LE SOJA CONTRE LA VIE en Argentine

jeudi 24 août 2006.
 

En 35 ans, la production mondiale de soja a augmenté de 495 %, faisant de cette légumineuse la caricature d’un modèle agro-industriel qui s’emballe. Avec l’appui des institutions financières internationales, quelques firmes multinationales et entreprises des pays producteurs se partagent un marché tourné vers l’alimentation des élevages intensifs. Cette expansion est source de nombreuses violations des droits humains et cause des dommages irréversibles à l’environnement. En Amérique latine, le soja génétiquement modifié envahit ainsi des millions d’hectares, provoquant l’expulsion de milliers de familles, une déforestation importante et des épandages massifs de produits chimiques. En réponse à cette situation, les populations s’organisent, au niveau national et local, pour promouvoir des alternatives et dénoncer les violations de leurs droits. C’est le cas à Santiago del Estero, la province la plus pauvre d’Argentine, où le mouvement paysan MOCASE affronte une entreprise qui - en connivence avec la police, les paramilitaires et les juges locaux - veut s’approprier plus de 150000 hectares.

Le 6 janvier 2006, les familles de la commune de Santa María Salomé, voient arriver des bulldozers, accompagnés de paramilitaires et de 12 policiers lourdement armés. Les engins sont envoyés par l’entreprise Madera Dura Del Norte pour raser les arbres et clôturer les espaces où vivent de nombreuses familles paysannes. L’entreprise dit agir en conformité avec un ordre du Juge Oscar Juárez (du tribunal de Santiago del Estero), mais les habitants s’interposent. Ils refusent de céder le passage, bien qu’on les menace de passer sur leurs corps, et obligent les machines à faire marche arrière.

Toutefois ce n’est que partie remise : dans les jours qui suivent, les terres sont à nouveau envahies par une dizaine de bulldozers qui entament leur oeuvre destructrice, sous l’oeil vigilant de 40 paramilitaires.

Le mardi 7 février, dans la municipalité de Sol de Mayo, alors qu’elles tentent d’empêcher l’avancée des bulldozers à quelques mètres de la maison de la famille Santillan, les communautés sont agressées par des policiers (transportés par l’entreprise et répondant à ses ordres) qui font usage de bombes incendiaires, de balles en caoutchouc et brutalisent plusieurs personnes. 2 personnes de la famille Santillan sont arrêtées et seront détenues durant 10 jours.

Une nouvelle étape a donc été franchie par Madera Dura Del Norte, qui revendique au total près de 156 000 hectares de terres dans la province de Santiago del Estero, et harcèle depuis trois ans les communautés afin d’étendre son modèle agro-industriel.

A qui appartient vraiment la terre ?

La possession de la terre représente un problème crucial dans la région, qui subit depuis plus d’un siècle l’action dévastatrice de grandes entreprises forestières. La législation argentine reconnaît pourtant le droit des paysans à la propriété, lorsqu’il y a eu possession pacifique pendant plus de 20 ans et que certaines conditions sont remplies [1]. Mais dans les faits, obtenir l’application de cette loi est au-delà des moyens des familles. L’enregistrement sur le registre du cadastre est coûteux, il nécessite l’emploi d’un avocat pour introduire la procédure... Les démarches sont difficiles à engager et les dépenses démesurées. Sans compter que les autorités sont plus enclines à favoriser les intérêts de quelques compagnies qu’à faire respecter les droits des communautés.

Ainsi, comme à Santiago del Estero, les familles paysannes se retrouvent dépossédées de leurs terres, bien qu’elles occupent les lieux depuis plusieurs générations, qu’elles y vivent, qu’elles y aient leurs maisons, leurs dispensaires, leurs écoles...

Une aggravation due au Soja

“Il y a encore quelques années” résume un militant argentin, “toutes ces terres étaient essentiellement des exploitations familiales. Les gens y faisaient pousser du maïs, du manioc, du coton (...) Aujourd’hui hélas, tout cela a bien changé, car ces terres ont été vendues par l’Etat à de grands propriétaires, qui y produisent surtout du soja génétiquement modifié de manière industrielle” [2].

Ce constat sévère est partagé par le MOCASE. Depuis 1990, ce mouvement fédère les organisations de producteurs et promeut une politique agricole et agraire différenciée en tenant compte des spécificités régionales. Dans la province de Santiago del Estero, le MOCASEest en première ligne pour organiser l’expression et de la mobilisation des familles. En 1998, le MOCASE et les habitants du village de La Simona, avec l’appui de la mobilisation nationale et internationale, avaient tenu tête à un grand propriétaire, et ils vivent toujours sur leurs terres.

Depuis, le mouvement paysan fait face à une répression multiforme. Car les entrepreneurs du soja s’appuient non seulement sur des forces paramilitaires, mais aussi sur une police et une justice souvent ralliées à la cause des plus riches. Les derniers événements en témoignent : la solidarité est à nouveau nécessaire pour appuyer les paysans de Santiago del Estero.

POUR EN SAVOIR PLUS :

“Le soja contre la vie”

La Confédération Paysanne, Le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), le réseau Cohérence, , le Réseau Agriculture Durable (RAD) et le Groupe de recherche et d’échanges technologiques (GRET) ont lancé la campagne “Le soja contre la vie” en février 2006.

Ce n’est pas une campagne contre le soja, mais contre les dérives et excès d’un modèle agricole productiviste et spécialisé soutenu par les institutions financières internationales (IFI), promu par quelques firmes privées et relié à l’orientation productiviste et à l’industrialisation de l’élevage européen.

La campagne demande notamment aux autorités françaises d’user de leur pouvoir au sein des IFI pour stopper le financement des opérations liées à l’expansion de soja. Elle interpelle aussi les firmes agroalimentaires Cargill et Dreyfus.

Pour agir : Site : www.sojacontrelavie.org


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