Paraguay : Etat des rapports de force après la victoire de Lugo et de la gauche (5 articles)

lundi 5 mai 2008.
 

1) Paraguay : le rapport de forces

J’appartiens au Paraguay de l’écrivain Augusto Roa Bastos et c’est à lui que j’ai pensé quand j’ai appris la victoire de Fernando Lugo à la présidentielle. Ce très réjouissant succès ne peut nous dispenser d’étudier de près le rapport des forces en présence, d’autant que, comme toujours, les médias nous tendent des pièges dans lesquels les progressistes ne sont pas les derniers à tomber (ce qui doit m’arriver aussi sur des sujets que je ne connais pas).

Le premier des pièges consiste à parler de l’élection des présidents sans jamais parler de celle des députés or, dans toutes les démocraties, le pouvoir des présidents est plus ou moins sous contrôle des assemblées législatives. Aussi, la victoire d’un authentique homme de gauche (40%) ne peut pas être à elle seule, l’hirondelle qui annonce le printemps. La victoire de Lugo est tout autant le résultat de la division de la droite que celle de la mobilisation des forces sociales (paysans, indigènes, féministes), et ce fait se retrouve dans les résultats des législatives gagnées par le Parti libéral nettement de droite, même s’il a soutenu à la présidentielle le candidat de gauche. Même avec le parti libéral, les forces des mouvements sociaux ne seront pas majoritaires à l’assemblée ! Et quand on sait les divisions internes aux mouvements sociaux, la tâche sera donc rude pour le président.

Le second piège c’est de tout réduire à l’affrontement entre USA et Amérique latine. Les plus féroces exploiteurs du Paraguay comme de la Bolivie, ce sont la bourgeoisie brésilienne que Lula n’a jamais cessé de soutenir au nom du nationalisme, et celle d’Argentine, un pays où par ailleurs vivent un grand nombre d’immigrés économiques paraguayens (un million sur 6,5 millions d’habitants).

Les retenues hydroélectriques du Paraguay (Itaipu - la pierre qui chante - date de 1984 et Yacireta de 1994) fournissent l’électricité au Brésil (20 à 25% de l’énergie électrique utilisée dans ce pays) et à l’Argentine (15% de sa consommation), sur la base d’un contrat fixant le prix, soit au prix du marché, soit au « prix juste ». Dans le contrat, la moitié de l’énergie va au Paraguay et l’autre moitié au Brésil. Mais le Paraguay consomme seulement le sixième de ce à quoi il a droit et il vend le reste. Sur le marché il aurait 3645 milliards de dollars (estimation de l’expert Ricardo Canese) et il reçoit seulement 102 millions de dollars ! Le prix juste adopté par Lula et les siens, c’est le colonialisme à un tarif inégalé ! Dès son élection, Lugo a donc demandé de doubler au tripler le prix de l’électricité mais Lula a crié au scandale, la mesure pouvant dans son pays provoquer de forts troubles sociaux (et surtout mécontenter les industriels). Cette polémique permet à Lugo de calmer les craintes du gouvernement US puisqu’il n’est pas le premier visé par sa politique, et de trouver un bol d’oxygène financier pour son pays. Les compagnies brésiliennes achètent 2,72 dollars le méga-watt une énergie revendue 80 dollars le méga-watt !

L’autre réforme majeure annoncée c’est la réforme agraire comme en Bolivie, une réforme qui, en plus de la répartition des terres, pourrait faire sortir le pays de la domination du soja comme production d’exportation (quatrième exportateur mondial), quand dans le pays c’est la misère. Fernando Lugo qui, pendant toute la campagne électorale, a tenu à répéter qu’il n’avait aucun modèle préférant dire que le pays se libèrerait à sa façon, a cependant, l’élection passée, fait référence à Tabaré Vazquez d’Uruguay qui, tout en prônant une politique de gauche, maintient des liens étroits avec les USA, contre les autorités argentines et brésiliennes.

Le troisième piège tourne autour du mot « corruption ». La notion fait fureur aux Amériques car c’est une triste réalité mais qu’est-ce que la corruption ? Un capitalisme à l’ancienne qu’il faut moderniser ou le stade futur du capitalisme qu’il faut empêcher ? Rares sont les livres sur le sujet d’où souvent ma référence à Eva Joly. Par exemple : ne faut-il pas plutôt lutter contre les corrupteurs ? Lugo va donc entreprendre une œuvre de salubrité publique contre la corruption au bénéfice des pauvres. En Italie, nous savons comment l’opération Mains propres a tourné à l’avantage de Berlusconi.

Enfin, un mot sur la théologie de la libération, ce sujet tabou de nos médias savants. Le Paraguay n’a pas le droit d’élire un religieux comme président en conséquence pour empêcher l’élection de l’évêque Lugo, le Vatican refusa de lui enlever le titre d’évêque. L’évêque, malgré lui, a du batailler avec ses amis pour faire prévaloir dans son pays sa décision sur celle de sa hiérarchie. Un fait qui montre d’une part que la théologie de la libération n’est pas une vue de l’esprit (si je puis me permettre cette formule) et que la guerre que continue de lui livrer la papauté ne cesse pas. L’échec sur ce point des maîtres en religion et en médias est d’autant plus réjouissant !

3-04-2008 Jean-Paul Damaggio

P.S ; : Informations provenant d’articles divers dont celui du 27 avril sur La Jornada mexicaine écrit par Guillermo Almeyra qui tient chronique tous les dimanches : Paraguay, tout dépendra des mouvements sociaux et celui sur Il Manifesto de Maurizio Matteuzzi : la résurrection passe par l’électricité.

2) Victoire surprise de la gauche au Paraguay

En élisant Fernando Lugo, les Paraguayens ont mis fin à soixante et un ans, incluant les trente-cinq ans de dictature d’Alfredo Stroessner, d’emprise du Parti colorado. Le nouveau mandataire a remercié le peuple, qui a « décidé d’être libre et indépendant ». La nette victoire de l’ex-évêque - 41 % et 10 points d’avance sur la candidate « colorado » Blanca Ovelar - écarte la crainte d’un coup de force. En l’absence de majorité au Parlement, Fernando Lugo devra composer pour imposer les réformes dont a besoin le pays.

« Situation sanitaire alarmante »

Le Paraguay présente, en effet, jusqu’à la caricature le visage de ce que le libéralisme produit de pire en matière d’inégalités. Moins de 20 % de la population accapare 80 % des richesses. Un rapport de la Banque mondiale souligne que 33 % de la population vit avec moins de deux dollars par jour (pour comparaison, un ticket de bus, une bouteille d’eau valent un demi-dollar). Conséquence, la situation sanitaire est alarmante : l’épidémie de fièvre jaune, résultat de l’incurie du gouvernement de Nicanor Duarte Frutos, a coûté des dizaines de vies. Ananias Maidana, secrétaire du Parti communiste, rappelant que 21 enfants meurent chaque jour, qualifie sa politique de « crime contre l’humanité ».

Le Paraguay repose sur la nappe phréatique la plus importante du continent, qu’il partage avec l’Argentine et le Brésil, mais six habitants sur dix n’ont pas accès à l’eau potable. Aujourd’hui, un tiers de la population vit hors du pays. À cet exil s’ajoute un constant exode rural.

300 000 paysans sans terre

Paradoxe paraguayen : alors que la latifundia tend à se rétracter ailleurs, ici elle s’est étendue. Les paysans sans terre, au nombre de 300 000, rejoignent les villes, alors que des grands groupes agroalimentaires trustent de vastes espaces qu’ils dédient à la culture du soja, qui couvre les trois quarts des surfaces cultivables (2 % de la population détient 80 % des terres). Il convient d’ajouter que nombre de petits paysans préfèrent cultiver la marijuana, dont la rentabilité est cinq fois supérieure à celle blé, faisant du pays le premier producteur d’Amérique latine.

Les deux leviers sur lequel compte peser Fernando Lugo pour changer le pays en profondeur sont, outre la lutte contre la corruption généralisée, la réforme agraire et la récupération de la souveraineté nationale, grâce à une politique énergétique juste et efficace. Le Paraguay, privé d’industries, possède deux centrales hydroélectriques sur le Parana, construites avec l’aide de l’Argentine et du Brésil ; en contrepartie, ces deux pays bénéficient de tarifs préférentiels confinant au cadeau. Fernando Lugo a proposé durant sa campagne, comme le fait la Bolivie d’Evo Morales avec son gaz, d’appliquer les prix du marché, ce qui permettrait au Paraguay de fortifier son économie en s’appuyant sur les PME et la petite propriété agricole. Le nouveau président espère ainsi aider au retour de ses compatriotes que la pauvreté a contraints d’émigrer.

G. D., correspondance particulière dans l’Humanité du 22 avril 2008

3) Fernando Lugo, nouveau président du Paraguay

Le Tribunal Supérieur de Justice Électorale (TSJE) a ratifié le triomphe de Lugo avec plus de 40 pour cent des votes en sa faveur, tandis que son principal rival, Blanca Ovelar du parti pro-gouvernemental, a obtenu 30.72 pour cent des votes.

Le porte-drapeau de l’Alliance Patriotique pour le Changement (APC), l’ex évêque Fernando Lugo, a obtenu ce dimanche la victoire dans les élections présidentielles de la République du Paraguay.

Avec Lugo à la présidence, son chef de campagne, Federico Franco, a été élu comme vice-président .

Le Tribunal Supérieur de Justice Électorale (TSJE) a ratifié le triomphe de Lugo avec plus de 40 pour cent des votes en sa faveur, tandis que son principal rival, Blanca Ovelar du parti pro-gouvernemental, a obtenu 30.72 pour cent des votes.

(...)

Le vice-président de l’organisme électoral, Juan Manuel Morales, a assuré « aujourd’hui nous livrons au peuple du Paraguay des élections avec zéro erreur ». En outre, il a dit qu’avec la forte participation, de 65 pour cent, il a été démontré que les citoyens ont reconnu le caractère institutionnel de la Cour Électorale.

« Cette institution est multipartite. Nous avons reçu la confiance de tous les électeurs. Nous avons une forte participation », a déclaré Morales.

Avant d’être proclamé à travers le tribunal électoral, le président paraguayen récemment choisi, Fernando Lugo, a remercié ceux qu’ils l’ont accompagné depuis le début, et a souligné que « les petits sont aussi formés pour vaincre ».

Il a indiqué que dorénavant la classe politique du pays sud-américain ne devra « jamais plus faire de la politique sur la base du clientélisme ».

« Nous avons terminé une étape et en commençons aujourd’hui une autre, celle du compromis pour transformer le Paraguay », a t-il ajouté.

Célébration de ce qui est grand

Après avoir pris connaissance des premiers résultats, des milliers de personnes avec des drapeaux paraguayens et des effigies des différents partis politiques prenant part à la coalition de l’APC sont sortis fêter dans les rues d’ Asunción le triomphe de l’ex évêque Fernando Lugo dans les élections générales de ce dimanche.

Avec les cris « Paraguay, Paraguay », « Lugo président », « le changement est arrivé », de nombreux jeunes ont manifesté dans le micro-centre de la capitale paraguayenne, selon des médias radiophoniques et télévisuels.

La majorité des manifestants s’est concentrée face au Panteón National des Héros historiques, où des milliers de protagonistes ont sauté et dansé.

Avec des idées progressistes, Fernando Armindo Lugo Méndez a mis fin à l’hégémonie du Parti Colorado, qui a dirigé le Paraguay, entre dictature et démocratie, depuis plus de 60 ans.

TeleSUR

4) Le Paraguay élit l’"évêque des pauvres" et bascule à gauche

LE MONDE | 21.04.08

Le résultat des élections générales au Paraguay peut passer pour "historique" : Fernando Lugo, "l’évêque des pauvres", a été élu à la présidence de la République, dimanche 20 avril, mettant fin à soixante et un ans d’hégémonie du Parti Colorado. Il l’a emporté avec 40,8 % des voix, contre 30,7 % pour la candidate des Colorados, Blanca Ovelar, et 21,9 % pour l’ancien général putschiste Lino Oviedo. Le nouveau président qui sera investi le 15 août, ne bénéficiera pas, toutefois, de la majorité au Parlement.

L’élection de Mgr Lugo renforce le virage à gauche de l’Amérique latine. "Je ne me sens ni de gauche, ni de droite : ma préoccupation pour les pauvres découle de mon option pastorale plutôt que d’une idéologie", assure-t-il. C’est le premier évêque à être élu chef de l’Etat dans le monde. Il a dû renoncer à son ministère, en 2006, pour se lancer dans la politique. Cela lui vaut d’être suspendu a divinis par le Vatican. Concerts de klaxons, pétards, tambours : une foule en liesse a envahi les rues d’Asuncion, dimanche soir. Au cours d’une conférence de presse, le vainqueur a invité tous les Paraguayens, "quel que soit leur parti politique", à construire "de meilleurs horizons" pour leur pays. Il a demandé à Dieu de "bénir le Paraguay, qui doit aux plus humbles ce changement historique"...

Fernando Lugo est né dans un humble foyer rural. Il est le plus jeune des six frères d’une famille persécutée sous la dictature du général Alfredo Stroessner (1954-1989). Son père fut emprisonné et torturé, ainsi que trois de ses frères, qui se sont exilés. Après l’Ecole normale, il choisit le sacerdoce. En 1977, il est ordonné prêtre et voyage en Equateur, où il découvre la "théologie de la libération". De retour au Paraguay, il est expulsé en 1983 pour ses sermons "subversifs". A Rome, il obtient une licence en sociologie, avec une spécialisation en doctrine sociale de l’Eglise. En 1987, il revient au pays. En 1994, il est nommé évêque du diocèse de San Pedro, le plus pauvre du pays. Mgr Lugo doit sa popularité à la défense des paysans sans terre. Pour eux, il a fondé le Mouvement populaire Tekojoja ("égalité", en guarani).

Dimanche, avant d’assister à la messe, il a voté, accompagné de Hebe de Bonafini, présidente de l’organisation argentine des Mères de la place de mai. Nationalisme économique, lutte contre la corruption et réforme agraire constituent le credo du président élu. Dans les campagnes déstructurées par l’expansion des cultures de soja, les paysans voient en lui un messie pouvant les sauver d’une pauvreté qui touche plus de la moitié des 6 millions de Paraguayens. Il leur parle en guarani, langue officielle du pays au même titre que l’espagnol, et comprise par 90 % des Paraguayens, quasiment tous métis.

Fernando Lugo a promis un "Paraguay ouvert au monde". Il se dit proche du président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, et est partisan de l’entrée du Venezuela dans le Mercosur, l’union douanière sud-américaine, qui doit être ratifiée par les parlementaires paraguayens.

Le scrutin a eu lieu dans le calme. Jamais il n’y a eu autant d’observateurs étrangers, préoccupés par une possible fraude électorale. Pressentant la défaite, le président sortant, Nicanor Duarte, n’avait cessé de diaboliser Fernando Lugo, l’accusant d’être un "dangereux communiste", un "nouveau Evo Morales" (le président bolivien) et "un pion de Hugo Chavez (le président vénézuélien)".

Outre le charisme de "l’évêque des pauvres", la défaite des Colorados, qui ont gouverné aussi bien pendant la dictature du général Stroessner qu’en démocratie, s’explique par les divisions d’un vieux parti rongé par la corruption.

La participation a atteint un niveau record : plus de 65 % des électeurs ont exercé leur droit de vote. Plus de 2,8 millions de Paraguayens étaient appelés à élire le nouveau chef d’Etat, mais aussi 80 députés, 45 sénateurs, 17 gouverneurs et les législateurs des provinces.

Christine Legrand

5) Fernando Lugo surnommé l’"évêque des pauvres", élu dimanche 20 avril président du Paraguay

tempsreel.nouvelobs.com

Chevelure et barbe poivre et sel, le regard direct derrière des lunettes à monture métallique, le sourire serein, le candidat n’a été convaincu qu’en mars 2006 par l’opposition d’emmener l’APC, coalition d’une vingtaine de formations majoritairement de gauche, à l’élection présidentielle. Parfois surnommé depuis "l’évêque rouge", Lugo dit préférer au qualificatif de "gauche" qu’on lui accole celui de "progressiste".

"Si vous demandez à cinq personnes dans une pièce une définition pour "gauche", vous en obtiendrez cinq différentes", a-t-il souligné, en riant, vendredi lors d’une conférence de presse à son quartier général.

Conscience politique

Accusé de vouloir instaurer au Paraguay un système de type chaviste, Lugo a saisi l’occasion pour se démarquer des présidents populistes du Venezuela Hugo Chavez et de Bolivie Evo Morales, en affirmant que s’il "valorise les politiques de la région" sud-américaine, il croit en revanche que le Paraguay doit "suivre son propre processus".

Les autorités ecclésiastiques qui ne l’ont pas excommunié l’avaient publiquement qualifié de rebelle, le comparant "à un poignard planté dans le corps de l’Eglise".

Fernando Lugo est un homme dont la conscience politique s’est éveillée très tôt au sein de sa propre famille persécutée sous la dictature d’Alfredo Stroessner (1954-1989).

Il est né le 30 mai 1951 à San Solano, dans la région d’Itapua (sud), l’une des plus défavorisées du pays, dont un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. Ses proches sont modestes, non pratiquants, unis et surtout très politisés, à l’image de son oncle Epifanio Mendez Fleitas, une des figures de proue du Parti Colorado (conservateur), qui entra en dissidence contre le dictateur Stroessner. Militants opposés au régime, trois de ses frères avaient été contraints à l’exil, après avoir été torturés, et son père avait également été maintes fois arrêté.

"Evêque des pauvres"

Mais lui, touché par Dieu à 19 ans, et au grand dam de son père, a choisi d’entrer au Séminaire de la Congrégation de la Parole Divine en 1971 avant d’être ordonné prêtre six ans plus tard et d’intégrer l’Université catholique de Notre-Dame d’Asuncion.

Missionnaire, il part ensuite en Equateur pour y travailler jusqu’en 1982 au contact des couches sociales les plus défavorisées.

Ces années lui valent aujourd’hui le surnom d’"évêque des pauvres", en référence à l’influence de l’Equatorien Leonidas Proano, adepte de la Théologie de la libération, un mouvement social issu de l’Eglise catholique, teinté de marxisme et développé en Amérique latine dans les années 70. Expulsé du Paraguay en 1983 par le régime de Stroessner, il connaît quatre ans d’exil à Rome, avant de rentrer au pays, où il est devenu en 1994 évêque de San Pedro (centre), un département socialement défavorisé aux relations chaotiques avec les autorités.


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