Ravalement de façade de la 5e république Le cache-misère d’une constitution sans citoyens

jeudi 15 mai 2008.
 

Dans son programme pour la présidentielle, Nicolas Sarkozy avait prévu des modifications des règles du jeu défini par la constitution française. Il disait vouloir une « démocratie exemplaire ».

Après son élection, il a mis en place le « comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la 5e République », mis sous la présidence d’Edouard Balladur.

Ce comité a rendu un rapport (voir le site) dont s’est saisi le gouvernement. Un projet de réforme de la constitution a ainsi été présenté en conseil des ministres le 23 avril 2008 (voir).

L’exposé des motifs du projet de loi expose les trois axes qui ont guidé sa rédaction :

Un meilleur contrôle de l’exécutif par le parlement, Un renforcement du rôle des parlementaires, Des droits nouveaux pour les citoyens.

Au rang du meilleur contrôle de l’exécutif sont prévues des mesures telles que la limitation à deux mandats présidentiels successifs, la limitation du nombre des membres du gouvernement, une modification des procédures de nomination de certaines personnalités, la révision du Conseil constitutionnel qui ne serait plus présidé par le président de la république, un droit de regard du parlement sur l’exécution des pouvoirs exceptionnels du président de la république ainsi que sur l’engagement des forces armées à l’extérieur du territoire.

Au rang du renforcement du rôle des parlementaires sont envisagées des dispositions nouvelles telles que la définition « solennelle » de leurs missions, l’augmentation du nombre de commissions permanentes, un partage différent de la maîtrise de l’ordre du jour au profit des élus, une contestation possible de la déclaration d’urgence, un rôle nouveau de la Cour des comptes auprès de l’Assemblée nationale, un droit de résolution - non contraignant - en matière européenne, des droits nouveaux garantis à l’opposition ...

Au rang des droits nouveaux pour les citoyens, le projet de loi prévoit le « droit de pétition » à destination d’un conseil économique et social qui se verrait accordé un droit d’intervention en matière environnementale, un droit accordé à chacun de contestation de la constitutionnalité d’une loi postérieure à 1958, la création d’un « défenseur des droits des citoyens » qui s’estimeraient lésés par le fonctionnement d’un service public.

Quelle analyse pouvons-nous faire de ce projet de révision de la constitution ?

Tout d’abord, la réforme envisagée prolonge ce qu’on appelle le « parlementarisme rationalisé ».

Celui-ci fut mis en place grâce à la constitution de la 5e république de 1958 qui donnait un rôle important au président de la république. Ce rôle fut accru en 1962 avec son élection au suffrage universel. Il s’est ainsi établi une double légitimité, celle du président et celle des assemblées. Les prérogatives de l’un et des autres entraient forcément en conflit. L’encadrement des missions et du travail parlementaire par la constitution a été appelé « parlementarisme rationalisé » par Michel Debré lui-même. Or, la rationalisation, qu’elle soit industrielle ou institutionnelle, est toujours le fait d’un pouvoir qui s’exerce par-dessus l’objet à organiser. Aujourd’hui, la rationalisation est appelée « modernisation ». C’est le terme utilisé dans le projet de loi et la procédure simplifiée d’adoption des lois qu’il prévoit constitue bien un encadrement accru du travail des assemblées. De même, le périmètre respectif des domaines législatif et réglementaire, laissant une large capacité de décision au gouvernement, n’est pas modifié.

Ensuite, la réforme ne choisit pas entre le présidentialisme et le parlementarisme. La dyarchie entre le président et le gouvernement - et surtout le premier ministre - est maintenu. Alors que, par exemple, le projet de loi supprime l’ambiguïté des rôles respectifs du premier ministre et du président en matière militaire, le premier ministre restera cependant le seul responsable devant l’assemblée. Le président, quant à lui, sera toujours entièrement irresponsable, n’ayant de compte à rendre à personne, ni aux parlementaires ni aux citoyens. Nous aurions pu penser que dans le cadre d’une « démocratie exemplaire » et de l’élection du président au suffrage universel, un droit de pétition révocatoire sur l’initiative des citoyens soit institué, par exemple. Nous aurions pu penser que pour supprimer cette dyarchie au sommet de l’état, il soit envisagé de supprimer le poste de président de la république pour mettre en place un régime primo-ministériel qui aurait placé l’exécutif sous le contrôle de la représentation nationale.

Rien n’est prévu en terme de limitation des cumuls des mandats et des fonctions. En particulier, le mandat unique de parlementaire est totalement absent du projet de réforme. La concentration des fonctions, donc des pouvoirs, reste une habitude.

Aucune mesure ne vient obliger au pluralisme des opinions au sein des assemblées, et a fortiori au sein des media. Quand l’opposition est mentionnée dans le texte, c’est au singulier, comme s’il y avait volonté aussi de « rationaliser » les oppositions.

Rien ne vient ouvrir la voie à l’intervention citoyenne dans le domaine législatif. D’une élection à l’autre, les élus sont intouchables du point de vue institutionnel. On aurait pu, par exemple, instituer un Référendum Révocatoire d’initiative Populaire obligeant les élus ( Président de la République compris) et les Assemblées parlementaires à remettre leur mandat en jeu quand un nombre significatif d’électeurs concernés le demande, comme au Venezuela.

On aurait pu également instituer une « Convention des Citoyens » comme il en existe dans certains pays d’Europe : un certain nombre de citoyens, volontaires, tirés au sort, ont pouvoir de délibérer sur un sujet donné, en dehors de toute pression, après formation et informations approfondies de manière contradictoire. Leurs délibérations, rendues publiques, doivent faire l’objet d’un débat parlementaire.

Rien de tout cela ne figure dans le projet

Ce projet de réforme de la constitution oscille entre le risible, l’inoffensif et l’inquiétant. Risible, par exemple, le droit du président de la république à venir s’exprimer devant l’assemblée nationale, mais sans que son discours ne donne lieu à aucun vote. Inoffensif, par exemple, le droit du parlement à rédiger des résolutions en matière européenne, mais ces résolutions n’ont aucune valeur contraignante. Inquiétant, par exemple, le fait que le comité Balladur avait prévu de mieux encadrer la déclaration de l’état d’urgence. Or, cette disposition a disparu du projet de loi, ce qui signifie que nous sommes toujours sous la menace de la loi du 3 avril 1955 instituant l’état d’urgence.

Ce projet de réforme ne devrait pas provoquer de grandes réactions de rejet de la part des partisans de la constitution actuelle.

Mais, pour ceux qui veulent renforcer la démocratie et l’intervention citoyenne, elle ne supprime pas la nécessité de changer en profondeur les règles du jeu institutionnel en France. C’est un autre chantier.

Didier Brisebourg, avec le concours de Jean-Claude Bauduret


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