Du " grand parti de la classe ouvrière " aux partis du communisme français (par Nathanaël Uhl, novembre 1998)

vendredi 20 mai 2005.
 

Après l’article paru dans l’avant-dernière livraison, sous la plume de Pierre Broué et de Patrick Lacoste, il peut être intéressant de livrer un autre point de vue sur la question du PCF et de son devenir. Celui qui suit est celui d’un militant du PCF, adhérant depuis 1990 et la préparation du 27ème congrès, ayant eu des responsabilités, à l’échelon départemental, au sein de la Jeunesse communiste dans deux départements et " familier " de l’appareil communiste.

En premier lieu, pourquoi écrire, encore, sur l’avenir du Parti communiste français ? Brutalement, on peut dire que, si la " Gauche socialiste ", courant marxiste du parti socialiste, avait obtenu plus que ses 10 % de suffrages au congrès de Brest, la question serait posée d’une autre manière. Aujourd’hui, depuis quasiment un an et demi, la " gauche plurielle " est au gouvernement. Par défaut, certes. Et, surtout, sans véritable projet de société alternatif. Dans ce cadre, la ratification à venir du traité d’Amsterdam, par le parlement réuni en congrès, ne constitue pas un reniement à proprement parler, mais constitue plutôt le stigmate d’une carence. La majorité, et sa principale composante, le Parti socialiste, en premier lieu, n’ont toujours rien d’autre à proposer de crédible. Défaite politique parce que défaite idéologique.

Ceci dit, le PCF peut-il être autre chose aujourd’hui que le " dernier verrou ", pour reprendre le mot du sociologue Jean-Marc Salmon, empêchant la dérive d’un Parti socialiste qui évolue, les yeux rivés sur son homologue britannique, vers un hypothétique " libéralisme à visage humain " ? Peut-il, s’appuyant sur la gauche qui bouge, cette " gauche de la gauche " que constituent les média-associations, entre autres, pour contribuer à la construction d’un projet alternatif ? C’est seulement pour tenter de répondre à cette question qu’il est intéressant de se préoccuper du Parti communiste. A moins de se placer dans une optique purement électoraliste, un parti n’a pas d’intérêt autre que celui de proposer un projet politique aux citoyens. Quitte à ce que ces derniers, après s’en être emparés, l’amendent par le débat démocratique.

A cette question, il semble impossible de répondre, en ce qui concerne le PCF et dans la situation actuelle, par l’affirmative. Son état hypothèque gravement tout débat idéologique, toute tentative de construction politique. Certains, mais c’est là un autre débat, affirmeront qu’il n’en a jamais été capable. Ce qui doit nous intéresser - ce qui intéresse l’auteur de ces lignes en tout cas - demeure le présent.

Pour tenter de dresser un tableau du PCF dans la période actuelle, il convient de prendre en compte plusieurs réalités structurantes et, principalement, deux : la position des individus, en tant qu’éléments constitutifs, dans le parti ; le positionnement vis à vis de la politique du parti. Ce double questionnement part du constat, vérifié de manière empirique par l’auteur, que le PCF est aujourd’hui, en tant qu’entité collective, vide de tout contenu idéologique. De même, et c’est tout aussi grave, il ne dispose plus, à dire le vrai, de base militante comme ce fut le cas jusqu’au début des années 80. L’un et l’autre de ces constats s’alimentent de façon dialectique. Le rétrécissement quantitatif nourrit la perte de substance idéologique, qui entraîne de nouveaux départs. Et ainsi de suite...

Le premier terme de la question revient à situer l’individu communiste dans son degré de dépendance vis à vis de l’appareil communiste. Schématiquement, on peut dresser trois grandes catégories d’individus capables d’influer, peu ou prou, sur le devenir du PCF : les cadres syndicaux, les cadres permanents de l’appareil politique (les fameux apparatchiks), les élus. Trois blocs plus ou moins distincts et, dans bien des cas, antagonistes.

La nouvelle autonomie des élus

Sur ce dernier point, on peut saluer la tentative, initiée par Robert Hue à l’occasion du dernier scrutin régional, de niveler ces antagonismes en imposant aux fédérations la présence forte des apparatchiks en position éligible. Une manière d’assouplir le positionnement politique de ces cadres en les confrontant aux " nécessités de la gestion ". Cette tentative intervient bien tard. Et elle est contredite par l’acquis théorique apparent que constitue la nouvelle autonomie, acquise dans le cadre du " fameux " 29ème congrès (décembre 1996), des groupes d’élus au sein des différentes collectivités, vis à vis de l’appareil fédéral voire central du PCF. Nous n’en prendrons pour exemple que le positionnement du groupe communiste à l’Assemblée nationale lors du vote sur le projet de " loi Chevènement " relatif à l’immigration. Malgré les rappels du pied du secrétaire national, les parlementaires se sont abstenus, après le combat mené dans les couloirs de l’Assemblée par Guy Hermier (Bouches-du-Rhône) et Patrick Braouzec (Seine Saint-Denis), chefs de file des refondateurs.

Pourquoi tant de " concessions " aux élus ? L’évolution, la dérive même, du PCF confère à ces derniers, légitimés par le mandat détenu du peuple, une importance de plus en plus grande. Particulièrement quand ils sont députés ou maires, et plus encore lorsqu’ils sont les deux. Cette autonomie est aussi la reconnaissance d’une réalité sensible depuis le milieu des années 80. A savoir, la multiplication de ce que nous appellerons les " baronnies ". A l’image du vieux Parti socialiste, les maires, notamment ceux des grandes villes, se sont placés dans des positions telles, usant de leur " légitimité populaire ", qu’ils sont hors de portée de leurs appareils. Et savent le rappeler ˆ qui de droit. Cela, soit pour des raisons idéologiques, comme c’est le cas de Guy Hermier, enraciné dans les 15e et 16e arrondissements de Marseille ; de Patrick Braouzec en son fief de Saint-Denis ; de Marcel Trigon, à Arcueil, avant qu’il ne quittât le PCF ; de Pierre Goldberg à Montluçon... Soit pour des raisons plus personnelles, même si elles ne sont jamais très éloignées des premières : c’est le cas des barons des Bouches-du-Rhône (Jean Tardito à Aubagne, Paul Lombard à Martigues, Roger Méi à Gardanne) mais aussi des maires de la " ceinture rouge " de Grenoble. Il arrive même que des marchés soient tacitement passés, dans l’idée, pour caricaturer, " foutez-moi la paix chez moi, je ne vous emmerde pas à la fédération ".

On renoue ici avec une vieille tradition, datant d’avant-guerre, celle du " communisme municipal " illustré en son temps par des personnalités aussi diverses que Clamamus à Montreuil, Doriot à Saint-Denis (avant qu’il ne soit exclu en 1934) ou le bourbonnais Eugène Jardon à Domérat (banlieue de Montluçon). Il convient de se rappeler que, en septembre 1939, près du tiers des députés communistes ont refusé, malgré la structure stalinienne la plus dure qu’est celle du PCF de l’époque, de soutenir le pacte germano-soviétique. Cela alors que l’activité des parlementaires communistes est placée sous le contrôle direct du Comité central.

Cette autonomie résulte aussi, dans nombre de cas, d’une prise de distance, non de l’élu, mais de l’appareil à son encontre. Dans ce cas, l’édile est rejeté par son parti, plus ou moins ouvertement. On a vu des personnalités populaires mener campagne avec la seule aide concrète et affichée de leur comité de soutien. Le PCF local, se faisant plus que discret, n’en pas moins échoué à empêcher une réélection, même difficile. Cela a été le cas, par exemple, avec Robert Montdargent en 1989 dans son bastion d’Argenteuil. Un autre cas, assez cocasse, a été la crise qui a agité la fédération de l’Allier du PCF à l’occasion de la désignation des candidats aux législatives, initialement prévue pour 1998. L’appareil communiste départemental, marqué par l’ouvriérisme et le guesdisme du Parti ouvrier français, a tenté d’imposer à Pierre Goldberg, candidat le mieux placé dans la circonscription de Montluçon, un suppléant issu des apparatchiks, provoquant la colère du maire de la ville. La crise est remontée jusqu’au comité national et à Robert Hue. Finalement, Pierre Goldberg a réussi, grâce à la dissolution anticipée, à imposer son poulain.

Les syndicalistes et le " grand frère "

L’autre branche du " corps communiste " en voie d’autonomisation complète est celle des cadres syndicaux. La prise de distance, soulignée par Pierre Broué et Patrick Lacoste, de la CGT à l’égard du PCF était latente depuis la fin des années 80. Elle a été entérinée, là encore, à l’occasion du 29ème congrès. Mais plus en terme de reconnaissance du fait accompli que de réelle volonté politique. La CGT s’est faite remarquer, au niveau confédéral s’entend, par une volonté de s’éloigner d’un " grand frère " plutôt anémié et ne lui rendant plus guère de services. Peut être s’est-elle rendue compte, aussi, qu’elle a toujours plus servi, enferrée dans son rôle de " courroie de transmission ", la politique du parti que son intérêt propre de centrale syndicale.

Un autre élément est, probablement, à prendre en compte. Ce corps rabougri qu’est le PCF n’occupe plus le champ contestataire dans son ensemble. Ce que traduisent concrètement les succès électoraux des listes d’extrême-gauche lors des derniers scrutins électoraux : régionales en particulier. La perspective d’une hypothétique liste issue du " mouvement social ", qu’elle soit ou non conduite par Pierre Bourdieu, s’inscrit, également, dans ce contexte. De fait, le PCF libère un vaste espace d’expression. Y compris politique. Ce qu’a admis Robert Hue, lui même, lors du dernier comité national en date (juin 1998). A cette occasion, n’a-t-il pas reconnu : " Surmonter les pressions et les résistances suppose un vaste élan de la société, une dynamique constructive et efficace dont ces mouvements (les mouvements sociaux - NDA) sont une composante décisive " ? Quel aveu de faiblesse, voire d’impuissance ! Il est bien fini le temps de " l’avant-garde éclairée du prolétariat ".

La CGT en tant qu’organe vivant sent sous ses pieds ce vide grandissant. Pourquoi ne pas l’occuper ? Répondre à cette question permet de mieux comprendre pourquoi l’Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône, au travers de son comité de chômeurs, a pris en main la question des " sans-papiers " comme, plus récemment, celle des privés de logement dans ce département. Elle permet aussi de mieux apprécier la saveur des mots d’un Charles Hoareau, " charismatique " leader des chômeurs CGT du même département, lorsqu’il déclare en substance lors d’une manifestation publique : " Jospin et Juppé, c’est la même chose ". Ce n’est pas là le fruit d’un emportement ponctuel et encore moins individuel. Certes, nous sommes loin encore de voir des candidats se présenter à une élection politique sous l’étiquette " CGT ". D’ailleurs, dans l’analyse politique de l’union départementale des Bouches-du-Rhône, la mystique du mouvement social suffit à tout résoudre. La tradition anarcho-syndicaliste, bien vivace dans le pays, aidant, ce genre de comportements pourraient bien se généraliser sous peu. D’autant que les partis politiques de gauche semblent bien en peine de faire leur travail : proposer une alternative politique crédible. Dans ce contexte, l’anarcho-syndicalisme et la tentation de voir dans le seul mouvement social la clé de toute alternative au libéralisme sont appelés à grandir encore. C’est d’ailleurs le constat que dresse Jean-Marc Salmon dans son dernier livre : " Le désir de société, des Restos du cœur au mouvement des chômeurs ".

Certes, le cas des Bouches-du-Rhône est loin de faire école. Mais il est à noter que de plus en plus nombreux sont les branches et les lieux de radicalisation et de politisation de la CGT, politisation comme action politique au sens de celle que mène un parti. De manière un peu schématique certes, on peut donner ce sens à la candidature de Maryse Dumas, porte parole des " durs " de la CGT, à la candidature à la succession de Louis Viannet. Il n’y a pas, cependant, comme dans les Bouches-du-Rhône, un positionnement aussi majoritaire.

Il n’est pas inintéressant de noter que c’est dans le champ social, parmi les cadres syndicaux et associatifs, indépendamment de leur positionnement vis à vis de la politique du parti, que l’on compte la plus importante proportion de départs du PCF. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre de la bouche d’un militant cégétiste cette remarque acide lorsqu’il rend sa carte : " Je suis déjà adhérent de la CGT, je n’ai pas besoin d’un deuxième syndicat ".

Permanents depuis l’école

Enfin, que reste-t-il de l’appareil politique du PCF ? Une caste étriquée de permanents rétribués directement par le parti. De plus en plus souvent issus des rangs des permanents de la Jeunesse communiste, c’est-à-dire sans grande expérience, voire sans expérience du tout, du monde du travail et de ses réalités. Le Sud-est offre deux exemples flagrants de cette dérive. Dans les Bouches-du-Rhône, Robert Abad, avant de devenir attaché parlementaire du député-maire de Sète, François Liberti, est l’étoile montante et ambitieuse du PCF à Marseille, après avoir été un des dirigeants nationaux, rétribué à ce titre, de la JC. Dans le département voisin du Var, le nouveau secrétaire fédéral du PCF a nom Philippe Arcamone, ancien dirigeant permanent de la JC, lui aussi. Mais le Sud-est n’est pas un cas à part, loin s’en faut. A Vitry, le secrétaire de section, permanent, membre du conseil national, n’est autre que l’ancien secrétaire général de la JC, Jacques Perreux. Enfin, l’une des responsables de la communication de Robert Hue, Marie-Pierre Vieu fut, un temps, présidente de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF-SE), poste qu’elle quitta pour celui qu’elle occupe aujourd’hui...

Ces cadres du Parti, quelle consistance idéologique ont-ils ? Leur dépendance, y compris financière, vis à vis du PCF les rend plus malléables et plus enclins à suivre les revirements brutaux d’un parti déboussolé. Inutile de chercher chez eux une attitude cohérente. L’auteur citera ici une expérience personnelle. Alors membre du secrétariat fédéral de la JC dans l’Allier, vient en débat la question de l’abandon de la notion de centralisme démocratique, idée jamais réellement mise en pratique, tout au moins dans sa conception léniniste. Le débat naît entre l’auteur, opposant ferme à cette proposition, et le secrétaire fédéral de la JC en titre. Lequel se montre au départ plutôt opposé, lui aussi, à l’abandon de cette notion et favorable à ce que le PCF se donne les moyens de la faire vivre. Quelques jours plus tard, le permanent de la JC revient sur ses pas et se montre, dans des termes des plus vifs, farouchement partisan de l’abandon d’une " notion dépassée ". Un petit exemple qui illustre une démarche générale. Et qui explique comment des permanents élevés dans l’anti-socialisme primaire des années 80 se montrent aujourd’hui défenseurs acharnés, et non moins primaires, de l’alliance à tout prix avec le Parti socialiste. Quitte à en devenir rien de plus qu’un courant externe.

* * *

A ce stade, on peut commencer à se pencher sur les courants internes qui traversent le PCF moribond. Plus l’appareil communiste, le corps de ce parti qui représentait un électeur sur 4 il y a encore 30 ans, est affaibli, plus les tendances se développent, profitant de chaque signe de faiblesse pour hausser le ton.

Les refondateurs en voie de marginalisation

Les premiers à l’avoir fait, depuis les années 80, sont regroupés au sein du pôle " plural " qu’est celui des refondateurs-reconstructeurs-rénovateurs. Ayant les premiers tiré les leçons de l’échec du stalinisme mais aussi du " socialisme réel ", ils ont opté pour une refondation complète de l’idée communiste. Ce qui passe, à la fois, par le reconstruction du Parti révolutionnaire, fondé sur la démocratie interne, et l’élaboration d’une nouvelle voie vers le socialisme. A laquelle peuvent être - doivent être - associées d’autres forces de la gauche radicale. C’est là tout l’enjeu du " pôle de la radicalité " cher à Guy Hermier et qu’il tente de mettre en œuvre au sein de son bastion des quartiers Nord de Marseille. Avec ses amis regroupés au sein de Futurs - lequel rassemble plus d’ex voire de non membres du parti communiste que de militants de ce parti -, le regard lorgnant sur l’expérience espagnole d’Izquierda unida, il ambitionne de rassembler autour d’un Parti révolutionnaire refondé les forces de la gauche radicale, dont l’autre pôle majeur aujourd’hui demeure la Ligue communiste révolutionnaire dont Alain Krivine a entamé la modernisation. Ce faisant, les membres de Futurs rompent avec la conception qui opposait révolutionnaires et sociaux-démocrates pour revenir au fondamental qui considère que l’opposition de base se situe, au sein de la social-démocratie, entre réformistes et révolutionnaires. Cela dit, partisans à la fois de l’entrée au gouvernement de la gauche plurielle et de la montée en puissance des mouvements sociaux, ils reviennent à un autre fondement de la pensée politique communiste : utiliser tous les moyens d’expression pour faire grandir l’aspiration révolutionnaire. Comme quoi la " droite " du PCF n’est pas celle que l’on veut bien croire.

Enfin, avec quelques années de recul, les refondateurs communistes bénéficient de l’expérience des " italiens " du PCF des années 60. Guy Hermier qui, au sein de l’Union des étudiants communistes d’alors, joua un rôle non négligeable dans leur liquidation, reconnaît aujourd’hui : " Je ne regrette pas ce que j’ai fait, dans les conditions de l’époque. Mais, dans le fond, ce sont eux qui avaient raison ".

Après la " période faste " qu’ils ont connue à la fin des années 80 et au début des années 90, les refondateurs communistes sont aujourd’hui en voie de marginalisation. Certes, dans la théorie, Robert Hue semble leur donner des gages. Démocratisation du parti, abandon du centralisme démocratique, reprise - dans les discours - de la notion de " radicalité " peuvent être considérés comme autant d’appels du pied en direction des bouillants chefs de file refondateurs que sont Patrick Braouzec et Guy Hermier. A bien regarder la pratique quotidienne, force est de constater que le changement se limite au verbe. Mais, pour l’extérieur et singulièrement en direction des intellectuels, cela suffit pour donner un semblant d’épaisseur à une opération de séduction basée, avant tout, sur l’image. Enfin, ces avancées " concédées " aux refondateurs constituent aussi une manière, pour Robert Hue, de tenter de se doter d’un allié dans sa lutte à couteaux tirés avec les " durs " du parti. Dans le même temps qu’elles coupent l’herbe sous le pied du duo Hermier-Braouzec et limitent d’autant leur espace d’expression.

Si, en tendance, cette position se vérifie au niveau national, dans d’autres départements, le " centre " huiste joue les néo-staliniens contre les refondateurs. C’est le cas dans les Bouches-du-Rhône, par exemple. Le rapport des forces local, plus qu’une conception politique, guide en effet l’équipe de Robert Hue. Qui ne peut supporter que 3 des 5 parlementaires de son parti soient refondateurs ou, au moins, comme Jean Tardito, député maire d’Aubagne, proches de ceux-ci. Une trop grande puissance des refondateurs dans la seconde fédération communiste de Province affaiblirait par trop la ligne Hue. C’est pourquoi, après l’échec de l’équipe de Robert Bret, présenté sous les traits d’un " rénovateur ", à liquider les refondateurs, Robert Hue a laissé la voie aux néo-staliniens. Manquant d’un corpus idéologique solide et d’appuis sérieux, l’apparatchik Bret n’a pas réussi, malgré de longs et violents conseils fédéraux, à accomplir ce qui ne devait être, dans l’esprit de ses mandants, qu’une formalité. Aussi, la nouvelle direction fédérale conservatrice, groupée - après la révolution de palais de septembre 1997 - autour de l’ancien cheminot Jean-Marc Coppola, mène donc la bataille en usant de toutes les vieilles ficelles du stalinisme. Le but final, bien entendu, est la disparition de Guy Hermier, seul responsable communiste d’envergure nationale dans la région et seul capable de rivaliser, sérieusement, avec un Robert Hue passablement isolé.

C’est à cette aune aussi qu’il faut considérer la valeur de la rénovation huiste. Elle n’a plus de validité dès que le pouvoir est menacé. Dès lors, faut-il encore la prendre au sérieux ?

La vieille garde s’unit

La vieille garde conservatrice semble, pour sa part, prendre très au sérieux la tentative proclamée de rénovation de Robert Hue. Elle est peut être bien la seule à le faire, d’ailleurs. Même si elle reste encore éclatée en plusieurs sous-tendances, elle commence à travailler à son unification, consciente de ses points d’appui : Nord, Pas-de-Calais, Somme, Région parisienne, Bouches-du-Rhône, Allier. Comme par hasard, tous départements où l’implantation du PCF était déjà forte avant la 2e guerre mondiale. Mais aussi départements où l’antagonisme entre PS et PC remonte à loin, quand l’un et l’autres se disputaient le leadership politique de la gauche et donc, avec une droite réduite à peau de chagrin, sur le département. Dans un certain nombre de ses endroits, PCF et PS se le disputent encore.

Pour autant, les disparités sont grandes entre les différents courants du conservatisme communiste. Souvent en raison de l’histoire des régions dans lesquelles elle est implanté plus que pour des raisons idéologiques. Il n’y a pas grand chose de commun entre la " Gauche communiste " de Jean-Jacques Karmann et son discours ouvriériste ; le thorézisme mâtiné de guesdisme de Rémy Auchedé ; l’anarcho-stalinisme du bureau de l’union départementale CGT des Bouches-du-Rhône, acquis pour bonne part à la " coordination communiste ", ou la crispation anti-socialiste du très " marchaisien " Nicolas Marchand et de son compère Maxime Gremetz. Pas grand chose sinon la hantise de voir Robert Hue et les siens " diluer l’identité communiste " dans une alliance à tous prix avec le Parti socialiste. C’est dans ce sens que l’on peut interpréter la rencontre des oppositionnels conservateurs ˆ Paris, en octobre, au cours de laquelle ils ont lancé un " appel à une orientation de classe du PCF ". Signe des temps, Georges Hage, député du Nord (le département où est élu Alain Bocquet, président du groupe communiste à l’Assemblée), n’a pas craint de monter à la tribune aux côtés de Rolande Perlican et de Jean-Jacques Karmann.

Ce raidissement identitaire, conservateur, stigmatise la situation d’un PCF lancé dans l’inconnu. Face à l’incertitude de l’avenir quelle meilleure réponse, pour ces gens, que le repli sur soi, sur des valeurs connues, reconnues, " qui ont fait la preuve par le passé de leur efficacité " ? Pour ceux-là, le national-stalinisme du Thorez années 50 fait figure d’âge d’or. Mise à part la " Gauche communiste " et le groupusculaire " Rassemblement communiste unifié " ouvertement stalinien (par hasard implanté dans les Bouches-du-Rhône), aucun des groupes plus ou moins organisés de la vieille garde n’a de réelle ligne politique articulée, avec propositions à l’appui. C’est là sa principale faiblesse. Avec son refus, issu de ce qu’il leur reste d’idéologie léniniste, de se constituer en tendance.

Car, par ailleurs, elle dispose d’une assise solide parmi ce qu’il reste de militants au sein du PCF. Nous avons évoqué ses principaux bastions, cela ne signifie pas ses seuls bastions. Il n’est qu’à se remémorer les sifflets et huées qui ont accueilli Dominique Strauss-Kahn lors de la " Fête de l’Humanité " ou se rappeler les altercations qui ont opposé le " camarade ministre " Jean-Claude Gayssot aux militants communistes un peu partout en France pour le mesurer.

C’est là le point de ralliement de toutes les tendances conservatrices du PCF que de s’opposer à la participation au gouvernement. On se souviendra, pour mémoire, que Maxime Gremetz, député de la Somme et un des chefs de file des conservateurs marchaisiens, n’a pas voté l’investiture du gouvernement de la " Gauche plurielle ". Elles ont en commun, également, de voir en Robert Hue le liquidateur du Parti du communiste. Cette analyse est alimentée par les coups de barre successifs de Robert Hue pour maintenir le parti dans un strict alignement vis à vis du PS. Pour les conservateurs, " il faut sauver le Parti ". La question en suspens reste : sauver le PCF mais pour quoi faire ?

Les " huistes ", centristes un jour, centristes toujours

Et si c’était pour pouvoir négocier quelques places ? Raisonnant par l’absurde, on pourrait se laisser aller à dire que si le PCF n’existait plus, il n’aurait pas trois ministères. Et donc trois de ses principaux cadres " casés ". Cette " lutte des places " semble constituer la principale ambition du centre huiste. " Centre " au sens léniniste du terme. Le même qui, avec Cachin dans ses rangs, a soutenu Trotsky, Zinoviev puis Staline. Avant de condamner les attentats terroristes des premiers résistants en 1941 puis, " récupéré " par le PCF clandestin, de louer le " glorieux combat " des FTP. On peut appliquer la remarque à d’autres " éminents " cadres du PCF : Gaston Monmousseau, Pierre Sémard, François Billoux… Sans oublier le plus important d’entre eux : Maurice Thorez. Le centre, toujours majoritaire, car de toutes les majorités, aussi différentes soient-elles. Huiste aujourd’hui comme marchaisienne hier ou waldeckienne il y a 30 ans.

L’inconsistance est la seule caractéristique politique de la majorité huiste tenue, en sous main, par l’inénarrable Pierre Blotin. Ce dernier personnage constitue la caricature par excellence du centriste des années 90, avec ses revirements incessants. Ce bouillant défenseur de la " rénovation " huiste n’est autre que le liquidateur de la fédération communiste de Haute-Vienne, en 1987 ; liquidation qui donna lieu à la naissance d’Alternative pour la démocratie et le socialisme (ADS) groupée autour de Marcel Rigoult.

Combien de secrétaires de section ou de fédération peuvent se reconnaître dans l’itinéraire de cet homme, Pierre Blotin, dont l’ultime ambition était de siéger dans le fauteuil de président du conseil régional Languedoc-Roussillon ? Le ravalement démocratique de façade masque mal la persistance des vieux démons. La question centrale, celle du pouvoir, n’a toujours pas été réglée par le PCF. C’est probablement elle qui le perdra.

Il n’y a donc pas seulement trois grands courants au sein du PCF mais plutôt neuf morceaux, plus ou moins proches les uns des autres, plus ou moins perméables, plus ou moins antagonistes aussi. D’où la très juste accroche de Pierre Broué, " du monolithe à la dérive des icebergs ". C’est avec cela que Robert Hue compose aujourd’hui la politique de son parti. L’essentiel de son travail consiste à conserver tous ces morceaux à portée de la main, dans une situation de paix armée. Mis son numéro d’équilibriste pourra-t-il durer longtemps ? Alors que les conflits larvés ne demandent qu’à éclater. Le prochain échec électoral du PCF, lors des élections européennes, ne fera que raviver les tensions. Et le probable échec de la gauche plurielle devrait, en toute logique, sonner le glas du PCF. Lequel explosera alors au brusque contact du plancher politique.

Nathanaël Uhl

Marseille, novembre 1998

Paru dans Le Marxisme Aujourd’hui - Avril 1999


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