Mussolini Hitler Franco : Fascisme et armées du capital

lundi 17 novembre 2008.
 

A voir les savants organigrammes que publie la grande presse, et le nom des gens soupçonnés d’appartenir à l’encadrement de l’OAS, on peut se demander si ces initiales signifient : Organisation-Armée-Secrète, ou Organisation Secrète de l’Armée, tant les militaires semblent y jouer un rôle important.

Par sa propagande, par ses méthodes de lutte, l’OAS apparaît comme une organisation typiquement fasciste. Pourtant, la dictature militaire, s’appuyant exclusivement sur un appareil de répression militaro-policier et la dictature fasciste s’appuyant sur de larges masses petites bourgeoises organisées pour briser physiquement la classe ouvrière, sont deux choses bien distinctes. Mais en fait, cette différence, effectivement très importante, n’a jamais entraîné l’existence d’une cloison étanche entre l’armée et les organisations fascistes, ou empêché des cadres militaires de participer à l’encadrement de celles-ci.

Bien au contraire, l’histoire des différents partis fascistes montre l’importance qu’y eurent des éléments faisant partie ou issus de l’armée.

Bien qu’il ait été historiquement le premier, que ce soit lui qui ait donné aux autres son nom, l’exemple du parti italien n’est pas le plus démonstratif, car l’histoire de la constitution et de l’organisation des fasci se confond pratiquement, dans le temps, avec celle de la montée du mouvement de masse réactionnaire.

Néanmoins, le milieu dans lequel le fascisme recruta à l’origine, celui surtout qui lui donna la plus grande partie de ses cadres, était celui des officiers et sous-officiers, qui au lendemain de la guerre de 1914-18, se trouvèrent en grand nombre réduits à l’inactivité, dont les sentiments nationalistes étaient atteints en constatant que sa participation à la grande tuerie ne rapportait finalement rien de ce qu’il avait espéré à l’impérialisme italien, et qui aussi étaient remplis de peur et de haine devant le mouvement ouvrier. Il est évident que la participation d’officiers et de sous-officiers dans une organisation paramilitaire, dont le premier objectif était de combattre et de briser par la force et la terreur le mouvement ouvrier, était d’une importance capitale. L’histoire du nazisme est beaucoup plus éloquente car, entre le moment où se constitua la NSDAP et la grande crise de 1929 qui, avec la ruine des classes moyennes, amorça la montée du mouvement de masse qui allait porter Hitler à la tête du Reich, il s’écoula une dizaine d’années pendant lesquelles l’organisation fasciste exista indépendamment d’un tel mouvement. Ce qui permet d’étudier non seulement l’importance de la participation de militaires ou d’ex-militaires dans la formation des Sections d’Assaut, mais aussi les mobiles qui entraînèrent ces gens là vers le nazisme.

Lorsque le parti National-Socialiste se constitua, à partir de 1920, il y avait en Allemagne nombre de militaires de carrière dont les sentiments réactionnaires et le nationalisme se trouvaient portés à leur paroxysme par la défaite - que la droite attribua à la trahison de l’arrière, au « coup de poignard dans le dos » - et par l’acceptation du traité de Versailles. Plus prosaïquement, aussi, ce traité réduisait la Reichswehr aux effectifs de 100 000 hommes, ce qui fait que la plus grande partie des innombrables officiers et sous-officiers qui peuplaient l’Allemagne de Guillaume II, se trouvèrent du jour au lendemain rendus à la vie civile, et cherchèrent d’une manière ou d’une autre à garder le même mode de vie qu’auparavant.

Au début, le parti Nazi ne fut qu’une goutte d’eau dans la mer de la multitude d’organisations paramilitaires qui virent alors le jour. La masse la plus importante de ces gradés en mal de service, se constitua en corps francs autonomes, guerroyant pour leur propre compte dans les pays Baltes ou en Haute-Silésie,

Avec le retour progressif à une situation plus normale, les corps francs disparurent et, bien qu’il continuât d’exister à côté de l’armée officielle la « reichswehr noire », une grande partie des anciens des corps francs vinrent au parti Nazi.

L’exemple de Roehm, l’organisateur et le chef des Sections d’Assaut, est caractéristique de ces anciens militaires pour qui le fascisme était autant un gagne-pain qu’une idéologie politique, Après l’échec du Putsch de Munich en 1923, Roehm partit vendre son service de technicien militaire en Amérique Latine - au nom du patriotisme allemand bien compris sans doute - et il ne revint en Allemagne que lorsque la montée nazie de 1930 lui donna l’occasion de déployer pleinement ses talents.

Si ce furent des militaires qui fournirent ainsi les cadres du Parti National-Socialiste, le corps des officiers de carrière ne participa pas dans son ensemble à la constitution de celui-ci d’une manière active. « Le drapeau du National-Socialisme fut hissé par des hommes originaires de la couche de commandement inférieure et moyenne de l’ancienne armée « (L.Trotsky). Les officiers supérieurs, aristocrates pleins de mépris pour la plèbe - même Nationale-Socialiste - ne se compromirent pas ouvertement avec le Nazisme avant sa venue au pouvoir, et on ne trouve pas un seul général « Von quelque chose » à la tête du parti de Hitler. Roehm, chef des S.A., Goering qui fut plus tard maréchal du Reich, ne portaient, dans l’armée impériale, que le grade de capitaine.

Cette réserve d’une partie du corps des officiers envers le fascisme était réelle une partie même de ses cadres n’y était venue qu’après que l’échec du Putsch de Kapp, en 1920, eut montré qu’une réaction purement militaire était vouée à l’échec - ce qui n’est pas, sans analogie avec le développement de l’OAS après les journées d’avril.

Mais cette réserve n’empêcha pas l’État-Major dans son ensemble d’accorder un soutien extérieur constant au fascisme, même lorsqu’il s’en défendait. En même temps qu’un général Groener, en tant que ministre de l’Intérieur et ministre de la Reichswehr, dissolvait légalement les S.A. en 1932, ceux-ci continuaient à s’entraîner sur des terrains militaires, avec du matériel militaire.

Plus près de nous, dans l’Espagne de 1936, le franquisme réalisa l’imbrication d’un mouvement de type fasciste, avec la phalange, et d’un coup d’État militaire, et montra ainsi que si réaction fasciste et réaction militaire sont deux choses différentes, elles n’ont rien d’antagonique et peuvent très bien coexister.

L’OAS, bien sûr, se distingue de ses prédécesseurs par un certain nombre de traits particuliers. S’il existe en France un « malaise de l’armée », si le corps des officiers de carrière se sent blessé par l’échec de l’Algérie après celui d’Indochine et croit, lui aussi, à un coup de poignard dans le dos, il n’y a pas, par contre, ce milieu de militaires en chômage qui caractérisa le fascisme italien et le nazisme.

On ne peut pas considérer d’ailleurs l’OAS comme un parti fasciste, un tel parti étant, par le nombre de ses membres, un parti de masse. En 1928, le Parti Nazi qui n’avait qu’une dizaine de députés au Reichstag, disposait déjà de plus de 70 000 militantes. Jusqu’à maintenant l’OAS n’a pas trouvé, en dehors de l’Algérie, de base de masse de recrutement, et en Algérie même elle semble restée principalement composée de militaires - tandis que sa direction politique est un véritable « État-Major » en second.

Ce qui permet de dire qu’il s’agit bien d’une organisation fasciste, ce n’est pas tant sa composition sociale et son recrutement que son orientation politique, le fait par exemple qu’elle cherche à encadrer et à mobiliser les masses petites bourgeoises. L’OAS apparaît comme l’instrument qui doit permettre aux officiers factieux de construire le futur parti fasciste, de former ses cadres.

Mais le rôle que jouent ainsi les officiers de l’OAS n’a rien d’original, il rappelle trop celui des officiers des fasci ou des S.A. C’est que, dans tous les pays, l’attitude de l’armée de métier, vis-à-vis du fascisme est la même. Après avoir contribué par certains de ses éléments à son encadrement, elle sait, lorsque les intérêts de la bourgeoisie le nécessitent, s’y rallier dans son ensemble et lui frayer le chemin du pouvoir.

Ce qui n’empêche pas par la suite l’État-Major de se dresser contre le fascisme lorsqu’il devient gênant pour la bourgeoisie. En juin 1934, l’État-Major allemand obtenait d’Hitler la tête de Roehm, dont la démagogie semblait dangereuse, et la mise au pas des S.A. (qui allaient pratiquement perdre tout rôle). En 1943, lorsque l’Italie passa aux côtés des Alliés, c’est le maréchal Badoglio qui prit le pouvoir à la place de Mussolini arrêté par l’armée. Dans des circonstances semblables, une grande partie des officiers supérieurs allemands étaient compromis dans le complot du 20 juillet 1944 et l’attentat de Von Stauffenberg contre Hitler,

Si le corps des officiers et le fascisme sont bien deux choses différentes, ce sont tous deux, par des moyens qui leur sont propres, les dévoués serviteurs de l’ordre bourgeois.


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