L’Académie française, de Maurras à Finkielkraut

vendredi 9 août 2019.
 

C) Alain Finkielkraut à l’Académie. Sacre d’une défaite de la pensée

Alain Finkielkraut, pour qui « la France mérite notre haine », est élevé au rang d’immortel. L’aboutissement d’une grande offensive réactionnaire.

Épée à la main et rehaussé d’un bicorne, Alain Finkielkraut s’installe ce matin dans le fauteuil 21 de l’Académie française. Comme le veut la tradition, il devait prononcer l’éloge de son prédécesseur, Félicien Marceau, écrivain condamné à la Libération à 15 ans de prison en Belgique pour collaboration avec l’occupant nazi. Le philosophe ne redoute pas l’exercice, lui qui défend avec avidité bien d’autres tristes sires, comme son ami Renaud Camus, condamné pour « incitation à la haine raciale », et à qui le Front national doit l’invention du concept du « grand remplacement ». Certes, l’institution de la rue de Conti, qui accueillit en son temps Charles Maurras et Philippe Pétain, n’est pas connue pour être un nid de gauchistes. Mais le sacre du plus médiatique des néoconservateurs français, symbole d’une inquiétante remontée d’acide, tend un miroir peu reluisant, sur lequel déferlent les vieilles obsessions identitaires de la droite.

Les immigrés et les musulmans concentrent son courroux

Pourtant, Alain Finkielkraut n’a pas toujours été la caricature de lui-même, ce réactionnaire dangereux, obsédé de la décadence et toujours en tête de la nuée des oiseaux de malheur. Comme ses cousins néoconservateurs américains, il est issu des rangs maoïstes, dont il s’éloigne sans pertes ni fracas quand il part enseigner à Berkeley en 1976. Jusqu’à la fin des années 1990, il est considéré comme un « conservateur de gauche ». Exposé comme un Cassandre inquiet de la démocratie, le philosophe aura même le droit de cité en 2000 dans les colonnes de l’Humanité, où il affirme « lutter, quand c’était nécessaire, pour une critique d’Israël qui ne débouche pas sur une remise en cause de son projet originel ». Comme beaucoup de ses amis de la gauche prolétarienne devenus « nouveaux philosophes », Finkielkraut passe de l’antitotalitarisme à la haine envers toute perspective progressiste.

Si l’on en croit ses dires, c’est l’affaire des lycéennes voilées de Creil, en 1989, qui signe le début d’un long naufrage vers les rives de l’extrême droite. Il écrit alors : « Nous ne savons plus faire la différence entre les droits de l’homme et les droits des tribus. » Ou encore : « La pensée progressiste, la vulgate anticolonialiste invite les beurs à rejeter leur pays. » Dorénavant, les immigrés et les musulmans concentrent son courroux. Et il met du cœur à l’ouvrage, multipliant les provocations sur les plateaux télé, lunettes embuées et posture tourmentée, en boucle sur l’air du « tout fout le camp ».

Ses dérapages d’hier deviennent la norme. Au-delà de la critique antimoderne, l’idée qu’il puisse exister une nation française qui ne soit pas figée, blanche et chrétienne, mais un creuset toujours en fusion lui est insupportable. Tout le reste en découle  : le « déclin » de l’école, de la langue française, ou de la sacro-sainte autorité. Ses obsessions reflètent en réalité une défiance à l’égard de la démocratie, de l’État de droit et des fondements d’une société « ouverte ». « La démocratie, explique-t-il, est sortie de son lit et elle envahit des espaces où elle n’a rien à faire, notamment l’éducation ou la culture. » En 2008, il signe dans les colonnes du Monde une tribune intitulée « Palme d’or pour une syntaxe défunte », furieux que le jury cannois récompense le film de Laurent Cantet Entre les murs. Son insupportable réquisitoire sur le déclin de la « haute culture », qui serait menacée par le relativisme, le multiculturalisme et la culture de masse, débute en 1987 avec la Défaite de la pensée. Cette longue plainte « antimoderne » se poursuivra avec Qu’est-ce que la France ?, puis l’Identité malheureuse (2013), vendu à 80 000 exemplaires.

La liste est longue des sorties nauséabondes du philosophe

Le monde selon Finkielkraut est binaire  : juifs contre musulmans, art contre culture de masse, Bourdieu contre Lévi-Strauss… Le 11 Septembre lui offre l’occasion de revêtir la posture du missionnaire zélé de la guerre des civilisations. « Les attaques du 11 Septembre ne visaient pas seulement la grande métropole du capitalisme mondial, estime-t-il, mais les juifs et les croisés, c’est-à-dire la civilisation occidentale tout entière. » La liste est longue des sorties nauséabondes du philosophe, des Antillais qui « vivent de l’assistance de la métropole », en passant par l’équipe de foot « black-black-black », la révolte des banlieues jugée comme « un pogrom antirépublicain » ou plus récemment sur l’« accent des beurs » et des « Français de souche ». Fut un temps où, à chaque fois qu’il proférait une horreur, Finkielkraut expliquait qu’il ne voulait pas dire cela. Il peaufine désormais son personnage de contradicteur officiel de la « bien-pensance », autre leitmotiv partagé avec le Front national. Et pour cause  : la dénonciation du «  politiquement correct  » a le mérite de délégitimer toute idée progressiste sans même en débattre. Pourtant, Alain Finkielkraut avance toujours masqué. Non, il n’est pas raciste, mais pourfend la « pensée antiraciste », cause de tous les maux contemporains. Il n’est ni nationaliste ni xénophobe mais dénonce l’« émotion bien-pensante » de ceux qui défendent l’accueil des réfugiés… Il n’est pas non plus de droite, mais ose déclarer que « l’antifascisme est devenu incontinent, et fait, si j’ose dire, n’importe où ». Les immortels ont pourtant comme mission de « porter la langue française ». Chaque nouvel académicien se voit attribuer un mot. Tiens, Alain Finkielkraut est tombé sur « Variété »…

Maud Vergnol, L’Humanité, 28 janvier 2016


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