Islamisme et Kabylie Récit retraçant l’histoire de l’islamisme en Algérie et son impact sur la Kabylie, de 1974 à nos jours.

mardi 13 novembre 2007.
 

La toute première fois où j’ai découvert que la religion pouvait être une source de discorde, c’est en 1974. J’étais étudiant, pas loin de la faculté de droit de Ben-Aknoun sur les hauteurs d’Alger. Dans l’enceinte même de cette fac, s’est déroulée une véritable bataille rangée, j’y étais, en tant que témoin. D’un coté les étudiants progressistes, plutôt communistes, proches de l’idéologie du président Boumediene ; ces étudiants qui passaient leurs vacances dans les campagnes, avec les paysans. En face, des étudiants sortis brusquement de l’ombre, dont personne ne comprenait les motivations car étrangères à nos valeurs et qui se proclamaient gardiens des traditions et des valeurs islamiques. Ce genre d’étudiants s’est déjà manifesté dans une autre fac, où j’étais, pour s’opposer à la tenue d’une soirée dansante. Les affrontements de Ben-Aknoun ont fait bon nombre de blessés, dont un mort. Un mouvement islamiste existait bel et bien. Le soir même, le président Boumediene est intervenu à la radio et à la télé pour lancer une mise en garde : « Là est la mosquée et là est le bar, que chacun aille où il veut… »

En ce temps, l’Algérie vivait sous le règne du front de libération national (FLN), parti unique. Le front est né avant la guerre d’Algérie pour rassembler tous les algériens quelque soit leur couleur politique. Cela ne posait aucun problème puisqu’ils avaient tous le même idéal : Libérer le pays. A l’indépendance, des leaders qui se sont démarquées pour créer leurs propres partis ont étés emprisonnés ou partis en exil. Au sein du FLN donc, cohabitaient conservateurs, islamo conservateurs, libéraux, socialistes, communistes… Tout se faisait avec un consensus de façade. Cependant, un autre parti, communiste, un vieux parti (Le PAGS) qui activait soi-disant dans la clandestinité était toléré par Boumediene. C’était un contre poids aux forces islamo conservatrices. Ce qui s’est passé à la fac de droit en est l’illustration parfaite. Un autre mouvement diamétralement opposé, était celui des Uléma (Les savants théologiens). Ce mouvement qui existait déjà durant la colonisation agissait dans l’ombre, certains des membres étaient au FLN, d’autres au conseil supérieur islamique… Ce mouvement, se contentait durant la colonisation de réclamer la liberté de culte pour les musulmans, une place pour l’islam dans une Algérie Française. Après la guerre, ce mouvement n’était pas satisfait de la place de la religion dans la société Algérienne.

A partir de la fin des années 70, après la mort énigmatique de Boumediene, les choses ont pris une autre tournure. Les conservateurs du FLN aidés par des forces occultes profitant de la naïveté du nouveau président (Chadli), allaient mettre l’Algérie sur un autre cap. Ils se sont d’abord attelés à écarter les communistes du FLN et de toutes les sphères du pouvoir. Une véritable campagne francophobe a été menée au point ou tous ceux qui n’étaient pas comme eux étaient taxés de « Hizb França » (Le parti de la France), donc traîtres. L’arabisation totale de l’enseignement fut lancée en grandes pompes avec la mise en place de l’école fondamentale que certains qualifieront plus tard de fondamentaliste. Il fallait faire vite pour que cela devienne irréversible, car ils avaient une peur bleue des Berbéristes généralement francophones. Une véritable « chasse aux sorcières » fut menée visant tous les francophones. Ils furent écartés des postes à responsabilités et les enseignants ont étés sommés de s’arabiser. Le leitmotiv était clair : arabiser à tout prix même si les cadres arabophones étaient inexistants. Mais la parade a été trouvée même si c’était un véritable suicide. On a fait appel aux gens qui ont étudiés dans les zaouïas (écoles coraniques) durant la colonisation. Ces études consistaient surtout à enseigner le coran et la langue arabe, sans aucun diplôme de référence. A l’indépendance ils ont étés recrutés pour enseigner l’arabe dans les écoles. Il y avait aussi ceux qui revenaient du Moyen-Orient à la fin de la guerre et bien imprégnés d’arabisme. Des gens ont étés envoyés au Moyen-Orient mais souvent rapatriés avant terme par nécessité de service. Tous les cadres francophones de l’éducation ont étés remplacés par ces gens qui n’avaient de mérite que l’usage de la langue arabe.

A l’université d’Alger une formation express de psychopédagogues arabisants et triés sur le volet fut lancée. Il y’en avait qui n’étaient même pas bacheliers et se sont retrouvés licenciés (la licence des quatre jeudis). Ils ont étés affectés dans les établissements de formation des enseignants (ITE) pour former des comme eux. Tous ceux que j’ai croisés étaient des islamo-conservateurs. En fait, tous les ingrédients étaient réunis pour arriver à leurs fins. Dans la nouvelle école, la référence aux religieux était omniprésente. Cette école a durant des années accouchée de milliers de jeunes qui n’avaient de repères que la religion. Ils allaient devenir un véritable terreau pour l’islam politique, des jeunes prêts à tout au nom de dieu et de l’islam. Tout ce qui est arrivé dix ans plus tard est dans la logique des choses : Qui sème le vent récolte la tempête.

Pendant ce temps en Kabylie, à la fin des années 70, le préfet a décrété la prohibition de l’alcool. Ce qui a été considéré comme une tentative d’islamisation avant l’heure et si ça marche en Kabylie c’est gagné. Seulement tous ces événements qui tendaient à occulter définitivement l’histoire millénaire de l’Algérie pour la confiner seulement dans sa dimension arabo-islamique ont ravivé une vieille revendication, celle de l’identité Berbère. Profitant de l’interdiction d’une conférence sur la langue Berbère que devait donner l’écrivain Mouloud Mammeri à l’université de Tizi Ouzou, les étudiants ont envahis les rues pour protester. Cette manifestation a été violement réprimée par les forces de l’ordre ce qui a déclanché l’ire de toute la population kabyle. En ce printemps 1980, toute la Kabylie s’est dressée et affluait vers Tizi Ouzou. Les émeutes ont duré plusieurs jours, le mouvement s’est propagé dans le reste de la Kabylie (béjaïa et Bouira). Les étudiants surpris dans leur sommeil à 4h du matin ont été tabassés et dépouillés par des militaires accompagnés de chiens. Des leaders du mouvement ont été arrêtés et emprisonnés près de Médéa. Pour la première fois, le pouvoir central a été secoué et ne serait ce la sagesse de certains, au niveau du pouvoir la répression aurait été dramatique. Même Kadafi, le libyen, s’est mêlé et s’est étonné qu’on n’ai pas écrasé ces kabyles qui dérangeaient tous les tenants de l’arabisme.

Soucieux de préserver cette dynamique née de ces manifestations, un mouvement a été crée, le MCB (Mouvement Culturel Berbère). Alors que l’interdiction de l’alcool dans la région a été levée pour calmer les esprits, le préfet à l’origine de la prohibition est nommé, tenez-vous bien, ministre de l’éducation pour mener à bon port l’école fondamentale. Le MCB allait être le salut de la Kabylie. Depuis, à chaque anniversaire du printemps Berbère (20 avril) sont organisés des marches, manifestations et grèves générales. Il fallait maintenir la pression sur le pouvoir pour arriver à la reconnaissance officielle de la langue et la culture Berbère, par opposition au projet de société Arabo-islamique qui se dessinait et dans lequel les Kabyles ne se reconnaissent pas. A cela, il faut ajouter le rôle joué par certains chanteurs engagés et qui ont d’ailleurs eu des démêlés avec le pouvoir et une interdiction d’antenne (Radio et télé). A travers leurs textes, ils montraient la voix, celle de nos ancêtres pour lesquels la religion n’a jamais été un sujet de discorde mais une source de tolérance. Il est vrai qu’en ce temps, les gens n’affichaient pas leurs croyances, pas de signes ostentatoires, c’était du domaine privé. Personne n’osait suggérer à l’autre, même de père et mère à enfants, la pratique. La religion était évacuée du débat public, des conversations. Même les chrétiens de Kabylie ne s’affichaient pas car étant minoritaires, ils craignaient peut-être, d’être montrés du doigt.

En Kabylie l’école fondamentale était également appliquée mais n’avait pas d’impact sur le plan religieux. L’encadrement majoritairement francophone d’origine et les parents, ne véhiculaient pas ces idées religieusement rétrogrades. Dix ans après la disparition de Boumediene, octobre 1988, Alger a connu ses premières émeutes, des émeutes d’envergure. Les émeutiers majoritairement jeunes étaient les premières fournées de l’école fondamentale. Mais voila, ces émeutes ont pris une autre tournure. Des têtes islamistes, qui activaient dans l’ombre, attendant leur heure, tentaient de manipuler ces jeunes pour récupérer la protesta à leur compte. Des slogans islamistes étaient scandés. Forts de cette jeunesse, les islamistes devenaient de plus en plus bruyants, de plus en plus présents. A la faveur de la nouvelle loi de 1989 sur les associations à caractères politiques, ils ont crée des partis qui ont été agrées bien que cette même loi interdit l’utilisation de la religion à des fins partisanes. Les émeutes d’Alger qui ont fait quelque peu tache d’huile dans d’autres grandes villes d’Algérie, n’ont nullement ébranlé la Kabylie. Les kabyles ne s’étaient pas sentis concernés et reprochaient aux autres de ne pas avoir bougé avec eux en avril 80.

Pendant que le vent de l’islamisme soufflait sur toute l’Algérie, la Kabylie allait être un rempart infranchissable. Les islamistes tenteront bien quelques incursions en exploitant par exemple le sentiment religieux de certains marabouts conservateurs. N’oublions pas que bons nombres de leaders du FIS sont marabouts, originaires de la région. N’est ce pas aussi un préfet marabout qui a prohibé l’alcool en Kabylie ? Ce même préfet n’a-t-il pas été appelé pour appliquer la réforme de l’école ? C’est dans des foyers maraboutiques que sont apparus pour la première fois les foulards islamiques et même les hidjabs. Mais la tentative de séduire la Kabylie a échouée : Les élections locales de 89 et les législatives de 91 ont été un cinglant échec et un désaveu de l’islamisme en Kabylie alors qu’ailleurs les islamistes remportent tout. Cette victoire écrasante était peut-être souhaitée par certaines sphères du pouvoir, étant donné le laxisme dont ont fait preuve les autorités devant la pression et les intimidations qu’ont subi les électeurs. Des spécialistes reconnaîtront plus tard que si la Kabylie avait cautionné le FIS, la donne aurait été tout autre. Les résultats de ces élections inquiétaient beaucoup les Kabyles. Pour eux, c’était leur existence même qui était en danger. En 1990, par exemple, le FIS, fort de sa victoire hors Kabylie, voulait s’y implanter. Je sais que la population d’un important village, a eu vent de la venue d’une délégation du FIS, pour l’implantation d’une cellule du parti. Le jour venu, un Vendredi exactement, pour profiter de la prière, des membres de ce parti étaient là. Ils étaient agréablement surpris de la foule des grands jours qui les attendait devant la mosquée, mais ils ont vite fait de déchanter quand on leur a signifié d’aller voir ailleurs : La mosquée est un lieu de culte pour tous les fidèles quelle que soit leur couleur politique. Donc, pas d’activité partisane. Ils ont été invités, par ailleurs, à chercher une salle, ce qui ne les intéressait pas, de crainte de se retrouver seuls. Dans ce village, l’islam politique n’a pas de place et aucun parti islamiste n’y est implanté. Mais l’inquiétude de la population kabyle s’est manifestée en se démarquant nettement et en organisant des marches populaires à Tizi, Béjaïa et Bouira, initiées par le MCB et où des slogans anti-islamistes, républicains étaient scandés. La marche la plus gigantesque a été celle initiée par le FFS (Front des forces socialistes) et qui a drainé des millions de personnes à Alger, en 1992 et dont le slogan principal était : Ni état policier, ni état intégriste. S’en est suivi une série de marches à Alger dont celle grandiose des femmes. Toutes ces manifestations avaient pour but d’empêcher la prise du pouvoir législatif par les intégristes. Chadli « démissionna », le 2e tour des élections législatives a été annulé, on rappela Boudiaf pour prendre la présidence qui dès son arrivée a dissout le FIS.

La violence des islamistes s’était déjà manifestée bien avant, surtout à l’encontre des femmes qu’on arrosait d’acide. La république islamique devait pour eux être proclamée de fait et même s’ils avaient perdu les élections, ils n’auraient pas accepté ce verdict. Pour eux les élections n’étaient qu’une formalité. L’Algérie entra donc dans cette guerre fratricide de plus d’une décennie. Le bilan est lourd. Des milliers d’algériennes et d’algériens assassinés, disparus, exilés… Les dégâts matériels considérables et surtout un traumatisme que personne à ce jour n’a évalué. Le port du foulard et du hidjab s’est généralisé car les femmes craignaient les représailles.

Pendant ce temps, la Kabylie était bizarrement épargnée même si à Azzefoun par exemple, les habitants d’Igoudjal ont du s’armer, s’organiser pour faire face aux représailles d’islamistes armés. A Tizi Ouzou, des gens continuaient à fumer, manger en publique dans certains endroits durant le mois de carême, certains restaurants servaient rideau baissé bien sur. Durant cette décennie, la presque totalité des débits de boissons alcoolisées a fermé sous les menaces des islamistes alors qu’en Kabylie, ils n’ont pas cessé de se multiplier même si quelques cas isolés de sabotages ou intimidations ont été enregistrés. Paradoxalement, en Kabylie, c’est à la fin des années 90, au moment où les islamistes perdaient qu’est apparu le foulard islamique chez les jeunes, que les mosquées commençaient à faire le plein et à accueillir même des femmes dans des annexes spéciales qui ont vu le jour. D’autre part, sont apparus les premiers enfants des mosquées. Mais c’est à partir de 2000, à la faveur de l’essoufflement du MCB et de la réconciliation nationale, qu’on peut croiser un plus grand nombre de barbus (Des « repentis » surtout), de femmes voilées et même quelque fois des toutes petites filles en foulards islamiques (en nombre vraiment insignifiant). Les mosquées sont bondées de fidèles hommes, femmes et enfants lors de la prière du vendredi. J’ai l’impression que parmi ceux et celles qui vont à la mosquée et portent le foulard, pour beaucoup c’est une autre façon d’être, une mode quoi, plutôt qu’un acte de foi. Il n’y a qu’à voir toutes les sortes de foulards et toutes les façons de les mettre.

Entre temps, en Kabylie, le nombre de chrétiens n’a pas cessé d’augmenter. Pour l’instant ils pratiquent leur religion dans la discrétion, sans s’afficher, même si la constitution algérienne garantit la liberté de culte. Je sais par exemple que mon village natal, compte pas moins de 200 chrétiens et qu’ils envisagent même de demander un bout de terrain pour construire une église. Aujourd’hui, il n’existe pas un village Kabyle qui ne renferme pas de chrétiens. Si cette tendance se confirme, il faudra bien se rendre à l’évidence. Cette communauté, forte de la constitution compte sortir de l’anonymat, afficher ses croyances sans être montrée du doigt, sans être traitée « d’enfant des pères blancs ». Quant à moi, je dirais gare à l’unicité qui n’admet pas la différence et donne naissance à l’intolérance. Celle-ci, progressivement et fatalement, touchera à l’ensemble des domaines de la vie sociale, créer des comportements normalisés, conformistes et réduire à néant les libertés individuelles. Malgré tout, je pense que la Kabylie reste peu pratiquante, en tout cas pas fanatique. Il est vrai que les gens ont tendance à s’alarmer devant l’augmentation du port du foulard, de la fréquentation des mosquées… etc. Mais quand on sait ce qui s’est passé et se passe ailleurs, il y’a de quoi. Le conformisme est devenu la règle et j’ai croisé des femmes gênées de sortir sans foulard. Il s’agit de liberté durement acquise et qu’il faut défendre. Là bas, en 40 ans ils sont passé d’un islam ancestral, algérien à un islam new look, importé d’ailleurs, qu’ils prétendent vrai. Cela m’amène à poser un certain nombre de questions : L’islam pratiqué durant 15 siècles est-il devenu faux ou est-ce parce que 15 siècles après les musulmans se cherchent encore et que l’heure est aux errements ? N’est ce pas cet état d’esprit qui anime les musulmans qu’exploitent certains illuminés pour embrigader et imposer leur point de vue même par la violence ? L’heure est elle à une meilleure compréhension et interprétation du coran adaptée au troisième millénaire puisque le livre sacré est, dit-on, valable en tout temps et en tout lieu ? C’est ce que chuchotent en tout cas certains théologiens, à contre courant, soucieux d’une cohabitation dans l’harmonie et la tolérance. Le salut de l’islam viendra t-il de ces réformateurs qui n’osent pas encore élever la voix parce que minoritaires ?

Par MUS. pour La-Kabylie.Com


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