Les paradis fiscaux, péché originel de la finance mondiale (hebdo des socialistes)

dimanche 26 octobre 2008.
 

Dix-sept pays réunis à Paris, le 21 octobre, ont demandé à l’OCDE de « réactualiser » d’ici mi-2009 sa « liste noire » des paradis fiscaux non-coopératifs. Quelques jours avant, François Fillon avait appelé à leur « disparition » dans le cadre de la refondation du système financier international. Bref, le gouvernement s’agite. Mais de quoi parle-t-il exactement ? Retour avec Vincent Peillon et Elisabeth Guigou, sur ces territoires qui abritent le gratin de la délinquance fiscale.

Qu’est-ce qu’un paradis fiscal ?

Les paradis fiscaux ne sont pas une nouveauté puisque 2000 ans avant J-C., les premiers commerçants grecs envoyaient déjà des émissaires dans certains ports afin que vendeurs et acheteurs se retrouvent à un point convenu pour transborder la marchandise et échapper ainsi aux taxes portuaires déjà existantes (on parlerait aujourd’hui d’opérations offshore).

Pour l’euro-député Vincent Peillon, ancien rapporteur de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le blanchiment, ce qu’on appelle communément « paradis fiscal » est en fait un paradis fiscal, bancaire et judiciaire. Ce sont des territoires qui cumulent un certain nombre de critères. D’abord, une basse pression fiscale, voire une fiscalité inexistante qui permet d’attirer les capitaux. Ensuite, un secret bancaire absolu qui permet, une fois les capitaux attirés, de les protéger.

De plus, très souvent,des sociétés écrans empêchent de remonter aux ayants droits économiques, à savoir la personne qui se cache derrière cette société. Et enfin,ce qui prouve là encore la cohérence de ce système, au cas où dans d’autres pays des procédures judicaires seraient engagées pour remonter jusqu’aux personnes coupables d’évasion fiscale, ce sont des territoires qui pratiquent très peu la coopération policière, administrative et judicaire. Les juges n’ont donc jamais de réponse à leur droit d’information.

Les paradis fiscaux en chiffres

Les chiffres varient selon les institutions. Pour l’OCDE, une quarantaine de pays sont considérés comme des paradis fiscaux dans le monde, dont plus de la moitié en Europe. L’ONG Transparence International France en dénombre une « cinquantaine », dans lesquels « plus de 400 banques, deux tiers des 2 000 « hedge funds » (fonds spéculatifs) et deux millions environ de sociétés écrans » gèreraient « 10 000 milliards de dollars d’actif estimation a été faite de ce que cela coûtait au fisc français : a minima, la France perdrait 40 à 50 milliards de recettes par an, soit un peu plus que le déficit budgétaire de l’hexagone.

Des structures internationales limitées

La lutte contre la délinquance internationale suppose des actions coordonnées. Pour la première fois,en 1989,a été créé un organisme, à Paris, sous l’impulsion de François Mitterrand, dans le cadre de l’OCDE : le Groupe d’action financière (Gafi), spécialisé dans ces questions de délinquance financière et de blanchiment.

Cet organisme a été chargé d’établir les listes de territoires non coopératifs, et de faire pression sur eux.Mais le Gafi ne dispose pratiquement d’aucun moyen de rétorsion, et procède par l’autorégulation, les pays répondant euxmêmes aux différents questionnaires. Par ailleurs, les réunions du Gafi sont en fait des réunions diplomatiques où les pays négocient et où les décisions sont prises généralement à l’unanimité, donc souvent inopérantes. Vincent Peillon rappelle pourtant qu’il y a eu une impulsion nouvelle, lorsque les sociaux-démocrates étaient plus présents en Europe, à l’époque du gouvernement Jospin. Mais depuis le début des années 2000 les efforts se sont totalement interrompus, et de nombreux territoires non coopératifs ont disparu des listes noires du Gafi, du fait d’une réelle absence de volonté politique.

Comment agir ?

Tout d’abord, il faut rappeler que des outils existent déjà et que Fillon et ses ministres peuvent les utiliser en premier ressort. En effet, le gouvernement Jospin a été extrêmement offensif sur ces questions, comme le rappelle Elisabeth Guigou : « La gauche avait fait voter dans la loi de nouvelle régulation économique un certain nombre d’éléments dont la possibilitéde suspendre des flux financiers avec les paradis fiscaux.

Cette loi existe et pourrait être utilisée par le gouvernement. »Mais L’action politique contre les paradis fiscaux suppose aussi une action européenne. « Pousser nos partenaires à avancer, comme cela a été fait sur lemandat d’arrêt européen, est une nécessité et nous devons multiplier les actions coordonnées pour réduire la part des flux financiers allant vers ces paradis fiscaux », résume pour sa part Vincent Peillon.

Mais au lieu d’agir, la droite gesticule. « Le gouvernement fait un lien direct entre cette crise et la naturemême du système. Ce n’est pas un incident de parcours. Il pose une question systémique mais ses déclarations sont en contradiction totale avec l’action de la droite de ces six dernières années et ne sont sans doute,à ce stade, qu’un objet de communication, commente l’eurodéputé.

La formule de Fillon est àmourir de rire car dire « je vais interdire les paradis fiscaux », c’est sympathique,mais il faudra un peu de temps et beaucoup d’efforts. Je n’ai aucune confiance. Cette posture est de la même nature que le « travailler plus pour gagner plus » : de la comm’. Il faut de la détermination mais aussi être détaché de tous liens avec les intérêts financiers.Toute la carrière de Sarkozy s’est faite grâce à ses liens avec ses « amis du Fouquet’s ».

À un moment ou un autre, il faut être indépendant et je n’ai pas franchement l’impression que ce soit le cas de Nicolas Sarkozy. » Elisabeth Guigou conclut : « Nous avons tant les outils de contrôle financier que les sanctions à notre disposition. Il faut aujourd’hui les renforcer et les mettre en application, autrement dit, donner une force politique durable, et pas simplement communiquer. »

Ariane Vincent


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