Jusqu’à 282 jours de travail par an, remise en cause des RTT des cadres : une très lourde régression sociale

vendredi 11 juillet 2008.
 

L’adoption en première lecture par l’Assemblée Nationale du projet de loi sur la réforme du temps de travail dans la nuit de lundi à mardi ouvre la voie à l’une des plus lourdes régressions sociales mises en œuvre par ce gouvernement.

Celle-ci frappe par l’étendue des victimes. Les cadres, notamment, qui pouvaient parfois se croire protégés par la droite, sont en plein dans le collimateur. Et en particulier tous ceux qui sont au « forfait jours » (c’est-à-dire ceux dont on estime qu’il est impossible de compter ou de limiter leur temps de travail horaire, qui bénéficient à la place d’une limitation du nombre de jours travaillés par an).

Tant de travail !

Jusqu’à présent, le maximum de jours de travail annuels pour ces « forfaits jours » était de 218. Or la réforme gouvernementale permettrait d’aller jusqu’à 282 jours de travail. Certes un amendement a fixé à 235 jours le nombre maximum de jours travaillés en l’absence d’accord d’entreprise... mais il sera possible d’aller jusqu’à 282 jours si un tel accord le prévoit.

Sortons les calculettes. A quoi correspondent 235 jours de travail par an ? 365 jours moins 52 dimanches moins 52 samedis moins le premier mai moins 25 jours de congés payés légaux (cinq semaines de cinq jours) font exactement… 235 jours. Concrètement, cela veut dire la suppression de tous les jours de RTT mais aussi de tous les jours fériés chômés et payés comme le 1er janvier, le 15 août ou le 14 juillet (25 jours par an !). Idem pour la durée maximale de 282 jours, qui correspond à un travail 6 jours sur 7 toute l’année sauf le premier mai et les 30 jours (cinq semaines de six jours) de congés légaux. En bref cela revient à supprimer toute durée légale maximale : il est tout simplement impossible de travailler plus sauf à remettre en cause la loi sur les cinq semaines de congés payés ou les conventions internationales qui reconnaissent le droit à un jour de repos hebdomadaire.

Une telle suppression des limitations du temps de travail va à l’encontre des mesures qui ont été prises depuis plus d’un siècle, notamment pour préserver la santé au travail. Les récents suicides de cadres chez Renault en ont pourtant rappelé la triste actualité : travailler trop tue. De plus, contrairement à la propagande gouvernementale, « travailler plus » ne permettra même pas de « gagner plus » puisque la réforme gouvernementale permettrait aussi de déroger à la majoration salariale de 25% des premières heures supplémentaires pour la réduire à seulement 10%.

Pour l’instant, ces nouvelles durées maximales ne s’appliqueront qu’en cas d’accord au niveau de la branche mais aussi de l’entreprise. C’est sans doute là le principal tournant de notre droit social. En consacrant la suprématie du contrat sur la loi comme celle de l’accord d’entreprise sur la négociation de branche, le gouvernement ne se contente pas d’épouser la mode idéologique du moment en faveur de la « proximité », de l’individualisation, de la contractualisation. Il fait de la durée du travail l’un des facteurs de la concurrence entre entreprises. Demain, plus rien n’empêchera que le chantage aux délocalisations ou aux contrats perdus soit brandi pour obliger les salariés à augmenter leur temps de travail sans qu’aucune limite légale ne s’y oppose. Et dès lors qu’une entreprise dans un secteur réduira les droits de ses salariés pour diminuer le coût de ses prestations, il « faudra bien » que les autres s’alignent. La protection uniforme de la loi, seule manière d’assurer l’égalité des citoyens au travail, cèdera la place à un droit du travail « individualisé », atomisé, remplaçant les solidarités collectives par la concurrence de tous contre tous dans une course effrénée au moins-disant social.

Cette histoire ne se terminera pas avec l’adoption finale de la loi à la fin du mois. C’est un combat de longue ampleur qui se dessine. Il faudra l’apport des luttes sociales pour contraindre le législateur à revenir sur ces mesures. Mais il faudra aussi l’apport spécifique du combat politique. En la matière, la ligne social-démocrate ne constitue pas un instrument de résistance efficace car elle aussi place le contrat au-dessus de la loi. De son côté, la ligne démocrate, qui partage avec la ligne social-démocrate la volonté d’assurer la supériorité du contrat ( Ségolène Royal avait ainsi déclaré pendant la « primaire » socialiste : « le contrat se substituera à la loi »), prône en outre la dissolution des statuts collectifs au profit de l’individualisation des rapports sociaux. C’est-à-dire exactement ce qu’opère cette réforme du temps de travail ! Dans ce contexte, seul le socialisme républicain, parce qu’il établit la suprématie de la loi sur le contrat au nom de l’ordre public social et de l’égalité des citoyens, constitue une riposte pertinente.


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