Barack Obama : pas d’angélisme !

jeudi 3 juillet 2008.
 

On entend souvent dire en réponse à notre refus d’un grand marché transtlantique que notre intransigeance vis-à-vis de l’Europe américaine serait compréhensible à la limite sous Bush mais n’aurait plus aucun sens si Obama était élu président en novembre prochain. Nous sommes parfois carrément accusés de paranoïa anti-américaine ! Hélas, autant les critiques qui nous sont adressées sont d’une naïveté et d’une superficialité atterrantes, autant notre point de vue est fondé sur des arguments extrêmement solides.

Bien sûr la victoire d’Obama serait un mieux pour les Etats-Unis et pour le monde. Mais hélas elle ne changerait pas tout. Car il existe des logiques nationales qui s’imposent aux présidents américains quels qu’ils soient. Attention donc à l’angélisme. Dans le passé déjà, la victoire électorale du démocrate John Kennedy n’a pas mis fin à la guerre du Vietnam : le nouveau président a choisi au contraire d’envoyer de nouvelles troupes.

Qu’il soit démocrate ou républicain, tout président américain se doit d’agir pour préserver l’hégémonie américaine dans le monde. C’est parfaitement compréhensible et totalement incontournable. Si les Etats-Unis perdaient leur statut de puissance dominante, cela aurait de lourdes conséquences pour le peuple américain. Par exemple la perte du statut monétaire privilégié du dollar entraînerait une baisse très importante de niveau de vie ainsi que l’obligation d’augmenter très lourdement les impôts ou encore de réduire fortement les dépenses de l’Etat. Quel président s’y risquerait ? Sans compter que la perte du statut de puissance dominante est psychologiquement très douloureuse pour tout peuple, quel qu’il soit. Les intérêts dominants aux Etats-Unis attendent tout particulièrement d’Obama qu’il renforce du pays dans le monde. Le candidat démocrate est en effet le favori de Wall Street et a recueilli deux fois plus de dons auprès des milieux financiers américains que le républicain Mc Cain (8 millions de dollars contre 4 : cf la Tribune).

Or sur quoi repose aujourd’hui l’hégémonie américaine qu’Obama se devra de protéger voire de renforcer ? Elle repose désormais principalement sur la suprématie militaire du pays. La force industrielle des Etats-Unis ? Elle a été largement détruite par les délocalisations vers l’Asie. Ce sont des choix qu’il est très difficile d’inverser. Autant les délocalisations sont rapides et « faciles », autant la réindustrialisation face aux nouveaux concurrents asiatiques serait difficile et prendrait beaucoup de temps. La puissance financière des Etats-Unis ? Elle repose sur une fragilité fondamentale. Les Etats-Unis sont l’un des pays les plus endettés du Monde (sa dette a été multipliée par 10 ces 10 dernières années). Alors qu’en 1945, les Etats-Unis avaient les moyens d’aider l’Europe ou le Japon à se reconstruire, et donc d’obtenir en contrepartie leur alignement dans le « camp occidental », ce sont eux désormais qui dépendent des capitaux étrangers, notamment ceux des puissances pétrolières et de la Chine. Si demain la Chine arrêtait de financer le déficit budgétaire américain, la monnaie américaine s’effondrerait purement et simplement. Les Etats-Unis sont donc devenus financièrement dépendants des puissances émergentes qui seront bientôt en position de contester son hégémonie. Le contrôle des matières premières ? Les USA souffrent d’une forte dépendance au pétrole. Avant 1971, le pays était autosuffisant en hydrocarbures, en 2007, ils doivent importer 60% de leur consommation. Les technologies d’avenir ? L’avance américaine a dramatiquement fondu. Elle n’est décisive et durable que dans le domaine de l’industrie militaire (et peut-être dans celui des OGM, mais ceux-ci sont largement contestés).

On voit que dans tous les domaines essentiels pour asseoir l’hégémonie d’un pays, la suprématie américaine est battue en brèche. Tous sauf un : la puissance militaire.

En matière militaire, la domination des Etats-Unis est non seulement incontestable, elle est même sans précédent dans l’histoire de l’Humanité. Alors que les Etats-Unis ne comptent quasiment aucune nation ennemie dans le monde, leurs dépenses militaires sont égales à celles de tous les autres pays du monde réunis. Si l’on ajoute les dépenses de leurs alliés, on atteint le total pharamineux de 83% des budgets militaires mondiaux. Le budget militaire américain s’élève à 730 milliards de dollars, en comparaison celui de la Russie atteint 70 milliards, celui de la Chine est entre 100 et 120 milliards.

Une masse considérable de militaires, fonctionnaires du Pentagone, intérêts industriels et financiers vivent de ce budget. Donnons quelques chiffres. 735 bases militaires officielles dans le monde (sans compter les bases secrètes), réparties sur 130 pays et 5 continents. 288 627 soldats stationnés hors du sol national, sans compter 221 700 militaires sur le terrain en Irak et Afghanistan. Chiffre auquel il faut ajouter au moins 100 000 mercenaires, surtout en Irak. Soient 600 000 hommes à l’étranger ! En comparaison, les troupes françaises à l’étranger représentent environ 15 000 hommes, celles de la Grande-Bretagne 40 000 hommes, celles de la Chine... 0 ! et celles de la Russie quasiment rien également (quelques effectifs marginaux en Géorgie et dans le Caucase). Et tout ceci sans compter le renseignement : 45 milliards de dollars, 100 000 hommes.

Qui peut croire un instant que Barack Obama, si tant est qu’il en ait la volonté, aurait les moyens de prendre de front ces intérêts considérables sur le plan humain et financier ? Et surtout pour quel projet ? Il n’existe à court terme aucune stratégie de puissance crédible pour les Etats-Unis en dehors de la valorisation de leur suprématie militaire. Bien sûr les Etats-Unis auront à l’avenir toute leur place dans un monde polycentrique. Mais cela veut dire qu’ils doivent renoncer à leur suprématie. Et il n’y a aucune raison qu’ils y renoncent d’eux-mêmes s’ils peuvent l’éviter. Il faudra donc que la communauté internationale -et tout particulièrement l’Europe- se donne les moyens -pacifiques- de leur imposer un nouvel ordre du monde dans lequel ils ne seront plus qu’une grande puissance parmi plusieurs autres.


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