Le régime franquiste accusé de crime contre l’humanité

samedi 18 octobre 2008.
 

Un poète, un maître d’école et deux jeunes toréros assassinés un matin d’août 1936 et jetés dans une fosse seront bientôt enterrés dignement. La justice espagnole vient d’ordonner l’ouverture de la fosse où repose le poète Federico Garcia Lorca et de dix-huit autres sépultures de fortune où ont été jetés des milliers de victimes du franquisme.

Pour la première fois, une enquête judiciaire pourrait porter sur les « crimes contre l’humanité » commis par Francisco Franco et son entourage entre 1936 et 1952.

Devenu célèbre mondialement après s’être attaqué au dictateur chilien Pinochet il y a dix ans, le juge Baltasar Garzón a définitivement mis un terme jeudi à des décennies de silence officiel en se déclarant compétent pour enquêter sur au moins 114 266 disparitions forcées pendant la guerre civile espagnole et les première années de régime franquiste.

Il a ainsi ordonné l’exhumation de dix-neuf fosses communes, la création d’une équipe d’investigation et a exigé qu’on lui fournisse des informations sur tous les dirigeants ayant participé au coup d’Etat franquiste en 1936 et les responsables des phalanges espagnoles.

Prenant le contre-pied de la loi d’amnistie de 1977 qui avait institutionnalisé le silence de l’Espagne face à son passé, Garzón écrit dans son procès-verbal, publié jeudi, que « l’Etat ne peut ni ne doit effacer ses propres crimes ni ceux de ses agents quand ils ont été dirigés contre ses propres citoyens », avant d’énumérer les crimes commis à l’époque, « la mort systématique, la disparition forcée de personnes sans donner d’information sur l’endroit où elles se trouvaient, la torture et l’exil forcé, entre autres ».

Le long combat des familles de victimes enfin récompensé

Après des années de combat pour déterrer son grand-père, Dióscoro Galindo, enterré aux côtés de Garcia Lorca, Nieves Galindo expliquait hier au quotidien Público ressentir un mélange de sentiments, une grande joie à l’idée de pouvoir bientôt donner une sépulture digne à l’instituteur mais aussi une grande peine en pensant à son père : « lui est mort avec l’amertume de ne pas avoir pu l’enterrer décemment. »

Quant à l’historien d’origine irlandaise Ian Gibson qui a enquêté dès 1966 pour déterminer le lieu où reposait le poète, il a déclaré jeudi vivre « le jour le plus important » de sa vie, avant de préciser à El Pais qu’il n’assisterait pas à l’exhumation de la fosse : « mon cœur ne me le permettrait pas. »

C’est motivé par la plainte de plusieurs associations de famille de victimes du franquisme que le juge Garzon a commencé à solliciter des informations sur les disparus aux autorités gouvernementales dès juin dernier.

En apprenant qu’il se déclarait compétent pour mener l’enquête, jeudi, le responsable de l’Association pour la Récupération de la Mémoire Historique pour la région de Grenade où est enterré Garcia Lorca, Francisco Gonzalez, s’est déclaré « très heureux » de la décision tout en précisant qu’il attendait des aides officielles pour mener à bien les recherches sur la fosse du poète, un patrimoine national selon lui. La famille Lorca, elle, se divise, certains de ses neveux s’opposant à ce qu’on ouvre la fosse.

La droite espagnole se moque de la procédure judiciaire

Prise de court, la droite espagnole se moquait ouvertement de la procédure, vendredi, car elle implique la nécessité de vérifier les certificats de décès des principaux responsables du gouvernement franquiste et des phalanges pour certifier qu’ils ne sont plus responsables pénalement.

« C’est comme si l’on demandait le certificat de décès de Napoléon » pour l’inculper des crimes commis contre les Espagnols lors de la guerre d’Espagne, a déclaré la présidente de la région de Madrid. Ancien ministre de Franco et président fondateur du parti populaire, Manuel Fraga a lui déclaré vendredi matin que « ressusciter les problèmes du passé » était une « erreur gravissime ». L’Eglise espagnole n’a quant à elle pas encore fourni les informations que la justice lui demande depuis septembre.

Mais plus que l’hostilité d’une partie de la société espagnole face à l’idée de « rouvrir les blessures du passé », c’est peut-être une question juridique qui empêchera le juge Garzón de mener à bien son enquête. Le bureau du procureur estime en effet que ce n’est pas au magistrat mais aux tribunaux locaux et au gouvernement de conduire une enquête sur ces crimes, selon la loi sur la « mémoire historique » adoptées par les députés en octobre 2007 et qui avait alors sonné le début de l’effort de récupération de son passé par l’Espagne.

Par Elodie Cuzin


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