5 mai 1947, les ministres communistes sont exclus du gouvernement

jeudi 30 octobre 2008.
 

On compte 3 millions de grévistes durant l’année 1947. Lancé fin avril à la régie Renault, le mouvement de grève s’étend à différents secteurs. Après l’éviction des ministres communistes du gouvernement Ramadier, la répression s’abat.

Le 5 mai 1947, après dix-huit mois d’invention sociale qui ont forgé l’identité française, les ministres communistes sont exclus du gouvernement. Dès novembre 1945 et l’application des grandes conquêtes telles la Sécurité sociale, les nationalisations, les fortes avancées en matière de conditions de travail et de prestations familiales, le patronat n’a cessé de retarder et de saboter l’application du programme du CNR. Les tensions déjà vives s’accélèrent au sein du gouvernement dès l’aube de 1946. Droite et socialistes remettent en cause les statuts des mineurs, des gaziers et électriciens, des cheminots et des travailleurs de Renault. Ils entament la guerre d’Indochine, abandonnent les demandes de réparations à l’Allemagne pour les dommages de guerre.

Les dissensions se font de plus en plus lourdes, notamment à propos du blocage des salaires et de la flambée des prix. Le motif avancé est la solidarité trop voyante des communistes aux revendications des ouvriers de Renault. François Billoux, ministre communiste de la Défense nationale, y voit une autre explication  : «  Ce n’était là qu’un prétexte. La raison réelle était plus grave. L’éviction des communistes marqua le tournant vers une politique de guerre froide à l’extérieur et d’abandon de la démocratie à l’intérieur. Ce que les Américains n’avaient pu obtenir à la Libération, ils l’obtenaient du gouvernement Ramadier. Les divergences découlaient de l’opposition irréductible entre les intérêts des travailleurs et ceux des capitalistes. De ce fait, la tâche de nos ministres devenait de plus en plus difficile (…). Pour en finir avec la politique sociale à l’intérieur et la politique étrangère d’entente sur la base de l’indépendance, il fallait écarter les communistes. Ce fut sur injonction américaine qu’ils furent exclus en France, en Italie, en Belgique et au Luxembourg…  » Le rédacteur en chef du Monde, Jacques Fauvet, confirmera plus tard l’analyse, en évoquant que l’aide accordée par les États-Unis aux pays d’Europe occidentale «  supposait que ces pays s’aident eux-mêmes en se débarrassant des communistes  »  !

Dans l’Union des métallurgistes d’août 1947, un responsable CGT de Lorraine analysait ainsi la situation  : «  Avec le départ des ministres communistes, s’achevait non seulement une longue période d’innovation sociale, mais s’effondrait également le rempart qui protégeait contre la revanche patronale et les attaques contre les acquis que le peuple de la libération avait inventés…  »

Révocations, suspensions et déplacements forcés de «  gueules noires  » au menu de la répression

Dès juin, la situation économique s’aggrave. Alors que, avec la reconstruction du pays, les profits des entreprises quintuplent, une inflation de plus de 60 % fait grimper les prix et ronge un pouvoir d’achat pourtant fortement stimulé par les hausses de salaire et des prestations familiales dues aux lois Croizat de 1946. Partout monte la colère contre la vie chère et les blocages de salaires. La grève de Renault d’avril fait contagion, s’étend massivement aux usines Citroën, Berliet, Peugeot, puis aux grands magasins et à EDF. L’acmé est atteinte avec les grèves de Marseille le 12 novembre, où 4 000 militants investissent l’hôtel de ville et le palais de justice. Le 17, la grève gagne les carreaux des mines, qui protestent contre la révocation de Léon Delfosse, président communiste des Charbonnages du bassin houiller du Nord. Le 18 novembre, les chaînes de Renault et de Citroën font écho au conflit et s’arrêtent, le mouvement touche l’éducation nationale, le BTP, les dockers, la fonction publique. Le 29, 30 000 grévistes, mineurs, cheminots et ouvriers du textile manifestent à Saint-Étienne. Ils affrontent les CRS envoyés par le ministre de l’Intérieur socialiste, Jules Moch, qui n’hésite pas à faire appel à l’armée pour briser les grèves. Tandis qu’on relève plus de 100 blessés, une répression inouïe s’abat sur la classe ouvrière. Plus de 100 révocations, 1 000 suspensions et 500 déplacements forcés de «  gueules noires  ».

Au seuil de l’année 1948, qui s’annonce tout aussi noire et répressive, Ambroise Croizat écrit, en décembre 1947  : «  Nous saluons les vaillants combattants de la métallurgie de la région parisienne, de Marseille, de la Loire, de Longwy, ceux qui ont participé aux 1 300 grèves et qui ont mené pendant des semaines ce dur combat, à la fois contre le patronat et le gouvernement qui avaient mobilisé toutes leurs forces, la radio, la presse. Ce gouvernement n’a pas hésité à faire tirer sur les grévistes, à employer des gaz lacrymogènes, à mettre tout en œuvre pour venir à bout de la résistance ouvrière. On a utilisé des mesures répressives et spéculé sur la misère et la faim des valeureux militants. Si Hitler n’a pas réussi à mater le peuple, ce n’est pas Jules Moch et ses sbires qui y parviendront.  »

Michel Etiévent


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