LIBERTES FONDAMENTALES Echange Raoul-Marc JENNAR - Daniel BENSAID

mardi 1er avril 2008.
 

1 - Raoul-Marc JENNAR

Je n’ignore pas votre héritage historique et la lutte contre le despotisme bureaucratique qui fut celle des vôtres, mais il me semble nécessaire de rappeler, non pour exprimer une divergence, mais pour souligner de possibles convergences, à quel point des gens comme moi sommes attachés aux libertés fondamentales telles qu’elles ont émergé depuis la Magna Carta jusqu’à la Déclaration universelle des droits de l’Homme et les conventions internationales qui la précisent. Nous avons démontré ensemble que la « charte européenne des droits fondamentaux » ne pouvait en aucune façon nous satisfaire parce qu’elle ignorait très largement les droits collectifs indissociables des droits individuels.

Je voudrais pour ma part souligner quatre libertés qui me semblent, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, mériter notre attention et notre engagement :

a) la liberté de ne plus vivre dans la peur : trop de populations, sous toutes les latitudes y compris chez nous, vivent dans la peur : le peur des agressions individuelles, mais aussi la peur du contremaître (mais oui, le 19e siècle continue dans bien des usines et des ateliers, clandestins ou non), la peur de toutes les formes d’exclusion, la peur des agents de sécurité privés ou publics, du poids du crime organisé, des puissants du régime. Cette peur est une réalité massive dans bien des pays occidentaux comme dans beaucoup de pays dits du Sud ; elle est souvent passée sous silence, car elle est la moins visible. Elle imprègne la vie des milliards de personnes sur notre terre ; elle constitue une agression intolérable contre la dignité qui est en chaque être humain ;

b) la liberté de ne plus vivre dans la misère : je ne crois pas devoir élaborer. La misère prive tout être humain de la capacité d’exercer tous les droits qui lui sont reconnus. Et cette misère, dans un monde qui n’a jamais produit autant de richesses, ne régresse que trop lentement et frappe des couches nombreuses des populations du Sud et du Nord ;

c) la liberté d’expression : aucune concession ne peut être tolérée en ce qui concerne cette liberté et il me plaît de rappeler cette superbe réaction de Rosa Luxemburg à la manière dont se déroulaient les évènements dans la Russie de Lénine : « la liberté, c’est d’abord la liberté de celui qui pense autrement » ;

d) la liberté de culte, c’est-à-dire à mes yeux, la laïcité qui elle seule garantit la liberté de croire ou de ne pas croire et neutralise l’espace public qui est l’espace commun où la liberté des uns ne peut agresser celle des autres. La remontée en puissance du fait religieux doit nous faire devoir d’expliquer que la laïcité est la forme la plus organisée de la tolérance.

Je crois qu’il ne suffit pas de rappeler le rôle historique des vôtres contre le stalinisme et le socialisme bureaucratique pour offrir des garanties sur l’attachement incontournable à ces libertés. Concéder sur les libertés, c’est admettre que la fin justifie les moyens, alors que la fin est déjà dans les moyens.

Le NPA sera un échec s’il ne lie pas étroitement sa volonté de transformation démocratique, sociale et écologique à l’absolue nécessité de conquérir ces libertés - car pour l’immense majorité des humains elles restent à conquérir - et d’en assurer la pérennité.

Il ne vous échappe peut-être pas que parmi ceux qui ont initié le « non » de gauche au TCE en octobre 2004, je suis un des rares à ne pas rejeter d’emblée l’opportunité offerte par la décision de la LCR de se transformer. Cela ne signifie pas que je sois naïf ou ingénu. Je respecte l’histoire et la culture des militants de la LCR ; mais celles et ceux qui pourraient participer avec eux à la création d’un nouveau sujet politique ont droit aux mêmes égards. Et réciproquement. Votre entretien nous donne la mesure de la difficulté de la tâche.

Bien cordialement,

Raoul Marc JENNAR

2 - Réponse de Daniel BENSAID

La quatrième remarque souligne « quatre libertés » qui te semblent « mériter notre attention dans le monde tel qu’il est » : la liberté de ne plus vivre dans la peur, celle de ne plus vivre dans la misère, la liberté d’expression, et la liberté de culte.

La liberté de ne plus vivre dans la misère implique que le droit à l’existence (proclamé premier par la Constitution de l’An II), ou « droit de nécessité », ou « état d’urgence sociale », prime sur le droit de propriété, qu’il s’agisse du logement, de l’eau, de la terre, du revenu.

La liberté d’expression est pour nous un principe non négociable, aujourd’hui comme demain, le problème restant les moyens effectifs de cette liberté dans une société où l’accès aux moyens de communication est plus inégal que jamais, ce qui nous ramène encore à la question de la propriété.

La liberté de culte est aussi un principe, mais il implique la reconnaissance réciproque de cette liberté, autrement dit l’existence d’un espace public commun dont la laïcité est garante. Sur ces trois points, des questions restent ouvertes probablement, à éclairer face à des questions concrètes : le financement de l’enseignement privé, la question du foulard, le contenu des programmes scolaires..., l’expérience des « accommodements raisonnables » chers aux Québécois, mais il ne devrait pas y avoir entre nous de désaccords de principe.

Quant à la quatrième liberté, que tu cites en premier, « celle de ne plus vivre dans la peur », elle affirme une belle ambition. Nous la partageons sans problème. Mais il s’agit précisément de savoir comment supprimer les raisons de la peur, les misères sociales et psychiques dont elle se nourrit. Ce qui nous ramène à la question du projet et de la stratégie nécessaires pour changer un monde qui est parti pour mal finir.

En espérant que ces remarques, que te remercie sincèrement d’avoir provoquées, contribueront à dissiper certains malentendus, à préciser certains problèmes, et à engager une discussion féconde,

Fraternellement

Daniel Bensaïd


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