“1968, tout un peuple en marche” (colloque CFDT)

dimanche 4 mai 2008.
 

Le 22 avril à l’Opéra Bastille, à Paris, personnalités et témoins de l’époque ont débattu, devant 600 militants CFDT, sur le thème “1968, tout un peuple en marche, 2008, l’émancipation en héritage ”.

D’entrée, Anousheh Karvar, secrétaire nationale, cite l’historien Michel de Certeau : « En 68, on a pris la parole comme en 89 on a pris la Bastille. » Un clin d’œil au lieu symbolique où la Confédération avait invité plus de six cents militants, sympathisants et personnalités pour un colloque sur Mai 68. Jacques Julliard, éditorialiste au Nouvel Observateur et ancien membre de l’exécutif du Sgen, se demande comment qualifier, quarante ans plus tard, ces semaines particulières que l’on ne sait toujours pas nommer : « On parle des événements de Mai 68, mais cela n’est pas satisfaisant, pas plus que révolution ou émeute. »

Alors, que s’est-il passé en Mai 68 ? Anousheh Karvar développe la relation complexe entre le mouvement étudiant et celui des travailleurs, avec une CGT alors cornaquée par le PCF, plus que réticente, et une CFDT plus ouverte au caractère spontané et libertaire des jeunes, même si le syndicat se méfie des groupuscules gauchistes.

Un événement à resituer dans le contexte. Comme Alain Geismar, alors secrétaire général du syndicat enseignant Snesup, chacun s’accorde sur le fait que « Mai 1968 n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein ». Pour lui, les journées de Mai s’inscrivent dans le contexte de la décennie 1963-1973 : la fin de la guerre d’Algérie, les grèves de mineurs, les jeunes qui découvrent les concerts de Salut les copains et un mouvement social qui prend de l’ampleur. De surcroît, l’université est en crise : « Elle décroche par rapport aux standards internationaux. On y enseigne les maths comme au siècle dernier, et l’anglais comme une langue morte. » Pour Edmond Maire aussi, Mai 1968 est l’expression, dans les entreprises, d’un refus des rapports hiérarchiques, « du caractère sacré du commandement », de plus en plus insupportable. « Dès 1965, la Fédération de la chimie mettait, en exergue de son rapport d’activité, une phrase de Sartre » qui disait en substance que l’idéologie est une pensée symbolique produite par les faits sociaux.

Marie-Colette Patin, ouvrière bobineuse à La Lainière de Roubaix (5 800 salariés), a commencé à travailler à l’âge de 16 ans, en 1962. Passée naturellement de la Joc à la CFTC, elle participe à l’évolution et, comme ses camarades, devient militante CFDT en 1964. Pour elle, Mai 1968 est le résultat de la montée en puissance d’un mécontentement dans l’entreprise. En 1967, la CGT et la CFDT avaient lancé des mots d’ordre de grève contre des licenciements. Marie-Colette raconte comment, dès le début de mai, s’est formé un comité de grève. Pour elle, Mai 1968, c’est d’abord la libération de la parole, la solidarité, la dureté du combat. « Il fallait tenir. On parlait de tout, des conditions de travail, de vie, du logement, de la santé, du service public. Nous n’étions plus des objets de production mais des acteurs. » À cet instant, Edmond Maire veut exprimer « sa colère et son indignation » de voir Mai 1968 résumé, comme on le fait depuis des semaines, à un affrontement entre étudiants et CRS. « On minimise ce qui s’est passé chez les ouvriers et chez les cadres. » Outre le moment émancipateur, la suite immédiate de 68 a été aussi importante socialement. Les grèves de Penarroya, du Joint français, des filles de la Cerisaie, de Lip, « les conditions de travail qui changent, le réformisme déjà ». Et de regretter qu’on ne parle plus des ouvriers et des employés. Marie-Colette Patin insiste : « Oui, le droit syndical dans l’entreprise, passer le Smig de 2,22 francs à 3 francs de l’heure, ce n’est pas rien, tout de même ! »

Une originalité française. Lorsque Jacques Julliard passe la parole à Édouard Balladur, conseiller du Premier ministre Georges Pompidou en 1968, la salle retient son souffle. « Pour moi, Mai 1968 montre une originalité française. Une crise universitaire, des grèves, une crise sociale qui débouche sur une crise de régime. » Mais l’ancien Premier ministre constate, non sans satisfaction, qu’il n’y a pas eu de bain de sang et que le gouvernement n’a pas été renversé : « Le mouvement de Mai était divisé politiquement et socialement. Pompidou a choisi de laisser la Sorbonne et l’Odéon occupés par les manifestants et a joué sur la division des syndicats. » Comme Alain Geismar reproche à la CGT d’avoir cassé un mouvement qu’elle ne contrôlait pas, Édouard Balladur explique qu’il fallait trouver une porte de sortie honorable pour tout le monde. Cette issue a été la négociation des accords de Grenelle. Edmond Maire réagit : « Il n’y a pas eu d’accords à Grenelle. Personne n’a signé. » Édouard Balladur lui répond : « Appelons cela un constat, si vous préférez. Un constat, d’accord, puisque, même après le rejet par Renault Billancourt, nous avons appliqué les dispositions. » Et, sous les applaudissements, l’ancien Premier ministre reconnaît que « Mai 1968 a été un moment d’émancipation économique, sociale, culturelle et politique. Rien n’a plus été pareil ensuite ». Faisant allusion à l’invective sarkozienne, il ajoute : « On ne liquide pas Mai 1968, c’est vain et un peu naïf de le penser. » En conclusion de son intervention, Édouard Balladur avoue « avoir beaucoup appris en 68 ». Notamment que mieux vaut une négociation et un contrat qu’une loi imposée.

Que reste-t-il de Mai 68 ? L’animateur de cette deuxième table ronde, Hervé Hamon, auteur avec Patrick Rotman du livre Génération (en savoir +), aborde la question sous forme de métaphore aéronautique : « La phase la plus difficile, c’est l’atterrissage. » François Dubet, sociologue des mouvements sociaux, développe une thèse pessimiste. Pour lui, quarante ans après, « tout a basculé. La pensée scolaire est redevenue conservatrice, notamment à cause des syndicats, les mouvements utopistes restent très minoritaires et les gens pensent qu’ils vivront moins bien que la génération qui les a précédés. Ce n’est plus sur la question ouvrière que se focalise la question sociale, mais sur les quartiers, l’exclusion, la peur du lendemain. Il valait mieux avoir 20 ans en 1968 qu’aujourd’hui. » Françoise Picq, sociologue des mouvements féministes, n’est guère plus optimiste. Elle évoque Mai 68 et ses suites comme une période où tout est politique, y compris la vie privée. C’est le moment où, avec humour, les femmes déposent une gerbe de fleurs au monument du soldat inconnu parce qu’il y a plus inconnu que le soldat : sa femme. La sociologue rappelle que le grand combat d’après 68 a été celui pour la liberté de l’avortement avec le Mlac, dont Jeannette Laot, secrétaire nationale de la CFDT, était vice-présidente. Aujourd’hui, elle constate, comme partout ailleurs, un ressac : « Les acquis sont peu remis en cause, mais la question des femmes a cessé d’être centrale. »

Ne pas céder à la morosité. François Chérèque, lui, refuse de céder à la morosité, qui ne peut être un moteur pour l’action syndicale. Sans méconnaître les difficultés, il veut croire qu’« il est toujours possible de rêver ». Pour le secrétaire général, la réforme amorcée en 1968 avec la section syndicale d’entreprise trouve, par exemple, son prolongement dans celle de la représentativité. Selon lui, le monde a changé ; la crise économique des années 1970, la mondialisation forcent à s’adapter. Mais, au fond, « l’autogestion, c’était la recherche de l’autonomie et de l’émancipation vis-à-vis des églises en 1964, des partis politiques en 1985 et 1995 et de la liberté individuelle. » Sur les jeunes, François Chérèque est en désaccord avec François Dubet : « Pour nous, il existe des réponses aux inquiétudes des jeunes en termes de formation, d’insertion dans l’emploi et de sécurisation des parcours professionnels... »n


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