Pourquoi la gauche doit refuser la réforme des institutions (par Paul Quilès)

lundi 28 avril 2008.
 

Dans quelques jours, le Parlement aura à se prononcer sur la réforme des institutions voulue par Nicolas Sarkozy. On entend dire qu’il s’agirait d’une grande avancée destinée à équilibrer les pouvoirs, en limitant ceux du Président et du gouvernement. Qu’en est-il en réalité ?

La décision prise en 1962 d’élire au suffrage universel le Président de la République a transformé la légitimité du pouvoir exécutif sous la Vème République. Le général De Gaulle n’affirmait-il pas le 31 janvier 1964 que « l’autorité indivisible de l’Etat est déléguée tout entière au Président de la République ; qu’il n’y a aucune autorité ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire qui puisse être conférée ou maintenue autrement que par lui... » ? Ces institutions portaient en elles les dérives auxquelles on a assisté : accentuation du prétendu « domaine réservé » du Président, effacement du Premier ministre, Parlement corseté et sans réel pouvoir.

Ce n’est malheureusement pas la « modernisation » voulu par l’hyper- président actuel qui changera les choses. En effet, au-delà des améliorations qui sont annoncées concernant de nouvelles prérogatives pour le Parlement et dont je ne plaindrai pas*, cette réforme risque au contraire de consolider, si elle est votée, la pratique personnelle du pouvoir dans laquelle Nicolas Sarkozy s’est engagé depuis son élection.

Jusqu’ici, le premier ministre et les ministres exécutaient, en période de coïncidence des majorités présidentielle et parlementaire, la politique sur laquelle le Président de la République avait été élu. Mais celui-ci se réservait un rôle d’expression d’un intérêt national supérieur, au-delà des clivages du moment. Le Premier ministre, de son côté, conservait une marge d’autonomie à la fois dans la formulation détaillée des politiques et dans la réponse aux difficultés de la conjoncture. Son autorité sur les administrations confortait cette autonomie. Ce n’est qu’en cas de nécessité ou pour définir une ligne de conduite en matière internationale ou de défense que le Président intervenait directement en faisant jouer le poids de son autorité propre. Le Premier ministre avait en outre la tâche plus particulière de veiller à la cohésion de la majorité parlementaire.

En accaparant de fait la totalité du pouvoir exécutif, Nicolas Sarkozy remet en cause cette pratique. Non seulement il dicte aux ministres la conduite générale à tenir dans les différents domaines de l’action publique, mais il leur fait prendre telle ou telle mesure ponctuelle qu’il juge opportune.

On comprend dès lors pourquoi il tient tant à ce que la Constitution lui permette de s’adresser directement au Parlement, donnant ainsi une base juridique à sa pratique des institutions. Le gouvernement, pourtant responsable devant l’Assemblée nationale, n’aurait plus qu’un rôle d’exécution et de mise en forme législative des annonces présidentielles.

Un Président irresponsable

D’après la Constitution, le Parlement n’a aucun moyen de contraindre le Président de la République à rendre compte de son action, à la justifier et encore moins à démissionner. Son intervention devant le Parlement aggravera cette situation déjà préoccupante. C’est lui qui décidera seul du moment de son allocution. Il n’aura à répondre à aucune interpellation. Son discours ne pourra tout au plus donner lieu qu’à des commentaires auxquels il ne sera pas tenu de réagir.

L’irresponsabilité du Président a trouvé jusqu’ici une atténuation dans la responsabilité du gouvernement. Tant que ce dernier garde un rôle propre et qu’il agit en fonction d’un programme approuvé par l’Assemblée nationale, les procédures habituelles du contrôle parlementaire gardent leur pertinence. Si, en revanche, le gouvernement perd toute autonomie politique, les débats parlementaires en présence des ministres s’apparentent à un théâtre d’ombres. Le Parlement se trouve privé de toute possibilité de débattre des circonstances dans lesquelles ont été prises la plupart des grandes décisions politiques, puisqu’elles procèdent directement du Président de la République.

Quant aux mesures destinées à renforcer les pouvoirs du Parlement, certaines d’entre elles représenteraient un réel progrès, si le travail parlementaire ne se limitait pas désormais à la transposition législative et réglementaire des choix préalables du Président. Pour la majorité, il ne s’agit plus que d’un ajustement à la marge de textes écrits ailleurs et, pour l’opposition, d’interpellations et de critiques adressées à un gouvernement privé de toute capacité d’action autonome.

Sous son apparence anodine, le pouvoir d’intervention directe du Président de la République devant le Parlement ne manquerait pas de provoquer un changement fondamental des règles du jeu politique, en renforçant le pouvoir d’un seul. C’est ce que Nicolas Sarkozy appelle « une démocratie exemplaire » ! Décidément, avec lui, les mots finissent par perdre leur sens.

* La plupart d’entre elles figuraient dans mon livre « les 577, des députés, pour quoi faire ? » (avril 2001)


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