Capitalisme, mondialisation... Pour une alternative socialiste (par Raul Pont, maire de Porto Alegre)

jeudi 17 novembre 2005.
 

L’humanité aborde la fin de ce siècle dans un grand vide d’horizon historique doté d’une légitimité et d’un avenir. L’hégémonie du néolibéralisme a produit des résultats sensibles dans l’imposition d’un modèle de mondialisation du capital sous la direction du capital financier. Les progrès spectaculaires des nouvelles technologies dans la production et, principalement, dans les communications, ont joué un rôle décisif pour justifier ce processus.

La globalisation est véhiculée idéologiquement par les médias - les grands et les petits - comme quelque chose d’inévitable : voie unique que tous les pays doivent emprunter, en suivant les directives essentielles de la dérégulation des marchés, de la privatisation, de l’individualisme et d’un Etat croupion.

Fragilité du modèle néolibéral

S’il paraît indiscutable que cette conception économique, reconstruite sur la base des vieux concepts libéraux par le Forum Economique Mondial de Davos, domine à l’échelle planétaire, sa fragilité n’en est pas moins évidente en tant que "conception du monde".

Ce libéralisme exacerbé est incapable de construire un horizon politique doté de valeurs éthiques, morales et politiques, qui fonde une solide domination de classe en combinant durablement la contrainte et la légitimité.

Ses principales proclamations idéologiques ne correspondent pas avec la vie quotidienne réelle des personnes, et celles-ci n’adhèrent pas et ne défendent pas ce mode de vie comme le leur. Elles souffrent de ses conséquences et y sont intégrées plus par obligation que par conviction.

Son acceptation, mise en musique par la répétition de lieux communs et par le pouvoir des médias, est superficielle. Confrontée à la dénonciation et à la mobilisation, qui s’enracinent dans la réalité, elle tend rapidement à se retourner.

Une gauche en perte d’identité

Dans ce cadre de domination idéologique néolibérale et de profonde crise des expériences du socialisme bureaucratique et autoritaire d’Europe de l’Est et d’autres régions du monde, le référentiel théorique représenté par les différents courants du marxisme a connu un affaiblissement évident. A tel point que la compréhension du rôle et des fonctions d’institutions politiques comme le parti, le parlement, l’Etat, etc., a aussi été atteinte.

Même des intellectuels et des militants de partis qui ont des liens historiques avec le marxisme ont été influencés par cette crise, ce qui les a amené à abandonner cette conception du monde ou à la relativiser en tant qu’instrument théorique pour analyser la réalité et les institutions politiques.

Dans de nombreux cas, il s’est agi d’un abandon explicite, suivi d’un ralliement à l’idéologie néolibérale, souvent dissimulé, au nom de l’inévitabilité de la "mondialisation", du développement scientifique et technologique ou d’une nouvelle révolution des moyens de production. Dans d’autre cas, non moins contagieux et dangereux, cela a commencé par la non-relativisation et la surévaluation des critères et des valeurs du pragmatisme conjoncturel, des résultats électoraux, des alliances gouvernementales marquées par un immédiatisme de circonstance, sans stratégie qui les replacent dans une cohérence à long terme.

Nous partons de l’évaluation que cette question est l’une des plus importantes que la gauche brésilienne, ses partis, et particulièrement le nôtre, le Parti des Travailleurs, doive affronter.

En défense du marxisme

Le marxisme est toujours le principal instrument théorique pour la critique du capitalisme et la compréhension de l’histoire de l’humanité, débarrassé bien sûr des lectures mécanistes qui ont marqué la théorie et la pratique des expériences bureaucratiques du XXe siècle.

La force du marxisme réside précisément dans sa capacité de s’auto-critiquer et de se fonder sur une méthode de connaissance qui appréhende les changements et l’émergence de chaque réalité nouvelle.

La compréhension la plus large de la dynamique permanente de ce processus ne nous dispense pas d’avoir, comme individus et comme parti, une certaine conception propre du monde et de l’interprétation de la réalité, sous peine de perdre les références nécessaires à la survie d’une volonté collective. Nous faisons pratiquement le constat, qu’il n’a jamais été aussi nécessaire de maintenir le débat idéologique au sein de la société et parmi nous.

Les millions de jeunes et de citoyens qui, chaque année, parce qu’ils vivent la condition de citoyen, de membre d’une association partisane, cherchent des références théoriques et programmatiques pour s’orienter dans l’action, les trouvent de moins en moins dans les débats qui traversent la société.

Un programme pour s’orienter

Il y a quelques décennies, dans les années 60, par exemple, on intégrait un parti ou assumait une pratique politique dans notre pays en s’inspirant des références théoriques tirées des expériences vécues en Amérique Latine et dans le monde, qui étaient présentes dans les orientations que nous assumions.

La pensée unique de la mondialisation vise à réduire ces références à un dis cours tendant à décrire tous les partis comme "identiques" : de simples instruments pour présenter et faire élire des candidats aux parlements et aux gouvernements. Les différences entre eux se réduiraient au champ de quelques valeurs comme la compétence, l’honnêteté et le plus ou moins grand engagement démocratique.

Le caractère de classe, l’exploitation sociale, comme éléments essentiels du système capitaliste tendent à ne pas apparaître ou sont dilués dans la théorie et la pratique des partis. De nombreux exemples en Europe et en Amérique Latine montrent la facilité avec laquelle les partis socialistes ou démocratiques populaires se transforment en protagonistes principaux de gouvernements néolibéraux, adeptes de la mondialisation. Ceci n’arrive pas seulement à cause de directions "traîtres" ou par la "cooptation" de gouvernants ou de parlementaires. La dilution et l’absence de débat idéologique, le manque de formation permanente des cadres et de maintien d’un programme vivant, sont aussi responsables de ces déroutes, de même que de l’abandon de toute cohérence programmatique.

Résister à l’aliénation

Autre exemple. Les conceptions des nouvelles sectes religieuses florissantes, chaque fois plus obscurantistes et mercantiles, qui aliènent les personnes en leur donnant l’illusion que les contradictions et conflits sociaux liés à l’exploitation et à la marginalisation peuvent trouver des solutions dans l’au-delà, et ne souffrent aucune critique ni discussion.

A l’université, dans les milieux intellectuels, on perçoit aussi que le marxisme a souffert un refroidissement et que, s’il n’a pas été largement substitué, il a été suffisamment réduit au silence par l’hégémonie néolibérale dans la société. Voyons-en un aspect. Les économistes du gouvernement, pugilistes du FMI et du grand capital financier, se sont transformés en "philosophes" du monde contemporain. L’explication du monde qu’ils défendent domine les controverses des médias, sans qu’ils n’aient suscité une résistance accrue de la part de la production théorique académique ou de celle des intellectuels de gauche.

On compte sur les doigts de la main ceux qui se sont opposés aux chantres de la post-modernité, de la mondialisation et de l’omniprésence du marché. Enfin, qui ne se conforme pas à cela est réduit au silence par la plus grande partie des médias et se fait traiter de dinosaure.

Le pluralisme et la cohabitation avec des courants de pensée idéalistes dans un parti comme le PT ne veut pas dire que les marxistes doivent renoncer à développer un débat idéologique sur ces thèmes, aucune conjoncture ou situation circonstancielle ne saurait justifier que les analyses marxistes soient inopportunes ou fausses.

Si nous ne le faisons pas, cela signifie que nous acceptons l’hégémonie croissante des idéologies et méthodes de connaissance qui ne rendent pas compte de la réalité. Cela signifie que nous renonçons à notre conception du monde.

Une réflexion plus exigeante

Les socialistes brésiliens, notre parti en particulier, pourront difficilement répondre à aux énormes défis et dépasser les obstacles considérables que nous rencontrerons ces prochaines années sans la défense et le renforcement d’une idéologie qui soutienne sa lutte anticapitaliste, en faveur d’une société où ne prédomine pas l’exploitation et l’exclusion sociale.

De notre point de vue, c’est instrument théorique c’est le marxisme, qui est toujours la principale référence pour comprendre et transformer la société capitaliste.

Cette fin de millénaire nous impose de toute évidence un ensemble de nouveaux défis dans le champ de l’écologie, par rapport aussi à des contradictions nouvelles ou qui perdurent, comme c’est le cas encore dans les relations de genres ou de races. Un défi évident découle des profondes transformations que les innovations scientifiques et techniques introduisent dans le développement des moyens de production et des relations de production qui en découlent.

L’actualité du diagnostic du Manifeste, 150 ans après, est aussi indiscutable et présent. Les mécanismes essentiels de base de la lutte des classes, de l’accumulation capitaliste, de la concentration et de la centralisation du capital, de l’évidence des conflits nationaux et régionaux dans la mondialisation du capital - quoi qu’on fasse pour nous convaincre de cette "mondialisation" - démontrent que la contribution théorique du marxisme est toujours valide et actuelle pour la pratique des socialistes.

Dans de nombreux cas, les nouvelles réalités défient nos capacités critiques et de production théorique par rapport aux nouvelles pratiques sociales. Mais nous ne devons pas perdre la mémoire historique de nos propres luttes.

L’expérience historique des luttes sociales de ce siècle et la pratique de la démocratie directe que nous impulsons dans quelques villes que nous gouvernons, par exemple, sont déjà plus que suffisantes pour doter le parti d’un programme et de propositions plus avancées sur le parlement, les partis et leur fonctionnement, les gouvernements dans leurs relations avec la société.

La démocratie au service de la révolution

Ce qui a prédominé, tandis que nous conquérions un espace croissant dans les parlements et les exécutifs, c’est l’acceptation des règles du jeu. Ainsi, leur reproduction nous paraît-elle de plus en plus naturelle.

Il y a des cas criants. Nous acceptons toujours plus comme inévitable le régime représentatif brésilien, le bicaméralisme, un système électoral qui ne sanctionne pas encore une conquête du XVIIIe siècle, c’est-à-dire "à chaque citoyen un vote".

Sans un référentiel marxiste, sans une prise en compte programmatique de la société de classes, sans un renforcement théorique et programmatique, nous courrons le sérieux risque de devenir un "parti de l’ordre" de plus.

Notre principal antidote, celui que nous ont légué les principales luttes sociales de ce siècle, c’est que nous sommes un parti démocratique, profondément démocratique, où ce débat idéologique peut circuler. Mais cela n’est cependant ni spontané ni naturel. Un tel débat ne se développe que grâce à l’organisation de ceux qui pensent et agissent de cette manière et revendiquent l’hégémonie dans la construction du parti et de son programme.

Que cet article participe à cet effort collectif et qu’il y contribue ! Nous n’abandonnerons certainement pas une perspective révolutionnaire.

* Extrait d’un recueil d’articles de Raul Pont, composé par J. Luiz Marques, et intitulé "Democracia, participação, cidadania. Uma visão de esquerda", éd. Porto Alegre, Palmarinca, avril 2000, pp. 13-17.


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