Pour Michel Warschawski (animateur de la gauche altermondialiste israélienne), Mahmoud Abbas (président palestinien) n’est plus que le Pétain d’Israël

lundi 3 mars 2008.
 

Soutenir l’Autorité palestinienne ?

Michel Warschawski, fondateur du Centre d’information alternative (AIC) en Israël, décrit un saut qualitatif dans la nature politique de la direction de l’Autorité palestinienne.

Samedi 12 janvier, les forces de police palestiniennes agressaient violemment les manifestants qui protestaient pacifiquement contre la venue de George W. Bush à Ramallah, en Cisjordanie. Plusieurs membres importants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) firent partie des manifestants molestés. Il n’est guère surprenant que le président américain n’ait pas été bien accueilli par la société palestinienne car, depuis des années, Bush se comporte en ennemi, soutenant les initiatives israéliennes les plus agressives et s’opposant ouvertement à l’application du droit international concernant l’illégitimité de l’occupation et de la colonisation israéliennes. Pour Bush, la Palestine appartient à l’axe du mal et elle doit être traitée en conséquence. L’incident de Ramallah ne constitue pas la première réaction violente contre des manifestants palestiniens pacifiques contestant la politique de leur direction, mais il est révélateur d’un tournant qualitatif dans la position politique de l’Autorité palestinienne.

Rupture

Depuis l’accord d’Oslo1, l’Autorité palestinienne, sous la direction de Yasser Arafat, a combiné la poursuite du combat de libération nationale avec une politique de compromis avec l’occupation israélienne. Ces compromis ont souvent soulevé une opposition populaire, mais ils n’ont jamais été perçus comme une trahison à l’égard du combat national. Les initiatives diplomatiques de la direction de l’OLP n’ont pas toujours reçu un soutien unanime, mais elles étaient considérées comme s’inscrivant dans l’aspiration nationale à la liberté et à un État. Comme la direction politique de l’Autorité palestinienne, les forces de police palestiniennes étaient composées d’anciens combattants de la libération et considéraient leur mission comme le prolongement du combat pour libérer le peuple palestinien de l’occupation israélienne.

La mort suspecte de Yasser Arafat, en novembre 2004, et son remplacement par Mahmoud Abbas (Abou Mazen) marquent la fin de tout un chapitre de l’histoire du mouvement de libération palestinien et une autonomisation de l’Autorité palestinienne par rapport à l’OLP. Depuis le limogeage du gouvernement d’unité nationale palestinien2 et la séparation forcée de la Cisjordanie et de la bande de Gaza - menés tous les deux avec l’encouragement des Américains -, l’Autorité palestinienne n’est plus l’expression ni de l’OLP, ni du choix démocratique de la population palestinienne. Aussi dur que cela puisse paraître, le gouvernement et l’administration palestiniens sont aujourd’hui des outils américano-israéliens dépourvus de toute légitimité palestinienne - sauf Mahmoud Abbas, qui est un président élu.

Ce changement qualitatif affecte chaque niveau de l’Autorité palestinienne : le Premier ministre, Salam Fayyad, a été imposé par l’administration américaine et le Fonds monétaire international. Il n’a jamais été membre du Fatah et son premier geste a été de licencier des milliers de militants de l’OLP de l’administration de l’Autorité palestinienne, les remplaçant par des technocrates n’ayant aucun passé dans le mouvement national. Sous la direction du général américain Keith Dayton, qui joue le rôle de proconsul à Ramallah, sa première mission consiste à « reconstruire » une police palestinienne forte, après avoir obligé la vieille garde à démissionner. Ces nouvelles forces de police ont été formées en Égypte et n’ont aucun lien avec les vieilles organisations nationales de guérilla. Elles sont composées de mercenaires sans conscience ni tradition nationales, prêts à exécuter n’importe quel ordre venant de leurs supérieurs.

Il y a quelques semaines, la télévision israélienne a diffusé un reportage sur ces nouvelles forces de police palestiniennes. Dans la première partie, on montrait des stagiaires en train d’apprendre... l’hébreu (« pour pouvoir communiquer avec leurs collèges israéliens », expliquait l’un d’entre eux). Dans la seconde partie, on les montrait en action, s’en prenant violemment à un membre supposé du Hamas, gérant d’une librairie. Dans la troisième, on voyait l’« interrogatoire » de ce vieux libraire, imitation pathétique d’un interrogatoire de l’ISS3. Il n’est guère surprenant, qu’avec un tel programme, le journaliste israélien ait trouvé très sympathique cette police palestinienne rénovée.

Défi

Le moment est venu de qualifier la situation par son véritable nom : il s’agit d’une domination néocoloniale exercée via une administration autochtone composée de collaborateurs, recevant ses ordres et son armement de Washington et de Tel-Aviv. Lorsque qu’Edward Saïd4 a traité Yasser Arafat de « Pétain » et l’Autorité palestinienne de « collaborateurs », j’ai eu un long entretien avec lui, et je pense l’avoir convaincu que ces dénominations n’étaient pas pertinentes. Le refus d’Arafat de se plier au diktat d’Ehud Barak à Camp David et son emprisonnement dans la Mouqata5 ont confirmé qu’il n’était pas un « Pétain ». Malheureusement, ce qui n’était pas vrai pour Yasser Arafat l’est aujourd’hui pour la nouvelle direction palestinienne, devenue un instrument au service de l’occupation et de la colonisation israéliennes, n’ayant plus aucun compte à rendre au peuple palestinien et à ses organisations nationales.

C’est un tournant capital et cela devrait être une préoccupation majeure de la société civile palestinienne et des mouvements nationaux. Les stratégies d’hier ne sont plus pertinentes : la situation politique ressemble de moins en moins à celle de l’Algérie et de plus en plus à celle de l’Afrique du Sud. Pour les années à venir, le principal défi va être d’adapter les objectifs politiques et le calendrier à cette nouvelle réalité6.

Michel Warschawski

Notes

1. L’accord de Washington, ou accord d’Oslo, négocié par Mahmoud Abbas et Shimon Peres, a été signé à Washington, le 13 septembre 1993. Il s’engageait à l’autonomie palestinienne. Depuis, Israël a annexé une grande partie de la Cisjordanie et Jérusalem, avec la construction de colonies et du fameux mur.

2. Après avoir subi une défaite importante aux élections législatives du 25 janvier 2006 face au Hamas (45 sièges pour le Fatah et 74 pour le Hamas), le Fatah, principale composante de l’OLP, avait fini par accepter de participer à un gouvernement d’union nationale.

3. Services de sécurité israéliens.

4. Edward W. Saïd est décédé en septembre 2003. Intellectuel palestinien de nationalité américaine, profondément engagé dans la cause palestinienne, il ne masquait cependant pas ses désaccords avec la direction de l’OLP. Lire son ouvrage D’Oslo à l’Irak, Fayard, 22 euros.

5. Quartier général des hautes instances palestiniennes à Ramallah, en Cisjordanie.

6. Texte publié sur le site Internet du Centre d’information alternative.


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