LA GAUCHE ET LE POUVOIR : ELEMENTS DE REFLEXION

mercredi 27 août 2008.
 

Avertissement

Nous n’aimons pas, au Cactus, nous répéter, ce qui fait peut-être partie de notre charme. C’est par exemple pourquoi certains d’entre nous qui avaient signé l’appel de Maintenant à gauche n’ont en général pas récidivé pour l’appel de Politis, qui n’apporte pas grand chose au précédent. Il est possible, aussi, que cette répugnance à la répétition soit une faiblesse. Pierre Mauroy, socialiste « à l’ancienne », ce qui n’est pas un reproche, aime dire, on sent l’instit’ qu’il fut, que la répétition est une vertu pédagogique. Nous tâterons donc, avec modération, de la répétition dans ce qui suit.

La gauche : des valeurs partagées ?

Il est généralement admis que droite et gauche se distinguent par des valeurs différentes. Sur ce terrain-là, entre les différentes familles de le gauche, des convergences devraient être faciles à trouver : outre les trois éléments de notre devise nationale, il y a unanimité pour défendre, aussi, la solidarité, la laïcité, la justice en général, et sociale en particulier, l’intérêt général et le bien commun. Cela paraît si facile qu’il se trouve même, à droite, des laïques sincères, des gens épris de justice, des défenseurs des libertés, et ainsi de suite.

Sur ce qui semble, à première vue, constituer un socle commun, il y a cependant, au sein de la gauche, des clivages non négligeables. Il y a ainsi des conceptions très différentes de la laïcité. Plus important encore, la notion de liberté interroge, notamment quand on aborde les libertés économiques.

Il est enfin, dans le domaine des valeurs, des dissensus : citons ici la compétition. Exemple : « nos universités doivent être compétitives », phrase entendue de plusieurs bouches socialistes. Est-ce vraiment la bonne question ? Le problème n’est-il pas que nos universités (nos hôpitaux, nos transports…) soient excellents ? Pour nous, la réponse est oui, et si quiconque veut en débattre, le bois dont nous nous chauffons est prêt.

On le pressent, les discours généraux (et généreux) sur les valeurs sont sans doute nécessaires, mais ils ont aussi une fonction d’occultation des divergences, qui permet trop souvent d’éviter de les confronter sérieusement, c’est-à-dire de façon argumentée, raisonnée, ce qui n’exclut pas, heureusement, la passion ou l’humour (encore que, pour ce dernier, nous nous sentions, au Cactus, parfois bien seuls).

Les deux questions centrales : le pognon et la culture

Par pognon, nous n’entendons évidemment pas l’âpreté au gain, mais la question de la répartition des richesses. Par culture, nous ne nous limitons pas aux expressions artistiques, qui en sont l’aboutissement (nécessaire) mais à un ensemble incluant l’éducation et les modes de vie.

A notre sens, les questions du pognon (de sa répartition, répétons) et de la culture sont indissociables. C’est en grande partie parce qu’elle n’a va vu cette liaison*, voire qu’elle l’a niée, que la gauche n’a jamais pu prolonger longtemps son maintien au pouvoir. Ajoutons aussi que la question du pognon (de sa répartition, insistons) n’a jamais été traitée que de façon cosmétique.

La question de la répartition des ressources pose celle du contrôle des sources de ressources (l’appareil de production, pour reprendre des mots du bon vieux temps) : comment répartir si on n’a pas de vision claire de ce qui est produit et plus profondément du pourquoi (et pour qui) on produit ? Et bien évidemment celle de l’affectation des ressources entre capital et travail (incluse dans ce dernier la redistribution sociale). L’un des éléments importants du travail en commun des militants de gauche impliqués dans la tentative avortée de candidature « unitaire » à la présidentielle avait été la mise en évidence de l’accroissement important de la rémunération du capital au détriment de celle du travail depuis 25 ans.

Curieusement, pourrait-on penser, cette évidence n’a pas été reprise par le Parti Socialiste (ni par la candidate des Verts). Cette curiosité n’est qu’apparente : remettre en cause le partage entre revenus du capital et revenu du travail, c’est aussi reposer la question du contrôle des moyens de productions, celle du périmètre du service public, celle du contenu de ce qu’on appelle, avec un flou constant, l’intérêt général, celle, finalement, du rôle du marché dans l’économie.

C’est un premier clivage important. Depuis le début des années 1990 (congrès de La Défense), le Parti Socialiste s’est rallié, de moins en moins discrètement, à l’acceptation du rôle dominant du marché, qu’il ne s’agit plus, alors, que de « contrôler » en évitant les « abus ». Cette position, qui va de pair avec une évolution du PS vers une sorte de parti démocrate à l’américaine, a été théorisée vers cette époque par celles et ceux que l’on appelait alors les « transcourants », où se retrouvaient entre autres, avec comme maître à penser Jacques Delors, François Hollande et Ségolène Royal.

Nous considérons que poser le problème en termes de « rôle dominant » est impropre. Il nous paraît indispensable de déterminer avant toute chose quel doit être le périmètre de ce qui ressort de contingences vitales : les biens et services nécessaires à chacun. La liste n’est pas si difficile à faire : en plus des domaines régaliens, un contrôle public (sous forme de services publics, d’entreprises publiques, de concessions dans certains cas), on peut considérer que les citoyens ont droit à la santé, à l’éducation et à la culture (tiens, la revoilà, et ce n’est pas fini), aux communications (courriers, téléphonie, courriels, transports collectifs), aux services financiers, au logement, à l’emploi, à la sécurité alimentaire, à l’énergie, à l’eau. Dans tous ces domaines, un rôle « dominant » du marché nous paraît aberrant si on est un tant soit peu attaché à une juste répartition des ressources.

De même, il n’est pas admissible que les écarts de rémunérations se soient accrus systématiquement, et bien au-delà du raisonnable. Le discours, parfois admis par une partie de la gauche, selon lequel de très hautes rémunérations sont nécessaires si on veut conserver en France des talents « performants » n’est pas recevable. Les « parachutes dorés » de dirigeants incompétents en sont une preuve par l’absurde. Dans un domaine comme celui de la santé, la lente dégradation du service public au bénéfice des réseaux privés a comme corollaire un nombre croissant de médecins embrassant la carrière davantage par souci de lucre que par fidélité au serment d’Hippocrate. Récemment, Elie Arié, lui-même médecin, rappelait une phrase attribuée à François Mitterrand au crépuscule de sa mandature : « Je n’ai qu’un regret : ne pas avoir nationalisé la médecine ». Il eût pu en avoir d’autres, mais ne chipotons pas.

Délimiter le rôle du marché, redéfinir les critères de rémunération ne sont pas des chantiers insurmontables : des outils législatifs, fiscaux peuvent être mis en place. Car un projet de gauche ne peut être fondé sur l’acceptation du primat de l’enrichissement personnel. A ce sujet, la gauche a trop facilement centré ses revendications sur le seul problème du salaire, et beaucoup moins sur celui du coût de la vie. Il est plus aisé, et apparemment plus gratifiant, de parler de « pouvoir d’achat ». Comme le résumait à sa manière João Silveirinho : « Je n’ai pas besoin de gagner beaucoup si je ne paie rien ». Il ne s’agit bien entendu pas d’une version modernisée du rasage gratis, mais d’une charge contre le rentes qui se sont peu à peu créées ou recréées, et qui grèvent lourdement le coût des biens et des services, y compris certains de première nécessité (logement par exemple). Contrairement à ce que prétendent les libéraux (et les socio-libéraux), le marché n’est pas un outil efficace contre la rente, il l’engraisse.

A partir du moment où la course à l’argent n’est plus le moteur « dominant » de la société, la culture, au sens large que nous avons proposé plus haut, prend toute son importance : enrichissez-vous, surtout culturellement. Nous sommes gramsciens dans ce sens : une hégémonie culturelle est nécessaire pour une gauche aspirant à un pouvoir pérenne (pérenne ne veut pas dire perpétuel). Pas une hégémonie partisane : l’enjeu est de donner à chacune et chacun les moyens intellectuels et économiques d’assumer pleinement sa citoyenneté. Et ce n’est possible que si la répartition des richesses le permet. Pognon et culture ont bien partie liée, ce qu’il fallait démontrer.

Gauche et pouvoir

Nous ne nous aventurerons que brièvement, dans le cadre de cet article, sur les relations entre la gauche et le pouvoir. L’idée selon laquelle le pouvoir corrompt est encore bien vivante. Admettons que l’exercice du pouvoir suppose des compromis.

Nous nous limiterons a dégager trois attitudes possibles d’une organisation politique par rapport au pouvoir : la volonté de l’exercer, la volonté d’y participer, le refus de s’y compromettre. Cette dernière attitude est caractéristique de la tradition anarchiste, et a fortement marqué les organisations françaises se réclamant du trotskisme, voire de l’écologie politique. Ce n’est que récemment que la LCR a, timidement évoqué la possibilité d’une éventuelle participation en multipliant les conditions préalables. A l’autre bout de l’échelle, le Parti Socialiste a (presque) toujours eu la volonté de l’exercer, et y est parvenu à quelques reprises, ou à défaut d’y participer (souvent sous la troisième et quatrième république). La famille radicale, longtemps centrale dans la vie politique française, a du revoir ses ambitions à la baisse et se livre plutôt, selon les circonstances, à une course à quelques maroquins. Il en va de même des Verts. Le Parti Communiste a pu (peut-être ? sans doute ?) envisager, en de rares circonstances, lorsque certaines des fameuses « conditions objectives » semblaient être réunies (1936 ? 1948 ? 1968 ?), l’exercice du pouvoir, mais s’est contenté d’un soutien (Front populaire) ou d’une participation (1981-83, 1998-2002 en portion congrue). Les perspectives apparemment ouvertes par la victoire du non au référendum européen de 2005 se son refermées avec le fracas que l’on sait.

Aujourd’hui, à gauche, les perspectives d’exercice de pouvoir ne sont envisageables que pour le Parti Socialiste, tant que les partis qui se situent à sa gauche ne seront pas capables de s’unir, au moins partiellement.

Valeurs, projet, programme, conditions nécessaires, mais pas suffisantes

Partager, à gauche, des valeurs, est nécessaire, et possible, quoique pas si facile, si des débats sérieux ont lieu. Définir un projet, ou deux (un social-démocrate, un socialiste au sens marxien du terme) est nécessaire, et possible, surtout s’il y en a deux. Il y faut néanmoins un travail de fond. Présenter un programme (ou deux) est nécessaire et possible (et pas très difficile).

Mais cela ne suffit pas. La gauche (et surtout la gauche de la gauche) doit prendre en compte les conditions objectives, pour le coup sans guillemets, de l’accession au pouvoir. Nous avons pu le constater lors des présidentielles de 2007 : trois des candidats (O. Besancenot, J. Bové, M.G. Buffet) étaient, théoriquement, pour la suppression de l’élection au suffrage universel du président de la République. Message « oublié » pendant la campagne. Nous ne le leur reprocherons pas : comment le faire passer quand on est candidat… au suffrage universel. Le présidentialisme de fait du régime, le système électoral parlementaire doivent être réformés, nous en convenons et le souhaitons. En attendant, ils existent. Et ils se combinent avec une forte prégnance des médias sur l’opinion. Si des efforts militants déterminés permettent encore de gagner une élection locale, ou un referendum (où les équations personnelles sont moins déterminantes), il n’en va plus de même pour l’élection clé (merci Jospin) qu’est l’élection présidentielle, qui exige une forte personnalisation de la candidature. Cela choque de plein fouet une partie de la culture de gauche, qui se refuse, non sans raison, à la notion de femme ou d’homme « providentiel ». Sans tomber dans ce travers, un-e candidat-e crédible à cette élection doit disposer d’une forte notoriété, d’un fort charisme. Cela se travaille, se prépare, et longtemps à l’avance.

Cela ne dispense pas de porter un projet. On l’a constaté dans le cas de Ségolène Royal, dont le charisme était sans doute discutable mais qui bénéficia de très fortes sympathies médiatiques et d’un réseau militant non négligeable : l’absence (ou la faiblesse si on est gentil) de projet lui a été fatale. Encore faut-il que le projet réponde aux préoccupations d’une majorité de nos concitoyens : on retrouve là nos deux éléments clés : le pognon (sa répartition, si vous avez oublié) et la culture.

Jean-Luc Gonneau


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