Société de l’information Pour un débat public sincère et fraternel (texte de la motion socialiste Rassembler à gauche)

samedi 8 juillet 2006.
 

Nos concitoyens sont en quête de sens et d’avenir dans un monde où le progrès social n’est plus assuré. La crainte légitime de la précarité généralisée explique les mobilisations actuelles. Loin de s’éloigner de la politique, les français s’y engagent quand ils sont interrogés ou directement concernés. Ils échangent toujours leurs idées dans le cadre de leurs réseaux sociaux mais aussi sur Internet, multiplicateur de débats, média qui permet d’être à la fois acteur et récepteur. En échangeant par mails, sur des blogs - plus de 25 millions de français utilisent Internet- on apprend, on convainc, on s’interroge. La Toile modifie ainsi fondamentalement la perception médiatique. Elle est ainsi une réponse directe à la pensée unique, à la crise démocratique et aux modèles de communication pyramidale. Elle permet d’acquérir un savoir et d’échanger de la connaissance. C’est aussi le biais par lequel une grande partie de la jeunesse entre dans le débat et s’y trouve une place. Les échanges actuels sur le CPE le démontrent encore.

Ces nouveaux usages ont révélé des comportements qui sont aujourd’hui voués aux gémonies par certains. Le plus emblématique est sans conteste la technologie dite peer to peer (p2p), point de départ du débat en cours à l’Assemblée nationale sur le projet de loi Droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI), qui suscitent aujourd’hui des centaines de milliers d’échanges sur Internet. C’est la fameuse question de la licence globale (forfait de 5 à 9€ sur l’abonnement Internet contre droit à l’échange de fichiers non libres de droit), adoptée, retiré, réintroduite, évacuée par la majorité actuelle. Pourtant, si ce point a été privilégié par les médias, le projet DADVSI a un impact décisif sur l’ensemble des thèmes en débat sur les NTIC : logiciel libre, brevetabilité du logiciel, interopérabilité, indépendance nationale, droit de copie privé, enseignement, bibliothèques et médiathèques, recherche...

1/ Pour une nouvelle économie de la culture. Les industries culturelles via le gouvernement essaient aujourd’hui d’interdire les logiciels d’échanges et de partage au motif qu’il détruirait la création. Le paradoxe devient grand quand le Ministre de la culture affirme que la diversité culturelle et les auteurs seraient en danger en raison des échanges p2p nécessitant de la part de l’Etat un indispensable soutien aux multinationales. Que le téléchargement ait un impact reste à prouver. Que la diversité culturelle soit menacée par les internautes contre les multinationales, c’est un non sens ! Un rapport de l’OCDE publié en juin 2005 montre qu’il n’y a pas de lien de cause à effets entre baisse des ventes de CD et échanges par p2p (prix prohibitif de vente, offre de plus en plus restreinte, concentration industrielle, dématérialisation, vente on line par les distributeurs, baisse de revenu des ménages, nouvel usage qui n’aurait pas impliqué l’acte d’achat. Cette technique est devenue un usage courant, pratiquée dans tous les milieux. Le lobby des marchands de culture essaie de transformer le droit d’auteur en rémunération des seules maisons de productions. Dans l’industrie du disque, par exemple, la part reversée aux auteurs et interprètes est de l’ordre de 15 % et cela même aujourd’hui alors que les supports et la distribution disparaissent au profit du téléchargement ! Faut-il dès lors opposer les « pirates » de 7 à 77 ans, qui encourent des peines sans cesse alourdies par le gouvernement, aux créateurs d’œuvres de l’esprit ? Il n’est nullement question de remettre en cause le droit des auteurs à une juste rémunération mais bien d’adapter notre système après une large concertation aux nouveaux usages nés des TIC dans l’intérêt des artistes et des citoyens et non des seules « majors ». L’urgence que le gouvernement a imposée pour le vote du projet DADVSI prive le citoyen d’un débat public sincère et rationnel et interdit à de nombreux acteurs concernés de faire entendre leur voix. S’il y a une urgence, c’est celle de ne pas voter à la hussarde un texte qui aura des conséquences très importantes pour l’ensemble du champ culturel, économique, scientifique et éducatif français.

2/ Pour la défense de l’exception culturelle et des libertés. Le coeur du projet Dadvsi, a pour objectif de restreindre et pénaliser l’usage des œuvres numériques en légalisant les Dispositifs de Contrôle d’Usage (DCU ou DRM en anglais). S’oppose ici deux visions : le système du copyright anglo-saxon et celui dit de la copie privée (le droit qu’a chacun de réaliser des copies d’œuvres à usage personnel et la rémunération en contrepartie des ayants droits par le biais d’une taxe sur les supports), une des bases de l’exception culturelle française. Si le projet de loi est adopté, demain, vous ne pourrez plus écouter votre musique que sur certains types de matériels (impossible sur autoradio par exemple) ou grâce à certaines marques de produits ou de logiciels comme Microsoft Windows. Comment justifier l’existence d’une redevance sur les supports (dont il faut rappeler que 25% des sommes collectées sont affectées au soutien de la création artistique) si la copie privée est interdite ? Comment justifier en effet que certaines de ces DCU puissent espionner à leur insu les utilisateurs qui accèdent à des oeuvres sur un ordinateur relié à l’Internet et récupérer des données individuelles, pratiques incompatibles avec la loi informatique et libertés.

3/ Pour la défense de l’industrie française. Comment justifier enfin l’appui de la France à Microsoft contre l’industrie des logiciels libres particulièrement importante dans notre pays ? En effet, les DCU actuelles sont incompatibles avec le Logiciel Libre. Les utilisateurs de logiciels libres devront dont acheter des systèmes d’exploitation comme Windows ou Apple pour pouvoir lire légalement les oeuvres qu’ils auront achetées. Au-delà des conséquences économiques il faut signaler les conséquences pour notre sécurité nationale. Si l’armée française se fait développer sur mesure un système d’exploitation reposant sur le logiciel libre Linux, ce n’est pas tout à fait par hasard, c’est même probablement qu’elle a de bonnes raisons de ne pas se reposer sur un système d’exploitation américain... A ce titre, il est intéressant de noter qu’un nombre significatif des pays de l’ASEAN ont fait développer un système d’exploitation basé sur le logiciel libre Linux, pour leurs administrations et l’enseignement.

4/ Pour la défense de l’enseignement, de la connaissance et de la recherche. Le gouvernement n’a pas voulu retenir l’exception pédagogique à fins d’enseignement et de recherche pourtant prévue par la directive européenne et appliquée depuis trente ans aux Etats-Unis. Ainsi les universitaires, enseignants et chercheurs ne pourront plus utiliser de copie d’images, de films, documentaires, sons à des fins notamment pédagogiques. Ainsi, les bibliothèques et médiathèques n’auront plus d’avenir dans cette société de l’information. Dès leur plus jeune âge, et tout au long de leur scolarité, les jeunes français ne découvriront que le monde américain Windows. Une fois sur le marché du travail, leurs compétences en informatique se limiteraient à ce monde, les employeurs n’auraient d’autre choix que de faire avec et le projet de loi DADvSI aurait ainsi imposé en pratique la totale domination de la société américaine Microsoft en France via le formatage précoce des cerveaux en milieu scolaire.

Face à ce scénario orwellien, ou sarkozien, une autre vision existe. Elle pourrait promouvoir après une large consultation de nouvelles formes de rémunérations complémentaires pour les auteurs, lutter contre la fracture numérique plutôt que de contraindre les Internautes, chercher à mettre en avant la diversité culturelle et la diffusion des œuvres de l’esprit, soutenir le logiciel libre et gratuit plutôt que Bill Gates, lutter contre la brevetabilité logiciels, privatisation de l’intelligence, favoriser l’enseignement plutôt qu’Universal etc. Ces deux visions s’opposent en tout cas presque philosophiquement : le progrès technologique doit-il servir à perpétuer l’ordre établi et à perfectionner la surveillance généralisée ou bien à fonder de nouveaux modèles et de nouvelles solidarités ? Derrière les débats sur le projet de loi DADVSI pointent des enjeux de civilisation. Les sociétés occidentales sont devenues des sociétés de services. Le dernier bien assujetti au monde marchand est le savoir. L’éducation, la recherche, la création deviennent des armes dont la finalité pour beaucoup est le bénéfice économique. Dans ce contexte, les grandes firmes détentrices de brevets et autres droits d’exploitation des œuvres de l’esprit veulent restreindre l’accès à cette connaissance. La conception malthusienne de la rareté est appliquée au savoir comme dernier bien exploitable sur la planète. A l’heure de la mondialisation, certains souhaitent recréer des restrictions à la circulation des idées pour recréer de la richesse. Mais la culture, l’enseignement, la connaissance, l’intelligence ne sont pas des marchandises !

Les millions de personnes qui téléchargent aujourd’hui sur Internet seront dès demain des délinquants. Les utilisateurs de logiciel libre seront obligés d’acheter Microsoft ou Apple. Les informaticiens français ne pourront plus travailler à l’élaboration de logiciels d’échanges, des start-up mettront la clef sont la porte. Vos échanges sur Internet seront pistés. L’enseignement ne sera possible que sur des documents papiers. Vos disques, votre musique ne vous appartiendront plus, vous ne pourrez en effet la copier...

La droite ne respecte que ses amis et oublie l’intérêt général, l’intérêt de la France, des françaises et des français. Cela n’étonnera donc que le Président de l’UMP et le gouvernement que nos concitoyens manifestent dans la rue.


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