaire de l’islamisme (comme si la base du fascisme aie jamais été autre chose que populaire !). Ces luttes vont ébranler le Pags pour la raison simple qu’il restait encore marqué par le fonctionnement clandestin (logique de réseau, de cloisonnement et de discipline) ce qui limitait les possibilités de débats en son sein. Toujours est-il qu’au sortir du congrès de décembre 1990 le pags refusait d’apporter sa caution à un processus intégrant les islamistes et exigeait leur mise hors la loi (La doctrine islamiste est que le coran est leur constitution et Allah leur souverain) comment croire qu’une telle conception pouvait trouver place au sein d’un système républicain ? Le pags a clairement alerté sur le caractère fasciste de l’islamisme et sur la nature biaisée du processus dit démocratique.

Le fis sentait que le pouvoir était à portée de main. Il va exiger des présidentielles anticipées. Il va même faire avorter des législatives anticipées, programmées en juin 1991, en lançant une grève insurrectionnelle avec occupations des places publiques dans la capitale. Cette grève insurrectionnelle de l’été 1991, l’extension des violences exercées à l’égard des femmes, des artistes, et l’embrigadement de quartiers entiers seront autant d’éléments qui vont éveiller des secteurs de la société aux dangers qui guettent l’État algérien. Mais la bureaucratie gouvernante et de la classe politique vont aller jusqu’à ignorer une attaque de grande ampleur menée un mois juste avant la seconde programmation des élections législatives (décembre 1991). Avec les résultats de ces législatives et le discours développés lors de la compagne électorale (Promesses de potences publiques pour les communistes, promesses de changements des habitudes du peuple algérien et de lui substituer des populations soudanaises ou afghanes s’il ne se soumettait pas à la loi de dieu,…) une large majorité s’est faite dans l’opinion pour mettre un terme à la dérive.

Il est certain que l’arrêt du processus électoral est d’abord dû aux risques d’éclatement des différentes sphères du pouvoir algérien (le FLN se positionnera dans l’opposition à l’arrêt du processus électoral et comptera parmi les sherpas qui chercheront le compromis avec l’islamisme). Mais les craintes de division au sein du système ne pouvaient en rien réunir les conditions de réussite de cette démarche. C’est au sein de la population que les islamistes avaient été isolés à la fois par l’effet de leurs propres exactions, mais aussi grâce au discours courageux et clairvoyant des militants du parti de l’avant-garde socialiste. Au soir du 26 décembre ils étaient une lueur rassurante dans l’obscurité d’une hécatombe électorale qui allait enterre l’Algérie. Arrêter un processus criminel ; sauver la Nation et l’État ! Voilà les mots d’ordre de cette voix populaire. C’est se méprendre sur l’ampleur des intérêts en jeux que de croire qu’elle allait être sincèrement être écoutée. Le compromis au sein des appareils du pouvoir sera de fomenter une « panne constitutionnelle » pour éviter d’aller à une seconde république, sauver le système et déjouer l’option républicaine et démocratique. Chadli quittera la présidence, Belkhadem, le président de l’assemblée avait remis son mandat et l’assemblée en état de vacance, le « vide constitutionnel » était là et permettait la mise en place d’une présidence collégiale de l’Etat, le haut comité d’État.

Le HCE a été conçu comme une structure de représentation des différents courants présents sur la scène politique (Ali Kafi –organisation des moudjahidines-, Tidjani Hadam –autorité religieuse - , Khaled Nezzar – général de l’armée – et Ali Haroune – Avocat (société civile), engagé pour les droits de l’homme (démocrate) -. Mohamed Boudiaf, vieux révolutionnaire, opposant de la première heure, père du FLN (historique) le présidera durant 165 jours. Sa détermination aura certainement menacé des intérêts occultes au sein du pouvoir algérien ; son projet de création d’un rassemblement national pour doter la jeunesse algérienne d’un cadre démocratique de mobilisation, sa dénonciation de la mafia politico-financière qui squatte l’État, va lui couter la vie. Il sera assassiné le 29 juin 1992 à Annaba. Sa disparition va recadrer l’orientation du HCE en l’inscrivant plus dans une logique de sauvegarde du système que dans celle de la mobilisation de la société et plus particulièrement de la jeunesse. Le 29 juin 1992 est un coup d’État occulté. Sous la présidence d’Ali kafi le HCE va chercher à construire un compromis avec les islamistes (le dialogue sans exclusive, la dénonciation par des membres du gouvernement des laïco-communistes, la concurrence sur l’instrumentalisation et le contrôle de la religion…).

Sur le terrain la confrontation était violente. Des dizaines de cadres démocrates se faisaient éradiquer. Des enseignantes étaient exécutées devant leurs élèves, des collégiennes égorgées parce qu’elles refusaient de porter le foulard. L’horreur était quotidienne … des bébés de quelques mois enfournés ou des pucelles violées avant d’être mises à mort pour leur fermer les portes de l’Éden !! Comme dans tout conflit asymétrique, la population est un enjeu, est l’enjeu majeur. L’ANP va rappeler des réservistes, officiers et sous-officiers et les incorporer comme cadres mobilisés. Elle va distribuer des armes aux anciens combattants de la guerre d’indépendance particulièrement ciblés par l’insurrection islamiste. Des citoyens vont se porter volontaires pour contribuer à la lutte antiterroriste. Ils se comptent en dizaines de milliers. Les villageois et habitant de hameaux auront la possibilité de se constituer en comité de légitime défense, là le chiffre se quantifie en centaines de milliers. Cette dynamique d’implication de la population effrayera encore des secteurs de la bureaucratie algérienne qui vont peser pour créer un cadre de caporalisation de ces citoyens en armes, ce sera les détachements de Garde communale force auxiliaires aux cantonnements fixes et placés sous le contrôle de la gendarmerie. Le nombre d’armes en circulation à ce jour est impressionnant. Sans cette implication populaire, l’armée et les forces de sécurité n’avaient aucune chance de contrecarrer la rébellion qui a fait des dizaines de milliers de victimes. Ces forces patriotiques qui ont fait la différence dans la lutte seront les laissées pour compte des politiques qui suivront.

Arrivé en 1994, le pouvoir algérien a été incapable de dégager un nouveau consensus. Une présidence d’État devait succéder au HCE, lors de la conférence nationale de concorde, le nom de Bouteflika avait été avancé, mais celui-ci jugeant que ses adversaires au sein du pouvoir étaient encore trop puissants se dérobera et les laissera se replier sur un choix de substitution : celui du ministre de la Défense de l’époque : Liamine Zeroual. Celui-ci va développer une dynamique de désinstitutionnalisation, adoption d’une nouvelle constitution qui institue une seconde chambre et établi des mécanismes de sauvegarde du cadre républicains. En 1996 il va se faire élire à la présidence de la République avec un très large soutien populaire. Il sera amené à la démission au profit de Bouteflika, qui démantèlera l’édifice institutionnel pour assoir un pouvoir personnel.

Durant toute cette période, les clivages politiques se résument ainsi :

- Les islamistes : Partisans d’une théocratie basée sur le coran et la souveraineté divine. Ils se répartissent en djihadistes engagés dans l’insurrection et en entristes qui cassent la république de l’intérieur.

- Les démocrates : divisés entre les partisans de la double rupture (Rupture d’avec le système, rupture d’avec l’islamisme) et les partisans d’un démocratise formel qui défendent le pluralisme débridé qui fait place aux défenseurs de la théocratie.

- La bureaucratie au pouvoir, qui louvoie entre les deux pôles avec le seul souci de son maintien et de la reproduction de ses intérêts.

- Les partisans de l’entente, FFS, FLN, PT… se sont retrouvés en 1995 à Rome pour signer sous l’égide de la communauté de saint ‘Egidio un « contrat national » avec le FIS. Ils seront dénoncés avec véhémence à Alger. N’empêche que quartes années plus tard un accord similaire sera signé à Jijel entre l’armé du FIS et le département du renseignement et de la sécurité (DRS). Cet accord est le socle des politiques dites de concorde et de réconciliation.

L’expérience algérienne mérite d’être étudiée. Fondamentalement ce qu’elle posait reste la problématique centrale des soubresauts de la rives sud de la méditerranée. Avec l’échec des expériences menées par ce que nous pouvons dénommer de façon générique la gauche arabe, la question nationale revient à l’ordre du jour pour poser les problématiques de construction de l’Etat, des Nations, de la nature des pouvoirs en place, des formes de gouvernances et de la démocratisation de leurs modes. L’identification des forces sociales en présence, de l’étape historique des formations économiques et sociales présentent dans cette aire, sont autant de thème qui doivent retenir l’attention et susciter notre intérêt. Si seulement les questions étaient réductibles aux « respects des règles démocratiques » ou au refus du « coup d’Etat », or la vie est bien plus complexe et bien plus dramatique que cela.

Mohand Bakir


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