15 décembre 1941 Gabriel Péri et Lucien Sampaix, livrés par Vichy à la gestapo, sont exécutés par les nazis

lundi 15 décembre 2014.
 

Le 15 décembre 1941, les balles de deux pelotons d’exécution fauchaient deux journalistes de l’Humanité, Gabriel Péri et Lucien Sampaix. Ils mouraient en compagnie de plusieurs dizaines de leurs camarades, otages comme eux après avoir été arrêtés et emprisonnés par les autorités françaises et livrés aux occupants nazis. Moins de deux mois après la fusillade de Châteaubriant, qui vit tomber Guy Môquet, le benjamin des 27 militants communistes et syndicalistes assassinés, les dirigeants hitlériens tentaient par la terreur d’endiguer la résistance armée qui commençait à prendre son essor.

Après un an d’occupation allemande, la sidération qui avait saisi une large part de la population française commençait à céder du terrain devant les premiers gestes de solidarité avec les résistants en dépit d’une intense campagne de propagande les assimilant à des « terroristes ». Le coup de revolver du jeune Fabien sur un officier de la Wehrmacht au métro Barbès avait quelque mois auparavant marqué le début d’une nouvelle étape de la Résistance intérieure, dans laquelle étaient impliqués au premier chef les militants communistes.

Avec la mort de Gabriel Péri et de Lucien Sampaix, l’Humanité, alors clandestine, perdait deux de ses meilleurs journalistes, le premier spécialiste de la politique internationale, célèbre pour ses reportages auprès des républicains assaillis par les franquistes et pour ses commentaires visionnaires sur la lâcheté de la diplomatie européenne face à la montée du nazisme. Le second, militant ouvrier des Ardennes venu au journalisme communiste, subit la répression pour ses enquêtes dénonçant la collusion entre une partie de la bourgeoisie et du monde politique avec le nazisme. À l’heure où les valeurs progressistes et républicaines sont malmenées, où le discours d’extrême droite est banalisé et repris par des voix ministérielles et une partie de l’UMP, Gabriel Péri et Lucien Sampaix restent des références pour l’Humanité d’aujourd’hui et de demain.

Jean-Paul Piérot, L’Humanité

2) Gabriel Péri, Lucien Sampaix. Deux parcours, deux vies et un même engagement

Par Alexandre Courban.

Comme le montrent les historiens Jean-Pierre Besse et Thomas Pouty dans leur ouvrage consacré aux fusillés pendant l’Occupation, les autorités allemandes accentuent la répression à l’encontre de la Résistance au cours du dernier trimestre de l’année 1941, et en particulier à l’encontre des militants communistes, qui multiplient leurs actions depuis la rupture de facto du pacte germano-soviétique, le 22 juin 1941. Au total, ce sont 193 individus qui sont fusillés en zone occupée d’octobre à décembre 1941, au cours de trois vagues d’exécutions massives.

Le 15 décembre 1941, le journal le Matin publie le communiqué suivant  : « Ces dernières semaines, des attentats à la dynamite et au revolver ont été commis contre les soldats de l’armée allemande. Ces attentats ont pour auteurs des éléments, parfois même jeunes, à la solde des Anglo-Saxons, des juifs et des Bolcheviks, et agissant selon des mots d’ordre infâmes de ceux-ci. Des soldats allemands ont été assassinés dans le dos et blessés. En aucun cas les assassins n’ont pu être arrêtés. Pour frapper les véritables auteurs de ces lâches attentats, j’ai ordonné l’exécution des mesures suivantes  :

1. Une amende de 1 milliard de francs est imposée aux juifs des territoires français occupés.

2. Un grand nombre d’éléments criminels judéo-bolchevicks seront déportés aux travaux forcés à l’Est. Outre les mesures qui me paraissent nécessaires selon les cas, d’autres déportations seront envisagées sur une grande échelle, si de nouveaux attentats venaient à être commis.

3. 100 juifs, communistes et anarchistes, qui ont des rapports certains avec les auteurs de ces attentats, seront fusillés. Ces mesures ne frappent point le peuple français, mais uniquement des individus à la solde des ennemis de l’Allemagne, qui veulent précipiter la France dans le malheur et qui ont pour but de saboter la réconciliation entre l’Allemagne et la France. » Signé  : « Der Militärbefelshaber von Stülpnagel, général de l’infanterie ».

En réalité, ils seront exactement quatre-vingt-quinze ce lundi 15 décembre 1941 à être exécutés d’après les travaux de Jean-Pierre Besse et Thomas Pouty. Parmi les otages fusillés, figurent deux journalistes de l’Humanité  : Lucien Sampaix et Gabriel Péri.

Né en 1899, Lucien Sampaix est de trois ans plus âgé que Gabriel Péri, né en 1902. Originaire de Sedan, Lucien Sampaix est le cinquième enfant d’une fratrie qui en compte sept. Son père est ouvrier dans une entreprise de textile de la vallée de l’Ennemane. Syndiqué, il est également lecteur de l’Humanité. Tout autre est l’enfance de Gabriel Péri. Natif de Toulon, il grandit à Marseille, où son père est employé au service de comptabilité de la chambre de commerce de la cité phocéenne, garante des intérêts du patronat.

Après avoir obtenu son certificat d’études primaires, Lucien Sampaix entre en apprentissage en 1911 comme ajusteur mécanicien, à l’âge de douze ans. Cette année-là, Gabriel Péri intègre l’annexe du grand lycée public de Marseille en classe de huitième. Cet établissement scolaire situé dans un quartier résidentiel par excellence accueille principalement des enfants de la grande bourgeoisie, mais aussi quelques-uns des enfants de la petite bourgeoisie, comme Gabriel Péri.

Quand la Première Guerre mondiale éclate, la famille de Lucien Sampaix quitte le département des Ardennes, occupé par l’armée allemande, et se réfugie dans le département voisin de la Marne, où le jeune Lucien travaille dans une exploitation agricole. En avril 1918, il est mobilisé – il est alors âgé de dix-neuf ans – et incorporé dans un service infirmier. Toujours lycéen à Marseille, Gabriel Péri est signalé au même moment par les services du ministère de l’Intérieur comme secrétaire adjoint du groupe des Jeunesses socialistes de Marseille. Le jeune élève de seconde s’engage chaque jour davantage au sein du mouvement socialiste, profondément divisé. La Russie devient le « pôle d’attraction » de Gabriel Péri et de ses amis.

Démobilisé en 1921, Lucien Sampaix retourne dans les Ardennes. Après avoir travaillé comme son père dans le textile, il retrouve un emploi dans la métallurgie. Quelques mois plus tard, il adhère à la Fédération des travailleurs de la métallurgie, affiliée à la Confédération générale du travail unitaire (CGTU), puis il adhère au Parti communiste. Entre-temps, le jeune Gabriel quitte le lycée – sans avoir passé son baccalauréat, contrairement à ce qu’il prétendra – pour devenir, comme il l’écrira par la suite, un « ouvrier de la révolution ». Secrétaire du groupe des Jeunesses communistes à Marseille, il est emprisonné – pour la première fois de sa vie – après avoir distribué des tracts antimilitaristes. Un an plus tard, Gabriel Péri est élu (au printemps 1922) à la direction nationale de la Fédération de la jeunesse communiste  ; il est devenu un « permanent politique ». En octobre 1924, Gabriel Péri est désigné pour prendre en charge la rubrique de politique étrangère du quotidien communiste. De son côté, Lucien Sampaix cumule rapidement des responsabilités politiques et syndicales, tout en continuant à travailler jusqu’en 1929, où il devient secrétaire de la région Nord-Est du Parti communiste. Cette année-là, Gabriel Péri est évincé du comité central  ; il est également écarté de la rédaction des Cahiers du bolchevisme.

Au printemps 1932, Lucien Sampaix est emprisonné à la suite d’une condamnation pour « provocation de militaires à la désobéissance ». Cela ne l’empêche pas d’être candidat aux élections législatives à Sedan, où il est largement devancé par le candidat socialiste, lui-même battu par le député de droite, réélu dès le premier tour. Gabriel Péri est également candidat, non pas à Toulon comme en 1928 ou à Marseille comme en 1930, mais à Argenteuil. Contre toute attente, le responsable de la rubrique internationale du quotidien l’Humanité est élu député, bénéficiant du soutien des autres principaux candidats de gauche en sa faveur, alors que le député sortant ne parvient pas à convaincre quelques-uns de ces adversaires à retirer leur candidature au second tour.

Quelques mois après sa libération, Lucien Sampaix est appelé en août 1932 à la rédaction de l’Humanité où il intègre la rubrique des informations générales et politiques. Dorénavant, Gabriel Péri et Lucien Sampaix auront l’occasion de se croiser, chaque jour ou presque. Le recrutement de Lucien Sampaix s’inscrit dans la volonté de promouvoir des journalistes d’origine ouvrière au sein du quotidien communiste. Après avoir déployé une importante activité dans l’est de la France en qualité de secrétaire régional, Lucien Sampaix est désormais chargé de suivre l’activité politique des organisations politiques d’extrême droite qu’il considère « aux ordres du grand patronat et des ennemis du pays ».

Au printemps 1936, Lucien Sampaix est à nouveau candidat aux élections législatives. Cette fois-ci, il se présente à Paris contre le député de droite Jean Fabry, ancien ministre de la Guerre. Au premier tour, il obtient plus de 18% des suffrages exprimés, multipliant par trois le score obtenu par le candidat communiste en 1932. Comme en 1932, le total des voix de gauche au premier tour est supérieur au nombre de suffrages obtenus par le candidat de droite. Mais, en 1936, la gauche n’est plus divisée. Lucien Sampaix se désiste au profit du candidat radical-socialiste Jean-Baptiste Bossoutrot. Au second tour, de dernier il l’emporte par 12 voix d’avance. Quant à Gabriel Péri, il manque d’une centaine de voix d’être réélu dès le premier tour. En France, le Front populaire triomphe. Pour la première fois, un gouvernement est présidé par un socialiste, Léon Blum.

Au lendemain de la victoire électorale du Front populaire, Lucien Sampaix est nommé secrétaire général du quotidien communiste. Indépendamment de cette promotion à la direction du quotidien, il est toujours attaché au service des informations. On lui confie par ailleurs la rubrique militaire. Gabriel Péri se voit, lui, confirmer dans son rôle de porte-parole en matière de politique étrangère, allant jusqu’à définir la ligne politique du Parti communiste, et même l’incarner lors des débats parlementaires consacrés à la signature des accords de Munich en octobre 1938. Tout au long de cette année 1938, Gabriel Péri s’inquiète du « destin de la paix » comme en témoigne par exemple un article pour la revue du Comité mondial contre la guerre et le fascisme. D’après lui, il convient avant tout de tirer le plus vite possible les conclusions de la politique de non-intervention en Espagne, « l’une des plus lourdes erreurs diplomatiques » par laquelle le gouvernement de Front populaire présidé par Léon Blum « s’est signalé au monde ». Selon Gabriel Péri, « le sort de la paix dépend de la vigueur avec laquelle la démocratie française, sûre de sa mission, saura mobiliser autour d’elle les forces populaires et démocratiques qui sont l’Europe de demain ». Par avance, Gabriel Péri prend définitivement position dans tous les autres débats de politique extérieure à venir, répétant son refus de céder à la volonté hégémonique de l’Allemagne nazie. Son impitoyable réquisitoire contre la politique étrangère du gouvernement présidé par Édouard Daladier révèle tout à la fois sa culture, son intelligence et sa perspicacité. Chef de file des antimunichois, sa renommée est considérable. Mais il se trouve également en porte-à-faux avec l’immense majorité de la société française largement munichoise.

En juillet 1939, Lucien Sampaix est poursuivi devant la justice pour avoir dénoncé les agissements de la cinquième colonne, comme le rappellera le directeur de l’Humanité Marcel Cachin au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Finalement, Lucien Sampaix, défendu par le célèbre avocat Moro-Giafferi, est acquitté.

En réponse à l’invasion de la Pologne, Londres et Paris déclarent la guerre à Berlin. Les députés communistes votent les crédits de guerre.

Au lendemain du pacte germano-soviétique, Gabriel Péri se montre particulièrement discret, évitant de légitimer, sans pour autant la condamner publiquement, la volte-face diplomatique du gouvernement soviétique. En revanche, il continue de défendre un point de vue conforme à la ligne antifasciste du Parti communiste français, y compris après l’invasion de la Pologne par l’Armée rouge le 17 septembre 1939. C’est ainsi qu’il demande à rejoindre l’armée, bien qu’il ait été exempté de faire son service militaire pour raison de santé. Déclaré apte, Gabriel Péri est obligé de se cacher pour échapper à un mandat d’arrêt lancé entre-temps contre tous les députés communistes signataires de la lettre à Édouard Herriot demandant que soient engagées des négociations de paix avec l’Allemagne.

Mobilisé, Lucien Sampaix est affecté dans une usine de la région parisienne, mais son directeur refuse de le prendre. Quelques semaines plus tard, le Parti communiste est interdit. Hors-la-loi, les deux anciens journalistes à l’Humanité participent ensemble à l’édition clandestine du quotidien communiste jusqu’à l’arrestation de Lucien Sampaix le 19 décembre 1939. Quant à Gabriel Péri, il contribue tout au long de cette période à sa façon à infléchir la ligne du Parti communiste, qui prend, dès l’automne 1940, des accents anti-allemands, à l’opposé de la politique anticapitaliste, pacifiste et légaliste de l’été 1940.

Régulièrement transféré d’un lieu de détention à un autre, Lucien Sampaix s’évade à la fin de l’année 1940 et se réfugie à Paris chez un ancien ouvrier de l’imprimerie de l’Humanité. Trois mois plus tard, Lucien Sampaix est arrêté lors de la perquisition effectuée par la police française au domicile de celui qui l’héberge et qui vient d’être interpellé alors qu’il transportait des brochures illégales éditées par le Parti communiste clandestin.

Quelques semaines plus tard, Gabriel Péri est arrêté à son tour, à la suite d’un vaste coup de filet qui commence quelques jours plus tôt. Plusieurs dizaines de militants communistes sont appréhendés, dont un responsable de la commission des cadres à l’origine de la chute de l’ancien chef du service de politique étrangère de l’Humanité. Emprisonné à la Santé, Gabriel Péri croise dans les couloirs de la prison d’autres responsables communistes, à commencer par l’ancien secrétaire général du quotidien Lucien Sampaix, avec lequel il « échange (une) poignée de main malgré le règlement ». Traduit devant la section spéciale auprès de la cour d’appel de Paris, Lucien Sampaix est condamné le 27 août 1941 aux travaux forcés à perpétuité, et non pas à la peine capitale. Mi-septembre 1941, l’ancien secrétaire général de l’Humanité est transféré à la maison centrale de Caen.

Le 14 décembre 1941, Gabriel Péri est remis aux autorités allemandes sur ordre du directeur de la police judiciaire  ; il est alors transféré de la prison « française » de la Santé à la prison « allemande » du Cherche- Midi. Le lendemain dans la matinée, Lucien Sampaix aurait appris – d’après le rapport du préfet du Calvados adressé au ministère de l’Intérieur de Vichy cité par les historiens Jean-Pierre Besse et Thomas Pouty dans leur ouvrage déjà mentionné – qu’il sera fusillé le jour même vers 10 heures. Seul Lucien Sampaix aurait refusé de s’habiller en civil, les douze autres otages de la maison centrale de Caen acceptant cette mesure. Un ancien interné de la maison centrale de Caen (également cité par Jean-Pierre Besse et Thomas Pouty) racontera sa surprise d’avoir entendu ce matin-là l’Internationale d’abord, la Marseillaise ensuite. Et de poursuivre  : « Avant de quitter la maison centrale de Caen, tous ensemble, une fois encore, ils ont chanté l’Internationale et la Marseillaise  ! Et comme un Allemand, à bout d’arguments, les menaçait en leur disant “Taisez-vous  ! Ou nous allons vous punir  !” Lucien Sampaix a répondu ces mots sublimes  : “Vous nous tuerez deux fois.”. » En début d’après-midi, Gabriel Péri est emmené au fort du Mont-Valérien où il est fusillé à 13 h 22.

3) La voix de Gabriel Péri contre la honte munichoise

Gabriel Péri, dans l’Humanité.

« Le déshonneur 
et la guerre »

Le tandem Bonnet-Daladier vient d’écrire une des pages les plus honteuses de notre histoire. Il a signé la démission de la France (…). Dites donc Daladier, n’entendez-vous pas un bourdonnement tinter à vos oreilles  ? C’est le mépris de la démocratie internationale qui monte vers vous. Car la décision d’hier ne résout rien. À Godesberg, Hitler attend son commissionnaire Neville Chamberlain. 
Il a d’autres exigences à lui formuler  ; depuis vingt-quatre heures le Führer a conféré avec la Hongrie et la Pologne, il réclame d’autres livres de chair. Le premier ultimatum est dépassé. Demain Londres, Paris et Prague seront informés d’un nouveau diktat. Répétons les mots terribles de Winston Churchill  : « Ils ont choisi le déshonneur et ils auront la guerre… »

-  L’Humanité, 22 septembre 1938.

« L’accord de Munich 
est un Sedan diplomatique »

Nous ne prenons pas place dans la brigade des acclamations. Nous n’écrirons pas que l’accord de Munich a sauvé la paix. Nous enregistrons que M.Daladier vient de souscrire au dépècement d’un peuple libre. Nous sommes persuadés que la menace que courent les millions d’hommes en France et en Europe est plus grave aujourd’hui qu’elle n’était hier. Nous n’applaudissons pas parce qu’il n’est pas dans la tradition française d’applaudir aux violations du droit. 
Nous n’applaudissons pas parce que nous croyons qu’on affaiblit la paix chaque fois qu’on affaiblit la sécurité française et que l’accord de Munich est un Sedan diplomatique.

Ceux qui reviennent de Munich avec ce bagage peuvent essayer de se faire pardonner. 
Mais ils manquent de pudeur lorsque, gagnés par la contagion, ils prennent debout sur leur voiture des poses de Premier consul. 
Non  ! Nous n’applaudissons pas  ! (…)

Aujourd’hui, l’armée allemande fera son entrée dans la région des Sudètes. Dans les jours qui viennent, le territoire sera complètement occupé. Que vaudront les frêles barrières 
de la commission internationale  ? 
Qu’on imagine le sort de dizaines de milliers d’hommes et de femmes, de Tchèques, de juifs, de socialistes, de communistes, de démocrates qui, en dépit des procédures fragiles imaginées in extremis, seront livrés au couteau de l’égorgeur. Non, on n’a pas le droit de prostituer le beau nom de paix en l’accolant à ces opérations punitives.

Qu’on ne s’y méprenne pas, au moins  ! Non l’effondrement de Munich, ce n’est pas la politique du Front populaire, pas plus que la frauduleuse non-intervention en Espagne. Non, la prime à l’agresseur, le dépècement des peuples libres, le manquement à la parole donnée, ce n’est pas la politique du Front populaire. C’est tout ça que les partis du Front populaire avaient juré de combattre. 
Nous, nous tenons notre engagement.

-  L’Humanité, 1er octobre 1938.

« Le sort de la paix et le destin 
de la France »

Après le coup de tonnerre de l’Europe centrale, un cri sort de toutes les poitrines françaises  : « Il faut que les munichois s’en aillent  ! » Les bons Français comprennent que nous courons aux pires désastres si d’ici quelques jours Georges Bonnet n’a pas quitté les lieux. Car il est, lui, le grand coupable et avec le président du Conseil, le responsable essentiel de ces catastrophes présentes et des catastrophes à venir. (…) Vous savez qu’il est disposé à céder. Vous savez bien, amis radicaux, que ce qui vient de se passer à Prague se produira à Djibouti et à Tunis si la présence de Bonnet au Quai d’Orsay dure une journée de plus. Ne sentez-vous pas qu’il s’agit du sort de la paix et du destin de la France  ? C’est le sort de la paix et le destin de la France qui nous commandent de jeter à la porte les Césars, les Triplepatte et les faux Talleyrand qui resteront dans l’histoire les ministres de la défaite française et du déshonneur public.

-  L’Humanité, 16 mars 1939.

4) Lucien Sampaix dénonce les amis français des nazis

Lucien Sampaix, dans l’Humanité du 8 juillet 1939.

Hitler a des amis et Hitler a des amis et des complices en France  ! Cela, tout le monde le sait. Et certains ministres et ministresses, dont les noms figurent dans le dossier du juge d’instruction Combeau, l’ignorent moins que quiconque. Ces excellences n’étaient-ils pas des commensaux assidus de l’espion nazi Abetz, expulsé de France voici quelques jours  ? Mais la justice, si pressée de juger et de condamner lorsqu’il s’agit de communistes, est beaucoup moins alerte quand des amis de Hitler figurent au tableau de chasse, surtout s’ils touchent de près aux cercles gouvernementaux. M.Daladier a affirmé qu’il était décidé à mettre un terme aux « intrigues » et à la propagande étrangère. Autant en emporte le vent. Pourtant l’occasion était excellente. Secrétaire particulier de von Ribbentrop, Otto Abetz déployait à Paris une redoutable activité. De notoriété publique, il était un des principaux distributeurs des fonds hitlériens, se dépensait sans compter entre les directions des journaux, les salons et les voyages à Berlin. Bien entendu, il fut l’animateur du comité France-Allemagne, dont le comte Henri de Brinon était le plus bel ornement.

Mais pour bien connaître le rôle exact d’Otto Abetz, il convient de connaître tout d’abord la fonction de son chef immédiat von Ribbentrop. Celui-ci cumule avec ses fonctions officielles de ministre du Reich une fonction dans le parti nazi  : celle de « responsable pour les questions de politique étrangères ». Située au numéro 63 de la Wilhelmstrasse à Berlin, l’officine Ribbentrop est dirigée par d’anciens officiers de l’espionnage allemand. Bien entendu, l’officine de von Ribbentrop collabore étroitement avec la Gestapo et les services d’espionnage hitlériens, dont elle n’est qu’une filiale à peine camouflée. Et Otto Abetz était le délégué officiel à Paris de cette officine de propagande et d’espionnage.

Cela était connu depuis longtemps  ! Mais il y a en France de bons « nationaux » qui n’hésitèrent pas à rendre les plus grands services à Abetz et à lui faciliter sa besogne. Avec empressement, ils répondaient aux invitations de l’espion nazi. On cite parmi eux des ministres ou même l’épouse d’un ministre. Abetz est expulsé mais ses amis et ses complices agissent toujours en plein cœur de Paris. Que devient l’enquête ouverte sur les « menées raciales » et la propagande étrangère  ? On a vérifié certains comptes en banque. Se figure-t-on que l’or de Hitler passait en totalité par des comptes réguliers  ? L’espion Abetz sait très bien le contraire, lui qui, quelques jours avant son expulsion, tenait encore guichet ouvert à Paris, rive gauche. Car Abetz, qui avait ses entrées dans tous les milieux mondains, industriels, bancaires, politiques et journalistiques, croit-on donc qu’il achetait consciences, démarches et articles au moyen d’opérations régulières en banque  ? La liasse de la main à la main, le système des enveloppes, voilà qui, assurément, laisse moins de traces. Enfin deux arrestations viennent d’être opérées… Deux personnages assez importants dans la presse du Comité des forges et de la réaction ont fait connaissance hier avec la prison du Cherche-Midi. (…)

Tous deux, dit-on, ont fait des aveux complets. Mais d’autres personnalités plus haut placées seraient sérieusement compromises. Osera-t-on aller jusqu’au sommet et mettre la main au collet de tous ceux qui sont en fait les complices de Hitler et livraient la France à l’étranger  ? Hitler et Goebbels ont trouvé en France des agents jusque dans la grande presse, dans les milieux parlementaires et même dans des cercles touchant de près le gouvernement. Le réseau d’intrigues, d’espionnage et « pire encore » dénoncé à la Chambre par M. Daladier s’est étendu partout. Il s’est étendu parce que, pendant des mois, on n’a pas voulu nous écouter. Parce qu’on a laissé s’installer et agir, malgré nos campagnes systématiques dans l’Humanité, les agents de Franco, de Hitler et de Mussolini.

Lucien Sampaix


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