Mai 68 - Mai 2008 : bilan provisoire

samedi 10 mai 2008.
 

Nous n’avons pas vécu Mai 68, et nous ne pourrons pas revivre ces évènements tels qu’ils se sont produits. Il n’est donc pas nécessaire d’en faire notre seul et ultime point de repère par rapport aux mouvements d’aujourd’hui. En mai 2008, la plupart des étudiants ont des parents qui n’ont pas "fait" Mai 68 mais ont vécu leur jeunesse dans les années qui suivaient.

Ce mois de mai est devenu un souvenir flou, et l’occasion pour les médias inféodés à l’ordre établi de faire un bon coup de pute...euh... de pub. De planter le décor et un énième coup de couteau dans l’énergie et les traces de cette période de révoltes.

Les soixante-huitards médiatiques (Dany Cohn-Bendit, Serge July, mais aussi Bernard Kouchner...) sont ceux que le Pouvoir (économique, politique, médiatique, publicitaire) tolère parce qu’ils ont été récupérés et lissés par le temps, l’argent, le pouvoir et la gloire. Et donc parce qu’ils proposent une vision très restreinte et orientée de ces évènements. Comme l’écrit si bien Kristin Ross, « réduire un mouvement de masse aux itinéraires de quelques uns de ses soi-disant leaders, porte-parole ou représentants (plus particulièrement ceux qui ont désavoué “ leurs erreurs du passé ”), constitue une vieille tactique de confiscation, aussi efficace qu’éprouvée. Ainsi circonscrite, toute révolte collective est désamorcée, et donc réduite à l’angoisse existentielle de destinées individuelles. Elle se trouve ainsi confinée à un petit nombre de “ personnalités ” auxquelles les médias offrent d’innombrables occasions de réviser ou de réinventer leurs motivations d’origine. »

Mais 68 ce n’est pas qu’au mois de mai, ce n’est pas qu’à l’université, ce n’est pas qu’à Paris, ce n’est pas qu’en France ! Depuis le début des années 60, partout, les dominés se réveillent. Contre le colonialisme, contre le patriarcat, contre la guerre au Vietnam, contre la domination des ricains d’un côté, des bureaucrates "socialistes" de l’autre. En 1968, une conjonction se fait entre des situations assez différentes. Au Mexique, le mouvement étudiant de l’université de Mexico est réprimé dans le sang. En Italie, un véritable lien s’établit entre ouvriers et étudiants. En Tchécoslovaquie, le Printemps de Prague lutte pour un socialisme authentique, libre, autogestionnaire. Les dictatures fascistes (en Espagne ou au Portugal) ou d’appareils bureaucratiques-policiers sclérosés (en Tchécoslovaquie ou en Pologne) sont mises à mal. Aux USA, au Japon, en Allemagne, ou encore chez nous- notamment à l’ULB qui s’en vante tant que cela se conjugue au passé- le peuple se bouge contre l’ordre établi. Le diktat imposé par la société du travail et de la consommation marchande est contesté.

Des milliers d’étudiants découvrent le Politique et reprennent le pouvoir au Pouvoir. Des barricades se dressent, des facultés sont occupées, les murs peinturlurés de slogans ravageurs. Ils réalisent que "tout est politique", y compris les relations homme-femme, le contenu des cours ou l’art... Et puis les ouvriers et les employés les suivent, malgré la grande méfiance du syndicat "communiste" CGT, qui se méfie d’une lutte qu’il ne contrôle pas. Des étudiants tentent d’établir le contact avec les millions de grévistes (150 millions de journées chômées cette années-là, un chiffre énorme !) mais cela ne fonctionne pas toujours, surtout que la CGT met tout son poids pour les séparer. Il s’agit d’un mouvement révolutionnaire, ne serait-ce que parce qu’il touche pour la première fois un pays qui connaît l’abondance des Golden Sixties et le chômage marginal (10 à 20 fois moindre qu’aujourd’hui !). La France est paralysée : les ventes de livres dans la capitale augmentent de 40% au cours des mois de mai et juin 1968. Aucun secteur professionnel n’est épargné ; il n’y a pas de ville ou de village français qui échappe à la grève générale.

Pourtant, le général de Gaulle, Pompidou, et déjà Chirac trouveront avec l’aide de la CGT une sortie à la crise. Heureusement, tout comme beaucoup de luttes précédaient 68, beaucoup lui succèderont. Mai 68, ce n’est donc ni un début, et encore moins une fin. C’est un paroxysme. Aujourd’hui, on peut en tirer des leçons intéressantes. Ce paroxysme a prouvé qu’un mouvement de masse, insurrectionnel, unissant étudiants, ouvriers et employés, immigrés et chômeurs, était possible dans nos pays (trop) "riches". Il a montré aux socialistes (au sens large !) que l’hypothèse anticapitaliste n’était possible qu’en étant aussi libertaire. Et que le sectarisme de groupuscules ne saurait tenir lieu de mode de fonctionnement.

En 2008, la guerre civile continue, souvent latente, et le néolibéralisme utilise la compétition comme technique de contrôle des esprits et des corps. Face à cette domination, des milliers de jeunes et de moins jeunes se sont levés contre la globalisation capitaliste à Seattle en 1999, à Gênes en 2001, ou encore à Rostock l’année dernière. Les manifestations contre la guerre en Irak furent beaucoup plus précoces et massives (avec un puissant effet symbolique) que celles des années 60 pour le Vietnam. Et au Mexique, pays dont on parle trop peu chez nous, deux mouvements importants ont semé les graines de la révolution : au Chiapas, depuis 1994, les indigènes se rebellent contre le gouvernement, tandis qu’en 2006 c’est à Oaxaca qu’une Commune libre s’est érigée contre les larbins des multinationales et leur gouvernement mafieux soutenu par l’Empire américain. En France, les mouvements de 2006 qui s’opposaient au CPE et ceux contre la Loi "LRU" du "gouvernement Sarközy-Fillon" et les suppressions d’emplois d’enseignants qui ont eu lieu cette année montrent qu’une jeunesse politisée n’est pas un rêve de vieux gauchiste. Les grèves se multiplient aussi, malgré le rôle néfaste des dirigeants de la CGT et la CFDT. Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa, de son vrai nom, et ses copains (Benoît XVI et les multimilliardaires) auront du mal à "liquider" complètement "l’héritage de Mai 68" !

Chez nous, le réveil est lent, mais il ne tardera pas. La grève de 2005 contre le "Pacte" néolibéral du gouvernement Verhofstadt qui s’attaquait aux droits des prépensionnés, là aussi avec une compromission claire des chefs syndicaux, en est un signe. Les nouveaux mandarins de l’université, technocrates gestionnaires et propagateurs de la doxa néolibérale, ont récupéré 68 comme une image de marque, un outil publicitaire à l’usage des nouveaux étudiants, mais pervertissent ses aspirations d’autonomie, de liberté pour mieux nous jeter dans les bras de l’université comme société marchande gérée en tant qu’entreprise banale et pour les entreprises (publiques ou privées). Les publicitaires ont retourné l’envie de vivre des nouvelles générations pour étendre l’emprise des biens marchands sur nos désirs...

Oui, les réactionnaires tentent d’effacer le spectre des alternatives radicales qui ont émergé alors, mais ce n’est pas si grave, puisque loin de nous tourner vers un passé "glorieux", nous pouvons regarder émerger ici et maintenant les potentialités d’un ailleurs réellement démocratique, où l’être humain désaliéné pourra libérer tout son potentiel créateur et profiter de la vie. L’empire de la bureaucratie centralisée s’est effondré, l’empire du moindre mal où l’on perd sa vie à la gagner suivra le même chemin. On ne sait ni quand, ni comment, mais on sait que c’est à nous d’agir et de réfléchir pour orienter le changement. La révolution survient quand on s’y attend le moins.

"L’important, c’est que l’action ait eu lieu, alors que tout le monde la jugeait impensable. Si elle a eu lieu cette fois-ci, elle peut se reproduire..." (Jean-Paul Sartre, 1968)

L’espoir est permis... :

"Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi !"


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